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ment une irrévérence, lui à qui il fut permis de commettre impunément, pendant une trentaine d'années qu'il séjourna dans notre pays, tous les excès imaginables.

Des actes nous ont conservé la mémoire d'une dévastation commise auprès de Montbrison, qui semble bien se rapporter encore au soulèvement du Forez.

Une montagne isolée, appelée à cause de sa configuration Saint-Romain le Puy, se présentait avec un triple étage de fortifications au sommet un redoutable château protégeant un prieuré de bénédictins, au milieu une enveloppe de murailles élevées pour la défense du bourg, tandis qu'au bas une autre muraille circonscrivait une première enceinte ou basse-cour, qui était en temps de guerre le refuge des habitants de la campagne.

Dans un moment où cette basse-cour était pleine de fugitifs, les gens-d'armes de Rodrigue fondirent dessus. Ils dispersèrent les hommes, firent proie des provisions et du bétail, et laissèrent les lieux dans un état de délabrement que d'autres compagnies, venues après eux, changèrent en destruction complète. La relation n'ajoute rien de plus, sinon que la population rurale, qui commençait à reparaître en 1455, demanda pour sa sécurité le rétablissement du refuge de Saint-Romain'.

C'est au cours de ces obscures opérations, le 7 mars 1451, que notre capitaine reçut enfin la concession en règle de la seigneurie de Puzignan 2. L'acte

1 Pièces justificatives, n° xxx. 2 Pièces justificatives, n° vi.

royal qui consacra ses droits sur cette propriété ne dit rien du don qui lui en avait été fait, ou du moins qui avait été proposé pour lui, par les États du Dauphiné. La chose est présentée comme une faveur venant de l'initiative du prince. Les us monarchiques voulaient qu'il en fût ainsi. Peut-être même auraient-ils exigé que la motion des députés dauphinois fût regardée comme non avenue; mais en temps de calamité on passe pardessus les principes. Il est permis de croire que Rodrigue de Villandrando, très-irrégulièrement remboursé de ses frais de guerre, criait famine, et qu'afin de lui faire prendre patience on lui lâcha d'abord ce morceau qu'il avait le droit de réclamer comme sien. Bientôt, sur sa menace de mettre le Languedoc au pillage (menace à laquelle il donna un commencement d'exécution par l'invasion du Rouergue1), on lui procura un supplément de quatre mille écus qui lui furent alloués par la province'. Enfin on prit le parti de l'envoyer contre les Anglais de la Guienne, afin de leur reprendre les châteaux de Saint-Exuperi et de Charlus, d'où ils désolaient le Limousin3. La suite des événements donne à penser qu'à cette mission en fut ajoutée une autre, qui consistait à faire payer cher son passage à des seigneurs dont avait à se plaindre le ministre omnipotent. Il faut savoir que M. de la Trémoille revendiquait en ce temps-là la succession du comté d'Auvergne,

1 Pièces justificatives, n° viii.

2 Jolibois, Inventaire sommaire des archives communales d'Albi, p. 42, à la date du 20 août 1431.

5 Inventaire manuscrit des Archives communales d'Ussel rédigé en 1749. Communication de M. Paul Huot.

qu'il prétendait lui être échue du chef de sa défunte femme, Jeanne de Boulogne.

Rodrigue prit le chemin de la Basse-Auvergne au temps de la récolte, qui était la bonne saison pour les routiers. Il menait avec lui ses associés Andrelin et Chapelle, ayant renvoyé Valette dans les Cévennes. Aux environs de Montpensier, il fait exécuter une battue générale, et tous les gens de la campagne qu'on lui arrête, il les emmène en captivité. Alors la province s'émeut. Jean de Langeac, sénéchal d'Auvergne, lui envoie des propositions d'accommodement, puis vient le trouver lui-même avec un banquier de Clermont pour fixer à l'amiable le chiffre du patis. Les villes joignent leurs soumissions aux politesses du sénéchal. Elles envoient des présents pour se recommander, généreuses à tout prix, même jusqu'à commettre des violences afin de se procurer plus vite les objets qu'elles destinent au terrible capitaine. On trouve que les consuls d'Ambert lui offrirent un cheval qu'ils avaient pris de force au bailli d'Alègre1.

