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tion, et frappa l'imagination du peuple d'un augure, hélas! trop véritable, des malheurs qui attendaient deux jeunes époux alors l'objet de tous les vœux et de toutes les espérances.

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La ville de Paris donnait une fête le 30 Evénemens mai. Un feu d'artifice devait être tiré dans

malheureux

de la place

Louis xv. le vaste emplacement de la place Louis XV, 1770. où s'élevait depuis peu la statue de ce mo

narque. On achevait de construire la rue Royale, qui conduit de cette place au bou levard; elle était encombrée de matériaux. Des fossés, qu'on n'avait point comblés, rendaient les passages difficiles. Un nombre immense de voitures étaient rangées dans la plus grande confusion sur le quai, et obs truaient l'issue la plus commode de la place. On n'avait point empêché d'imprudens curieux de monter sur le parapet assez escarpé du quai, et quelques-uns d'eux étaient tombés dans la rivière. Des pelotons très-insuffisans de gardes-françaises étaient perdus au milieu de la foule, et ne pouvaient la préserver de son imprudence accoutumée. Les magistrats de la ville avaient eu la sordide économie de ne point demander le secours de tout ce régiment, qui seul savait contenir les mouvemens de

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la multitude. Le feu d'artifice répondit peu à l'attente de tant de milliers de spectateurs. Avant que le bouquet fût tiré, plusieurs décorations en bois furent consumées: d'abord on prit cet incendie pour un effet que les artificiers avaient voulu produire, et on l'admira. Mais quand on le vit s'étendre, l'effroi se répandit; on se retira précipitamment. Les piétons, repoussés du côté du quai, où ils avaient à craindre d'être écrasés sous les pieds des chevaux, se rejetèrent sur la rue Royale. Le désordre était déjà très grand, quand des filous l'augmentèrent en jetant des cris d'alarmes, en pous> sant et en étouffant ceux qu'ils voulaient dépouiller. On est long-temps arrêté dans cette mêlée, aussi désastreuse que celle d'un champ de bataille. Tous ceux qui ont à défendre une femme et des enfans, n'écartent d'eux le danger qu'en l'accroissant pour leurs voisins. Pendant près d'une demi-heure la foule reste entassée, meurtrie, expirante. Enfin, ce lieu funeste se dégage; mais cent trente-trois cadavres y gisent à côté d'un beaucoup plus grand nombre de blessés (a). Les morts sont transportés au cime(a) Commé il y eut encore des accidens sur d'autres points, et particulièrement sur le quai des Tui

tière de la Madelaine. Quelle nuit horrible pour la capitale! Une journée de guerre civile n'eût pas porté plus de désolation ni de terreur dans les familles. Plusieurs de ceux qui ont pu échapper à cette presse épouvantable indiquent, par le sang qu'ils vomissent, qu'ils ont contracté le germe d'une maladie mortelle. On frémit sur le sort des absens. Avec quelle angoisse on vient le lendemain reconnaître les cadavres et s'assurer des pertes qu'on a faites! On apprend, par cet examen, mais, faible consolation d'un tel malheur! que les filous, auteurs du tumulte, sont morts victimes de leur scélératesse. Des cris s'élèvent contre la meurtrière imprévoyance du gouvernement et des magistrats. Les causes du désordre sont si multipliées, si évidentes, qu'on croit trouver des coupables dans tous ceux qui ont pu ce jour-là exercer quelqu'autorité. Le parlement annonce d'abord qu'il va satisfaire aux plaintes du public, et fait des informa tions sur les mauvaises mesures qui ont

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leries, et comme plusieurs personnes moururent des suites de la presse de la rue Royale, on ne croit point qu'il y ait de l'exagération à évaluer, ainsi qu'on le fit dans le temps, le nombre des victimes de la journée du 30 mai 1770, à douze cents personnes.

amené cet événement. Mais il y aurait trop de personnages à punir, on n'en punira aucun nul siècle ne fut plus indulgent que celui-là pour les fautes nées de l'imprévoyance, et nul n'en porta une peine plus sévère.

Louis XV montrait ordinairement une vive émotion quand il apprenait un malheur public. Mais vieilli bien plus par la mollesse que par les années, il n'avait plus la force de s'occuper des maux qui auraient déchiré son cœur. On eut soin de lui dissimuler le nombre des victimes, et il se laissa tromper à cet égard avec son apathie accoutumée. Mais ce fatal accident avait troublé tout le bonheur du jeune dauphin. On voulait en vain l'en distraire, il renouvelait ses questions avec la plus vive sollicitude, et pleurait avec sa jeune compagne. Dès le premier bruit de ce malheur, il avait demandé le mois de sa pension; il écrivit aux magistrats de la ville une lettre touchante pour les prier de remettre cette somme aux familles les plus pauvres qui avaient perdu leur appui. La dauphine imita son exemple. Mesdames, une partie de la cour, quelques corps, un assez grand nombre de particuliers contribuèrent à une souscrip

Le duc de

pour se

maintenir,

la guerre.

1770.

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tion, dont le résultat fut cependant bien peu proportionné à un malheur si général. L'usage des souscriptions de bienfaisance était alors assez nouveau. Voltaire, si habile à exciter à la fois la pitié et la vanité de ses compatriotes, avait aidé à l'introduire. Cet usage fit des progrès si rapides, qu'on vit, seize ans après, des souscriptions dont le montant était centuple de celle qui avait eu pour objet de soulager les victimes de la plus déplorable catastrophe. Les Français purent au moins se dire Le nouveau dauphin a la bienfaisante humanité qui caractérisait son père.

:

Quoique des exemples éclatans, et particuChoiseul, lièrement celui de la princesse des Ursins et veut décider celui du duc de Bourbon, eussent appris que la négociation du mariage d'un souverain n'est point une garantie solide pour le crédit de celui qui en a été chargé, le duc de Choiseul redoublait de confiance et persistait dans le rôle d'un censeur dédaigneux des plaisirs et du penchant de son maître. L'étendue de ses projets, la crise politique dont l'Europe était menacée, le suffrage chaque jour plus déclaré des grands, des magistrats, des gens de lettres et de la partie la

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