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naire à s'imposer un effort tout nouveau pour lui, celui de régner. Le maréchal de Richelieu lisait dans les regards de Louis que la convention de Closter-Sévern ne lui était pas tout à fait pardonnée. Les adversaires du duc d'Aiguillon lui avaient fait une réputation d'opiniâtreté qui excitait l'enthousiasme de tous les partisans zélés de la cause royale. Des femmes auxquelles il savait plaire, et les jésuites dont il ranimait en secret les espérances, prédisaient qu'on verrait renaître en lui le cardinal de Richelieu son grand-oncle. Mais si Louis l'écoutait avec complaisance, c'était aussi avec un mystère qui décelait sa répugnance à unir sa cause à celle du commandant de la Bretagne. L'archevêque de Paris, après avoir été, avec tant d'éclat et d'imprudence, sain→ tement factieux, ne pouvait inspirer beaucoup de confiance à un roi dont ses brigues avaient troublé le règne. Le duc de la Vauguyon, terrassé par le duc de Choiseul chaque fois qu'il avait tenté contre ce ministre une opposition directe, ne renouvelait plus des efforts impuissans; il s'efforçait de graver dans l'ame de son élève les leçons du dauphin, et lui montrait le duc de Choiseul comme le fléau de sa famille. Le duc de

Lavrillière et Bertin, n'osaient jamais suggérer au roi que les résolutions vers lesquelles il semblait incliner.

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Deux craintes s'offraient aux ennemis du duc de Choiseul : l'une était qu'il ne décidât Louis à un second mariage, et l'on était certain qu'il saisirait une occasion d'affermir son crédit par le choix d'une princesse autrichienne qui lui garderait l'affection politique de sa famille ; l'autre crainte était, que la duchesse de Grammont ne s'emparât du poste important et honteux que la mort de la marquise de Pompadour avait laissé vacant. Le public reprochait depuis long-temps cette ambition à la soeur du duc de Choiseul. Elle n'avait plus assez de jeunesse pour suppléer à une beauté médiocre; mais Louis XV, qui à trente ans avait aimé madame de Mailly, l'une des personnes les moins belles de la cour, pouvait, dans sa vieillesse, fixer son choix sur une femme qui tromperait son ennui par le prestige des fêtes, et qui, d'accord avec son frère, le soulagerait complètement du fardeau de la puissance.

Pendant qu'on faisait ces calculs, une jeune courtisane entrait dans le lit du monarque, enivrait ses sens, obtenait par les raffine

la comtesse

mens de la volupté plus d'empire qu'elle

n'en aurait pu tenir de l'amour même, Faveur de et devenait, sans l'avoir espéré, sans le Dubarri. désirer peut-être, l'arbitre des destinées de 1769. la France. Cette courtisane, qu'on appelait alors mademoiselle Lange, vivait avec un des hommes les plus corrompus de la capitale, le vicomte Dubarri. On le désignait par cet infâme titre de roué, que le régent avait imaginé pour ses compagnons de débauche, et que la corruption du langage et des mœurs avait maintenu dans quelques sociétés, pendant que le bon sens et l'honneur le proscrivaient dans d'autres. Sa dernière ressource était de tenir une maison de jeu. Pour en augmenter la célébrité, il y produisait mademoiselle Lange, dont la beauté avait le plus grand éclat, malgré une prostitution précoce, Le valet de chambre à qui le roi avait longtemps confié la direction d'un harem trop peu clandestin, communiqua, dit-on, à Dubarri l'embarras où il était de satisfaire un maître que l'âge et la satiété rendaient difficile sur ses plaisirs. Dubarri vit dans cette confidence le présage de la plus haute fortune. Il vanta les charmes de mademoiselle Lange. Le valet de chambre fut enchanté en la voyant; et quoique sa mission lui

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prescrivit plus de réserve dans ses choix, il hasarda celui-ci pour vaincre la langueur du monarque. Mais lui-même fut étonné, et en quelque sorte confus, de l'ivresse que le roi montra en sortant des bras d'une femme qui n'empruntait rien de la pudeur pour embellir la volupté. Louis n'est contenu dans l'avilissante fureur de son nouveau goût ni par les conjectures qu'il doit former, ni par les révélations qu'on lui fait. A tous les momens il veut voir celle qui rajeûnit ses sens et dégrade son ame. Il produit sa honteuse extase à tous ses familiers: aucun d'eux cependant ne peut croire à la durée de ce caprice, et les plus complaisans n'osent encore feindre du respect pour une femme long-temps exposée au mépris. Quelquesuns d'entre eux, tels que le spirituel duc d'Ayen, tâchent de rompre, par des plaisanteries, l'enchantement de leur maître, Le maréchal de Richelieu seul montre pour elle une admiration sans réserve, et paraît convaincu que nul genre d'honneur n'est au-dessus de tant de charmes. Bientôt la nouvelle favorite change de nom. Un pacte infâme lui a donné le titre de comtesse Dubarri. Le vicomte de ce nom a trouvé dans son frère un homme assez vil pour

épouser une telle femme à de telles condi tions. La cour se peuple de nouveaux hôtes qu'on est étonné d'y voir : tous les lieux où s'entretient la corruption d'une grande capitale, les y envoient. Dans un séjour où la

licence et la débauche même se voilent sous des expressions qui ne blessent point la pudeur, on entend un langage plus cynique même que celui du temps de la régence, et qui suppose un commerce plus habituel avec des êtres dégradés. Louis, jusque-là de tous les monarques le plus fidèle à la décence extérieure, applaudit aux obscènes saillies de sa maîtresse, à des apostrophes qui seraient un crime dans toute autre bouche; enfin beaucoup de courtisans vicieux sont étonnés de voir le vice dans une telle nu→ dité. Ceux qui ont fléchi vingt ans devant madame de Pompadour, résistent à ce nouvel avilissement. Le peuple insulte à la faiblesse du souverain; tous les refreins qu'il chante sont une allusion à ces amours scandaleux. Louis peut apprendre par vingt libelles les noms de ceux qui ont souillé cette conquête à laquelle il attache un si grand prix. Ces libelles sont forgés dans son palais. La police est elle-même soupçonnée de propager les écrits, les chansons qui avilissent le souve→

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