Imágenes de página
PDF
ePub

Affaire du

Paraguai embarrassée du fardeau de ses immenses possessions dans le Nouveau-Monde, avait aban

1754

ils

donné aux jésuites, comme à titre de fief, le 1756. vaste et fertile territoire qui compose la province du Paraguai. Heureux d'y trouver des peuplades dont l'extrême douceur de caractère paraissait tenir à la stupidité, ils en avaient fait des chrétiens peu instruits, et des esclaves dociles ; ils exerçaient sur eux la triple autorité de souverains, de maîtres et de pontifes; s'étaient attachés à leur faire trouver le bonheur dans un travail modéré. Leur espérance était d'attirer des tribus voisines sous leurs lois paternelles et minutieusement régulières. En suivant ce systême, une grande partie du Nouveau-Monde pouvait, avec le temps, leur appartenir, et la philosophie devait regretter qu'ils n'y eussent pas pénétré plus tôt. Les dominicains voyaient avec une extrême jalousie un gouvernement theocratique qu'ils n'apas su fonder dans des contrées où ils avaient accompagné les Pizare et les Almagro. Ce fut, dit-on, par un effet de leurs intrigues que la cour d'Espagne céda au Por tugal quelques districts du Paraguai. Les jé suites en furent alarmés ; il semblait qu'on eût disposé de leur bien. Le Portugal menaçait de troubler la domination de ces singuliers vassaux. Pour la conserver, ils eurent re

vaient

cours d'abord à des menaces, ensuite à des soulèvemens: Dans plusieurs cantons du Paraguai ils armèrent leurs paroissiens. Les deux cours de Madrid et de Lisbonne s'offensèrent de cet esprit de révolte. Les jésuites avaient dans la dernière un ennemi puissant; c'était Carvalho, depuis marquis de Pombal.

de Pombal

contre eux.

Ce ministre s'attendait à être contrarié Le marquis par eux dans tous les projets qu'il avait se déclare conçus pour rendre du lustre et de l'indépendance à un Etat dont ils entretenaient 1757. à dessein la déplorable apathie. Afin de leur faire tête, Carvalho s'était rapproché des dominicains. Il se servit de l'inquisition mème pour diminuer dans sa patrie l'autorité du pape et de sa milice spirituelle. Mais en faisant des efforts pour ranimer l'activité des Portugais, il se gardait bien d'exciter celle du prince qui lui abandonnait les rênes de l'Etat. Le roi Joseph s'abandonnait avec fougue à son penchant pour les plaisirs. Plusieurs femmes d'une naissance distinguée avaient cédé à ses volages amours, ce qui lui avait suscité des ennemis secrets dans des familles puissantes. Le duc d'Aveyro. grand-maître de la maison du roi, avait à se plaindre d'un double outrage: sa femme et sa fille avoient été séduites par Joseph. Il

Procès de pulsieurs

portugais et

1759.

se contint tant qu'il lui fut possible de paraître ignorer ce malheur. Mais un jour où il donnait des ordres à un valet de chambre nommé Texeira, celui-ci, qui passait pour être l'agent des amours de son maître, lui répondit avec insolence. Le duc crut l'humilier en lui reprochant son infâme métier. Demandez, reprit l'effronté Texeira, demandez à votre femme, à votre fille si je ne m'en acquitte pas avec honneur. Le duc d'Aveyro ne respira plus que pour la ven geance.

L'illustre famille des Tavora n'était pas seigneurs moins animée contre le roi. La jeune mardes jésuites. quise de ce nom, aimée éperduement d'un 1758 époux aimable auquel elle était unie depuis peu, avait reçu avec le trouble et la joie de la vanité les hommages d'un prince voluptueux. Il avait cherché à couvrir du plus profond mystère cette nouvelle intrigue; mais rien n'avait échappé à la jalousie du jeune marquis, ni à la surveillance d'une famille fière et sage. Le père, la mère, les frères et les sœurs du marquis de Tavora se communiquaient leurs alarmes, leurs découvertes et leur ressentiment. Le duc d'Aveyro s'approcha d'eux; et ces seigneurs gémissaient ensemble de ne pouvoir de

[ocr errors]

mander compte au roi de leur injure. Leur fureur s'accroissait à mesure qu'ils recevaient les preuves du commerce clandestin du roi avec la jeune marquise. Tavora parlait de tuer le prince qui le déshonorait. Le duc d'Aveyro faisait la même menace. Toute la famille de Tavora les approuvait. Déjà la crainte des supplices n'était plus suffisante pour les contenir; mais des scrupules religieux les retenaient encore. On résolut de consulter des jésuites sur la question de savoir s'il est permis de tuer un roi qui trouble par l'adultère le repos des plus illustres familles, qui opprime son peuple et compromet la religion. On vantait dans Lisbonne comme un prodige de sainteté le père Malagrida, vieillard qu'on prétendait être honoré du don des miracles. Le duc d'Aveyro consulta ce moine et deux autres jésuites. Ceux-ci, nourris des principes que les casuistes de leur société avaient publiés dès le temps de la ligue pour justifier le régicide, et regardant d'ailleurs un monarque comme réprouvé par le ciel lorsqu'il donnait de l'inquiétude aux jésuites, animèrent ces seigneurs à une vengeance coupable, en prononçant du ton le plus calme que l'assassinat du roi ne serait pas

méme un péché véniel,

Les faits que je viens d'énoncer paraissentprouvés suffisamment; mais une procédure violente, illégale et barbare'a laissé du doute sur la nature et sur les complices de F'attentat qui fut commis peu de temps après cette consultation. Dans la nuit du 3 septembre 1758, le roi Joseph revenait, suivant les uns, d'une promenade, suivant les autres de l'hôtel de Tavora, où la jeune marquise l'avait introduit furtivement. Il était dans! une voiture, avec son valet de chambre Texeira, qui, dit-on, par une singulière condescendance de son maître, occupait' la droite. La voiture fut assaillie par trois hommes à cheval. L'un d'eux tira sur le cocher avec une carabine qui ne prit pas feu. Les deux autres tirerent derrière la voiture, et le roi fut blessé au bras droit. Les assassins se retirèrent précipitamment après cet attentat. Le roi se fit conduire dans un hôtel voisin, et rentra peu d'heures' après au palais de Belem. Il y vécut enfermé pendant trois mois comme dans une citadelle, sans aucune communication' avec sa cour, et ne recevant que son' chirurgien et' le marquis de Pombal. Il s'était abstenu d'exprimer aucun soupçon sur les auteurs du coup qui lui avait été porté. Pombal

« AnteriorContinuar »