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indiscrète, et l'on cherchait à les apprivoiser par des flatteries spirituelles. En Angleterre, les Français étaient livrés aux insultes du peuple; on ne pouvait se résoudre à céder une partie assez considérable du commerce du monde, et les murmures de l'avarice se joignaient à ceux de la fierté. Le lord Bute ne put résister long-temps à une clameur générale qui le montrait comme la dupe des Français, dont Pitt avait été le fléau. Le ministère qu'il dirigeait fut remplacé. Mais le roi, qui ne cessait de le prendre pour guide de ses délibérations secrètes, se garda bien de rompre la paix qu'il avait conclue. L'opposition, que Walpole avait si long-temps amortie par des brigues vénales, et que le duc de Newcastle et Pitt avaient contenue par leurs succès, se réveilla et prit un caractère séditieux. Le fougueux Wilkes, alderman de Londres, habitua le peuple à des excès. Le trône paraissait ébranlé par ses satires. Sa politique variait au gré de ses passions. Georges III avait pris la résolution de ne point faire à un magistrat séditieux, idole de la populace, des sacrifices que ses prédécesseurs et lui-même avaient faits à une opposition plus respectueuse. Ainsi le repos de l'Europe fut maintenu en Angleterre par

des philoso

ceux mêmes qui parlaient sans cesse de guerre, et Wilkes, en agitant sa patrie, servit si bien les desseins du duc de Choiseul, que quelques Anglais le regardèrent comme son agent secret. Le mépris et la crainte qu'inspirent les excès populaires accrurent le nombre des défenseurs éclairés de la prérogative royale. C'était l'Écosse, ce pays si long-temps attaché à la cause des Stuarts, qui fournissait à Georges III ses partisans les plus déclarés. Après une longue rivalité, ce royaume faisait tout pour la gloire et la puissance de l'Angleterre. On y voyait se développer en tous les genres l'énergie d'un peuple dont la civilisation s'est mûrie lentement.

Influence Je puis, sans me détourner de mon sujet, phes éco-dire ici quelques mots de l'influence qu'exercèrent les philosophes écossais sur leur patrie. Ils se chargèrent de continuer l'âge brillant qui paraissait finir pour la littérature anglaise, et parlèrent le langage d'une philosophie aussi haute que tempérée. Justes appréciateurs du grand mouvement d'opinions qui se faisait en France, ils surent, en le communiquant à l'Angleterre, en écarter cette ambition, cette impétuosité qui parmi nous en troublait souvent les heureux effets. Dans un pays où beaucoup de réformes

étaient opérées, ils ne rencontraient point ces obstacles puissans contre lesquels les philosophes français unissaient leurs efforts. Ils surent juger quand ceux-ci passaient le but, et ne les suivirent qu'en les rectifiant. Le seul Hume, parmi eux, offensa les Anglais par des essais où l'incrédulité se faisait sentir; mais il fut le bienfaiteur de son pays en analysant, dans son Histoire d'Angleterre, les-vains prétextes et les sophismes des partis, en revisant une foule de jugemens dictés par la haine, en montrant toujours des points de ralliement pour l'honnête homme au milieu des tempêtes politiques, et enfin en rendant utile à ses compatriotes le souvenir des sanglantes discordes de leurs aïeux. Robertson, dans son Histoire de CharlesQuint, et surtout dans la majestueuse introduction de cet ouvrage, sut encore surpasser Hume en élévation et en sagesse. Le flegme de celui-ci laisse quelquefois trop d'excuses au vice et ôte trop d'éclat à la vertu. Le calme de Robertson est aussi pur et aussi imposant que celui de la conscience. Ce n'est jamais par une expression maligne ou emportée qu'il relève les erreurs les plus absurdes et les plus funestes des temps passés. A la manière dont il enchaîne

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les événemens, on croit entendre un inter prète respectueux de la Providence. Les idées d'une morne fatalité cessent de

poursuivre le lecteur. Avec quel étonnement ne voit-on pas la civilisation qui chemine à travers dix siècles inégalement empreints des traces de la barbarie! Comme on jouit de la voir accélérer subitement ses progrès, sortir des écueils où elle était menacée de s'engloutir, triompher des guerres civiles et religieuses! Robertson aide à prévoir tous les maux et à en trouver le remède. D'autres exaltent plus vivement l'espérance; il enseigne à ne désespérer jamais. Les illustres amis de ce grand historien, les Smith, les Fergusson, les Blair, et beaucoup d'autres dont les travaux sont plus récens, furent fidèles à une philosophie qui conciliait les découvertes modernes avec les leçons de l'antiquité et celles du christianisme. L'université d'Edimbourg devint aussi féconde que l'avait été chez nous le Port-Royal en écrivains profonds et laborieux, et l'esprit de secte n'y pénétra point. Dans la paisible enceinte d'un collége, et sous les auspices de cette noble amitié dont la vérité fait le charme et maintient la durée, on réformait ou l'on réduisait à une expression juste des principes que nos philosophes avaient créés

avec plus de génie, mais qu'ils avaient présentés avec moins de méthode et de sagesse. Cette école écossaise s'attachait à augmenter la vénération des Anglais pour Montesquieu. Elle restreignait les maximes des économistes français et en facilitait l'application. En blåmant Voltaire de sa pernicieuse légèreté, elle découvrait souvent une pensée forte dans ce qui ne paraissait chez lui qu'une pensée ingénieuse. Elle empruntait à J. J. Rousseau ce qu'il avait dit sur l'énergie du sentiment moral, réfutait ses paradoxes et plaignait ses malheurs. Pour confondre les matérialistes, et pour renverser la désespérante hypothèse d'Helvétius, elle s'attachait à développer les effets heureux et progressifs du sentiment qui nous fait aimer nos semblables, nous associe à leur joie, nous affecte de leurs peines, et nous rend juges éclairés de leur approbation et de leurs reproches. Telle était la philosophie d'Edimbourg, et aucun de ceux qui la professaient ne songeait à prendre le titre de philosophe. Il est naturel de penser que leur sagesse contribua beaucoup à cette tranquillité intérieure que l'Angleterre conserva pendant nos orages. Heureuse l'Angleterre, heureux le monde, si leur philanthropie, sans orgueil et sans

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