En vertu d'une délibération prise par les États d'Auvergne en 1450, la province, de concert avec celles de Bourbonnais, Beaujolais et Forez, avait créé pour la défense commune un comité de cinq personnes, qui devaient avoir le maniement d'un fonds spécial destiné à entretenir un contingent fixe d'hommes-d'armes et de fantassins. On était convenu que l'argent serait conservé avec toutes les précautions d'usage en ce temps-là, c'est-à-dire mis dans un coffre fermé de cinq serrures 1 Pièces justificatives, n'x.

(autant qu'il y avait de commissaires), et que chacun de ceux-ci en garderait une clé1. Si ce coffre fût bâti, il ne reçut pas l'emploi auquel on l'avait destiné, puisque nous voyons, au bout d'un an, la province surprise n'avoir pas un soldat à opposer à ses envahisseurs.

De l'Auvergne Rodrigue passa en Limousin, ayant licence d'aller compléter sa moisson sur les terres de la maison de Ventadour, dont était la comtesse titulaire d'Auvergne, celle avec qui La Trémoille se trouvait en compétition. La ville d'Ussel, capitale du comté de Ventadour, éloigna la menace d'un siège en payant une contribution qu'elle ne put parfaire qu'à force d'emprunts. Nous avons les pièces d'un règlement de compte daté de 1434. Elles constatent que le comte de Ventadour avait prêté sa vaisselle d'argent pour aider ses sujets à se racheter. La malheureuse ville ne s'était pas encore libérée en 1439 2.

Les bandes, poursuivant la campagne qui leur avait été tracée, réussirent-elles à délivrer le Limousin de la présence des Anglais? On serait tenté de le croire quand on voit leur chef, à peu de temps de là, gratifié d'une seconde seigneurie. Le 3 avril 1432, Rodrigue reçut, à titre de propriété transmissible seulement à sa descendance masculine, le château et la châtellenie de Talmont-surGironde. C'était là un domaine d'une véritable importance par son étendue et par la station maritime qui en dépendait, une récompense à la hauteur d'une

1 De la Mure, Histoire des ducs de Bourbon, pr. t. III, p. 196. 2 Paul Huot, Les archives municipales de la ville d'Ussel (In-4*, Ussel, 1856).

5 Pièces justificatives, no xII.

action d'éclat. Toutefois les considérants de l'acte de donation n'allèguent point de succès récent obtenu sur l'ennemi. La seule raison qui soit mise dans la bouche du roi, c'est qu'il entendait que Rodrigue « fût désormais son homme, et plus astreint à le servir»: langage étrange, et plus digne d'un chef de parti que d'un souverain. Il fait penser aux factions qu'une détestable politique avait déchaînées de nouveau sur le royaume, après le beau mouvement de concorde qui fut l'œuvre de Jeanne d'Arc.

Lorsque, par suite des conquêtes nouvellement effectuées, on avait à se défendre sur une plus grande étendue de frontières, quatre guerres civiles étaient engagées ou menaçaient à l'intérieur : guerre pour la possession du pouvoir entre La Trémoille et les princes de la maison d'Anjou; guerre pour des intérêts de famille entre le duc d'Alençon et le duc de Bretagne ; guerre de voisins qui ne se pouvaient pas souffrir entre le comte de Foix et le comte d'Armagnac; guerre entre les prélats et la noblesse des diocèses de Mende et du Puy. La cause de cette dernière est inconnue; mais on sait que des voies de fait avaient eu lieu dès le commencement de 1452, et que les deux partis ne négligeaient rien pour se mettre aussi promptement que possible sur le pied de guerre'.

Nous ignorons trop de choses pour voir clair dans ce trouble universel. Tout ce qu'il est possible de discerner au sujet de Rodrigue, c'est le voyage d'un de ses écuyers, député par lui comme ambassadeur auprès du

1 Vaissete, Histoire de Languedoc, t. IV, p. 480.

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