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Chalotais (a). Le duc d'Aiguillon, abandonné des trois ordres, se vit bientôt accusé par eux des mêmes griefs que le parlement avait articulés dans sa procédure. La Chalotais était venu déclarer à la cour que l'unique vœu de la Bretagne était d'être délivrée d'un commandant infidèle, lâche et coupable d'exactions. Il promettait que la province, satisfaite sur ce point, s'empresserait de concourir aux besoins de l'État. Le duc de Choiseul avait concerté ce plan avec ce magistrat, qu'il se plaisait à opposer au plus dangereux de ses rivaux.

Mais le roi, quelque habitué qu'il fût à composer avec les parlemens, s'offensa de voir qu'une province attachait une condition à son obéissance. Il s'exprima en termes menaçans sur La Chalotais et sur le parlement de Rennes. Tous les ministres, à l'exception des ducs de Choiseul et de Praslin, animèrent son ressentiment. Le contrôleur général Laverdi, quoiqu'il fût sorti

(a) La conduite de chacun des trois ordres des Etats de Bretagne varia beaucoup pendant cette longue et orageuse discussion. J'ai cru devoir supprimer ces détails, quoiqu'ils eussent pu servir à montrer le commencement de la lutte du tiers-état contre la noblesse.

Procès

La Chalotais

récemment des rangs de la magistrature, proposa des moyens rigoureux pour conProde, fondre l'audace parlementaire. La Chalotais revint irrité dans la Bretagne, et se repentit des sacrifices qu'il avait faits à la politique. Nul homme ne connaissait mieux le droit public de la monarchie. Il s'exerçait en combinaisons pour donner plus de stabilité et de force aux limites. que le temps avait élevées contre le pouvoir absolu. Les parlemens et les philosophes, quelle que fût leur opposition habituelle, parlaient avec une vénération commune de La Chalotais, et voyaient en lui l'homme qui pouvait faire subir à nos vieilles constitutions des changemens indiqués par les lumières du siècle. La vaste correspondance qu'il entretenait le rendait presque aussi puissant à Paris, à Rouen, à Toulouse, que dans la Bretagne. Le duc d'Aiguillon, qui surveillait toutes ses démarches, annonçait à la cour l'existence d'un complot pour renverser les lois de la monarchie. Suivant lui, La Chalotais n'en était que l'agent, et le duc de Choiseul lui-même en était le moteur.

Telle était la situation des esprits, lorsque le roi se plaignit dans son conseil, de lettres anonymes qui lui avaient été adressées au

sujet des troubles de la Bretagne. Le style en était outrageant et séditieux. Lavrillière fut chargé de prendre des renseignemens sur ces lettres. Ce secrétaire d'Etat était oncle du duc d'Aiguillon, dont il secondait les intrigues autant que le lui permettait sa vieille circenspection. Il montra un jour ces lettres anonymes à un jeune maître des requêtes, Calonne. Celui-ci s'écria : Voilà l'écriture de M. de La Chalotais. Soit que ce fût une scène concertée entre eux, soit que Calonne, pressé d'attirer sur lui les faveurs de la cour, au risque d'encourir l'indignation du public, eût imaginé seul ce moyen de faire triompher le duc d'Aiguillon de son ennemi, Lavrillière se hâta de venir communiquer au roi le prétendu trait de lumière qu'on venait de lui fournir. En recevant cette révélation, le roi sort de son flegme accoutumé; il ne s'arrête point à l'invraisemblance qu'offre un délit aussi lâche, aussi gratuit, de la part d'un magistrat considéré. On informe, on nomme des experts pour comparer les écritures. Calonne redouble d'assurance. Laverdi est transporté de fureur. Le duc de Choiseul garde le silence, il n'oserait trahir l'intérêt qu'il porte à l'accusé; mais il prévoit toutes les fautes où ses

ennemis vont s'engager par leur précipita tion. La Chalotais, Caradeuc son fils, aussi procureur général, trois conseillers du par lement de Rennes, dont deux se nom-' maient Charrette, sont arrêtés. Leurs papiers sont visités, et Calonne publie qu'il y a trouvé les preuves d'une conspiration; que le procureur général La Chalotais et son fils ont provoqué tous les parlemens à la désobéissance; que des associations criminelles disposent les peuples à rompre les freins les plus sacrés; que de là partent des billets anonymes outrageans pour la majesté royale, des libelles séditieux, un systême de calomnie et de fausses dépositions contre les plus fidèles sujets du roi, et que les conspirateurs ont poussé le délire jusqu'à vouloir élever, sur les ruines de la monarchie, un gouvernement où se réaliseraient les chimériques hypothèses présentées par J. J. Rousseau dans son Contrat social.

Ces accusations ont été à peine prononcées, qu'un cri général s élève pour les confondre. La nation, dont l'énergie s'était, depuis le commencement du siècle, stérilement consumée dans des controverses plus religieuses que politiques, intervient avec ardeur dans un démêlé qui lui est annoncé

A

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comme la lutte du civisme contre la tyrannie; on dirait qu'elle se croit représentée par les États de Bretagne. Les parlemens sont absous de tout ce qu'ils ont fait de contraire à l'opinion publique, s'ils s'unissent à La Chalotais, s'ils font trembler ses ennemis. Le gouvernement, pour constater et pour punir un délit imaginaire, veut tantôt recourir à des formes légales, et tantôt employer les mesures les plus arbitraires. Les unes dés cèlent sa pusillanimité, les autres sa maladresse. L'accusateur de La Chalotais, l'imprudent Calonne, sent qu'il a besoin de se justifier lui-même. Il propose que le parle→ ment de Bretagne juge lui-même ceux de ses membres qui ont insulté par leurs écrits et menacé par leurs intrigues la majesté royale. Ce parlement depuis plusieurs mois avait interrompu son service par des démissions combinées. Le roi, quoiqu'il se fût d'abord prononcé contre une mesure pusillanime, lui fit offrir de le rétablir dans ses fonctions, sous l'unique condition d'instruire le procès de ses procureurs généraux, et supporta l'humiliation d'un refus. Enfin, le gouvernement, fati gué de vaines négociations avec des magistrats qui le bravaient du sein d'un exil glorieux, investit une commission de la connaissance

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