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la ruine. L'armée avait reçu avec murmure des réglemens insensés, et l'ineptie du descendant de Pierre Ier était révélée aux personnes même les plus éloignées de la cour. Chacun, hormis l'infortuné czar, se souvenait du mouvement qui avait livré à d'épouvantables supplices et relégué dans les déserts de la Sibérie, d'impérieux étrangers. La domination des Allemands n'avait jamais paru plus insupportable; et, par une singulière contradiction, on fit choix d'une princesse allemande pour la renverser. Quelques officiers des gardes, un ministre mécontent, une jeune femme qui croyait, en conspirant dans une cour despotique, égaler l'énergie des républicains de l'antiquité, vinrent offrir le trône à Catherine dans le moment où son époux la menaçait d'un cloître. Les Orloff, la princesse d'Aschkoff, et Panin, profitèrent de l'absence du czar, qui s'exerçait aux manœuvres prussiennes dans le château d'Oranienbaum pour présenter Catherine aux gardes, déjà disposés à la recevoir. Leurs acclamations lui donnèrent l'empire. Le clergé confirma le vœu des gardes : tout fut entraîné. Catherine marcha pour assiéger son époux à Oranienbaum. L'empereur, qui méditait de vastes conquêtes, se montra le plus pu

sillanime des hommes au bruit de cette catastrophe inopinée. Ni la présence de trois mille soldats allemands, ni celle de Munnich, ne purent lui inspirer la résolution d'essayer une défense qui laisserait au peuple le temps de revenir d'une subite ivresse.Il s'échappa sur un bateau; et bientôt, effrayé du danger de sa fuite, il vint se livrer à l'épouse qui lui ravissait le trône. Elle profita de sa chute pour lui ravir aussi l'honneur, et lui fit signer une renonciation motivée sur le déplorable aveu de son ineptie. Cet excès de lâcheté ne prolongea son existence que de six jours. Les conspirateurs, inquiets des dispositions mobiles du peuple et de l'armée, pénétrèrent dans la prison de Pierre III, et commirent un crime que Catherine, peut-être, ne leur avait pas prescrit, mais dont elle était tenue de les récompenser. Elle sentit d'abord que le plus sûr moyen de détourner l'horreur attachée à un tel événement, était d'avancer pour l'Europe le bienfait d'une paix générale. La neutralité dans laquelle elle fit prudemment rentrer la Russie, fut l'heureux préJude de cette paix.

Pierre er avait civilisé violemment son empire Catherine mit à continuer l'ouvrage de ce grand homme, la grâce et la politique de

Caractère et

CatherineLL

flexibilité qui lui avaient manqué. Elle affectait quelques goûts frivoles, afin, sans doute, d'affaiblir l'opinion qu'elle avait long-temps médité le complot dont elle recueillait le fruit; mais en même temps elle s'occupait de grandes entreprises. Elle échappait aujoug de ses favoris en les multipliant, en faisant servir les uns à son ambition, les autres à ses plaisirs. Ceux même auxquels elle devait la vie et la couronne, les terribles Orloff, furent forcés, malgré leur orgueil, de rentrer par degrés dans le rôle de courtisans.La princesse d'Aschkoff perdit plus promptement encore l'espérance de dominer Catherine et de modifier l'autorité arbitraire par des formes aristocratiques : il ne lui resta pour prix d'une catastrophe sanglante, que le triste honneur de s'en présenter comme l'auteur principal. Catherine feignait un enthousiasme assez vif pour la philosophie française. Frédéric lui - même mettait moins de soins qu'elle à capter les dispensateurs de la renommée, parce qu'ils lui étaient moins nécessaires. C'était surtout le suffrage de Voltaire qu'elle ambitionnait. Elle cherchait son absolution auprès de l'auteur de Sémiramis, et pour obtenir ses hommages les plus délicats, elle mettait dans ses lettres l'esprit et l'enjouement qui auraient

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caractérisé une dame française. Elle fit faire à d'Alembert les plus vives instances pour l'engager à se charger de l'éducation de son fils le grand-duc. Le philosophe préféra sa tranquillité, ses travaux et ses amis, à un poste flatteur pour l'ambition. La libéralité de l'impératrice de Russie vint au secours de Diderot, qui était menacé de tomber dans l'indigence. Pendant qu'elle consultait d'ardens défenseurs de l'humanité, et qu'elle leur faisait mille promesses auxquelles ils croyaient faiblement, elle recourait souvent à des précautions violentes pour assurer la tranquillité de son règne. Les vieux Moscovites ne lui obéissaient qu'à regret, et s'attendrissaient sur le sort du malheureux Pierre ; tantôt ils couvraient d'imprécations les meurtriers de ce monarque, tantôt ils cherchaient à se persuader que ce meurtre n'avait pas été consommé. De hardis imposteurs profitaient de ces dispositions du peuple. Catherine avait tout à craindre des brigands audacieux qui la poursuivaient avec le nom et la ressemblance de son époux, dans le moment même où sa politique faisait prendre à la Russie un ascendant qui inquiétait tous les cabinets de l'Europe.

Commencement des

la Pologne.

C'était en donnant un roi à la Pologne (a) troubles de que l'impératrice de Russie avait annoncé l'orgueil de ses desseins, sans en faire connaître encore, la profondeur. Auguste III survécut peu à une guerre dont il avait éprouvé les premiers et les plus longs désastres dans son électorat de Saxe. Il mourut le 5 octobre 1763. Tout semblait annoncer que le nouvel électeur de Saxe serait élu roi de Pologne. Cette maison était chère aux Polonais, dont elle adoucissait la turbulence sans l'enchaîner. L'Autriche se montrait reconnaissante de l'appui que la Saxe avait voulu lui prêter contre le roi de Prusse. La France élevait quelques prétentions en faveur du prince de Conti; mais Louis XV et le duc de Choiseul auraient fait sans peine le sacrifice d'une faible espérance au vœu déclaré de l'Autriche. Le roi de Prusse, quoiqu'il eût à offrir à ses voisins son frère le prince Henri pour roi, craignait que cette prétention ne l'engageât dans une

(a) Peu d'événemens sont mieux éclaircis aujourd'hui que ceux qui amenèrent le premier partage de la Pologne; mais pour s'en faire une idée exacte et impartiale, il est important de consulter à la fois l'ouvrage de Rulhières sur la Pologne, et celui de M. Lévêque sur la Russie. Des ouvrages plus récens n'ont fourni d'autres matériaux.

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