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son protecteur, et parut seconder son plan de ménager le parlement de Paris sans en recevoir la loi. Mais il cachait une haine profonde contre la compagnie qu'il avait présidée, et de laquelle il avait reçu les signes d'une défiance injurieuse. Quoiqu'il n'eût pas plus d'élévation dans l'esprit que dans le caractère, il brûlait d'exercer une influence principale. Son ambition hâtait les progrès de son ingratitude. Personne n'était plus habile que lui à donner à la dissimulation les formes de la légèreté, et même de l'étourderie. Il attirait tous les secrets sans livrer le sien. Aussi peu susceptible d'illusion que de scrupules, il étudiait dans tous les hommes les moyens par lesquels ils pou→ vaient être ou séduits ou corrompus: il excellait dans cet art. Les autres travaux rela. tifs à ses fonctions et à ses projets, il les confiait à des jurisconsultes et à des publicistes d'un talent exercé. Il avait une qualité rare parmi ses contemporains: c'était la force de vouloir. L'ascendant que paraissait conserver sur lui le duc de Choiseul le forca de différer ses hommages à la comtesse Dubarri; mais dès qu'il vit la faveur de cette dame assurée par la présentation, il vint assiduement prostituer la simarre devant elle, de

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peur qu'elle ne le jugeât capable de garder de la reconnaissance à l'auteur de sa fortune. La favorite se fit un jeu de mettre à l'épreuve la bassesse servile et bouffonne du chef de la magistrature. Le chancelier Maupeou imagina le premier de se supposer des titres d'alliance et de parenté avec les Dubarri, quoique ceux-ci fussent assez généralement accusés de s'être substitués à une famille éteinte. Avec le temps, ils trouvèrent une foule de parens à la cour. Après avoir servi en quelque sorte de jouet à la comtesse Dubarri, le chancelier lui donnait des conseils et lui persuadait qu'une grande gloire lui était réservée, celle de rétablir dans toute sa force et dans tout son éclat l'autorité souveraine (a).

(a) Les mémoires de cette époque rapportent mille traits de la bassesse du chancelier Maupeou auprès de la comtesse Dubarri. On prétend qu'il jouait en simarre avec un petit nègre, Zamore, que cette dame aimait beaucoup, et qu'il supportait les plus impudentes espiégleries de cet enfant, qui avait acquis de l'influence à la cour. Co même nègre Zamore fui, pendant la révolution, le dénonciateur de sa bienfaitrice, et la fit conduire à l'échafaud par ses dépositions.

Le lecteur s'apercevra que je me suis borné, dans ce Livre, à peindre par des traits généraux les

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Le nouveau contrôleur général, l'abbé Terrai, marchait au même but avec moins de souplesse et plus d'audace. Conseiller-clero au parlement de Paris, il s'était dévoué à repousser les attaques des ennemis de la cour. Il était pour les jansénistes un railleur impitoyable, et ménageait peu les philosophes. Il avait étudié tous les systèmes nouscènes indécentes et abjectes de l'intérieur du palais de Louis XV. Elles ont été plus généralement et surtout plus promptement répandues que celles même de la régence. La France et l'Europe en étaient instruites en quelques jours, et de volumineux recueils, souvent réimprimés, en ont rendu la trace ineffaçable.

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Un auteur très-estimable, M. Gaillard, a fait du chancelier Maupeou un portrait qui paraît être d'une vérité scrupuleuse. En lui accordant un esprit très-fin et très-délié, il relève et prouve son extrême ignorance. Voici un trait qu'il en cite : M. le chancelier offrait à table un verre de liqueur à quelqu'un qui le refusa il insista; on se rendit en disant : Envoyez-m'en donc infiniment peu.-Oui, répondit le chancelier, un infiniment petit; je m'intéresse aux infiniment petits, à cause du chancelier de L'Hôpital, un de mes prédécesseurs. Chacun fut stupéfait de voir le chef de la magistrature confondre le chancelier de L'Hôpital avec le marquis de L'Hôpital, et le temps de Charles IX avec celui de Louis XIV. Ce qu'il y a de pis, c'est qu'il aimait à raconter son triste bon mot.

veaux d'administration, pour les combattre. Le duc de Choiseul entendit parler de ce magistrat comme d'un nouveau d'Argenson, ferme, laborieux, inépuisable en ressources, exact dans toutes ses combinaisons, peu sensible à la pitié, incapable de crainte, Lorsque le contrôleur général Laverdi eut succombé à des embarras que son irrésolution accroissait à chaque année, lorsqu'on eut mis à l'essai Mainon d'Invau (a), qui désespéra bientôt de faire adopter à la cour les principes d'une sévère économie, l'abbé Terrai s'offrit au principal ministre comme le seul administrateur qui eût l'énergie et le coup d'œil prompt de l'homme d'État. Le duc de Choiseul se flattait, à l'aide d'un tel secours, de créer subitement des moyens pour la guerre maritime qu'il méditait; mais il ne tarda pas à s'apercevoir que le nouveau contrôleur général ne voulait point recevoir de lois, et se refusait à promettre des prodiges. Autant l'un mettait de soins à ménager l'opinion, autant l'autre paraissait indifférent à ce grand mobile de la puissance. Le duc de Choiseul

(a) Mainon d'Invau eut la générosité de refuser la pension de retraite qu'on donnait à tous les ministres.

paraissait croire que l'autorité royale s'affermirait par la gloire de ses opérations exté rieures; l'abbé Terrai ne parlait que de coups d'Etat, pour intimider à la fois tous les adversaires de l'autorité royale. Ce dernier se rangea lentement, et sans affectation, du parti de la favorite, fit entrevoir au roi qu'il pouvait suffire aux dépenses de plusieurs années sans imposer aucune gêne à ses penchans, l'effraya sur les préparatifs encore cachés d'une guerre dispendieuse', et s'annonça enfin comme le premier contrôleur général qui ne fût point intimidé deş cris des parlemens.

Louis, grâce à ce conseiller, éprouva un genre de sécurité qu'il n'avait pas encore connu. Il eût voulu jouir du repos intérieur qu'on promettait de lui assurer en conservant au dehors l'honneur de la couronne. Il jugeait que le duc de Choiseul lui était encore nécessaire pour veiller à la fois sur l'Angleterre, l'Amérique, et le nord de l'Europe. Mais déjà il diminuait son influence, et pour le braver il donnait de nouveaux témoignages de faveur aux Dubarri. La duchesse de Grammont, cédant à son dépit, fut assez imprudente pour don

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