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et par de fausses démonstrations tenir les Bourguignons en échec pendant plus de six mois. L'un de ses stratagèmes fut de faire croire à une jonction concertée entre lui et Barbasan, qui guerroyait alors en Champagne pour le duc de Bar, allié du roi de France. L'ennemi fut longtemps paralysé par la surveillance à laquelle cette feinte l'obligea1. A la fin, un hardi coup de main exécuté au profit du parti bourguignon ayant contraint notre capitaine à diviser aussi ses forces, l'avantage conservé jusque-là fut perdu.

On n'a pas oublié ce Varambon, qui paya si cher l'échauffourée du prince d'Orange. Dès qu'il fut rendu à la liberté, il ne songea qu'à réparer son désastre par la première belle prise qui se présenterait à faire.

Nous avons dit qu'il avait été ruiné par l'acquittement de sa rançon. Il l'était au point qu'on manquait de tout dans son château de Varambon, et que sa fille, qui vivait à l'abandon dans cette résidence, n'avait pas de quoi s'habiller pour sortir 2.

Le duc Philippe lui ayant confié d'abord la défense de Mâcon, il se comporta dans cette ville en vrai chef

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<< A Martin Lourdain, le viij jour dud. mois de décembre, la somme de six frans pour aller, lui vingtiesme de hommes d'armes, sur les marches de la rivière de Loire, où l'en disoit estre Rodigue et autres ennemis à grant compaignie pour venir devers le dit Barbasan. » Des commissions semblables furent données depuis le 19 novembre 1430, sans que Rodrigue soit spécifié parmi les ennemis qui les motivaient, mais avec l'indication que Barbasan assiégeait alors le château de Chappes. Quatrième compte de Mahieu Regnault, fol 140 et 143, vo.

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« Dépense du bailli de Bresse, qui était allé en armes avec quelques chevaliers à Varambon pour y prendre la fille de Varambon et la conduire à sa grand-mère, Aynarde de la Baume. Cette commission ne put être exécutée, parce que la jeune fille fut trouvée dépourvue de vêtemens et presque nue. » Garnier, Inventaire sommaire, etc., t. III, p. 85.

de routiers. On l'en retira sur la plainte des habitants'. C'est alors qu'il prépara, on dit avec l'approbation du gouvernement anglais, le coup qui devait lui rendre, à son calcul, l'équivalent de ce qu'il avait perdu.

Ayant ses propriétés en Bresse, il connaissait l'état du pays des Dombes, dépendance de la couronne ducale de Bourbon, mais dépendance défavorablement placée à cause de son isolement sur la rive gauche de la Saône. Sans tenir compte de la paix qui s'était rétablie entre le duc de Bourbon et le duc de Savoie, lui, vassal de la Savoie, mais plus bourguignon que bressan, il trouva légitime de porter la guerre dans les Dombes. En conséquence, il réunit une armée de pillards qu'il amena sous les murs de Trévoux dans la nuit du 18 mars 1451. La ville, où l'on ne s'attendait à rien de pareil, fut prise par escalade. Le vainqueur, après l'avoir livrée au pillage, s'y établit fortement, bien qu'il n'eût pas pu s'emparer du château'. Le prince Charles de Bourbon n'eut pas assez de sa noblesse pour le chasser de là. Il lui fallut l'assistance d'une partie des routiers. Il en résulta que, pendant qu'on recouvrait Trévoux, on fut obligé d'évacuer les places conquises du Mâconnais et du Charolais. Dans toute cette région il ne serait pas resté aux Français un scul pouce de terrain, si quelques-uns, au cours de la retraite, n'eussent trouvé l'occasion de se saisir de Mar

1 Marcel Canat, Documents inédits, etc., p. 202-204.

2 Aubret, Mémoires pour servir à l'histoire de Dombes, t. III, p. 533; Costa de Beauregard, Souvenirs du règne d'Amédée VIII, p. 79, et les pièces justificatives du même ouvrage, p. 228 et 233.

5 Garnier, Inventaire sommaire, etc., III, p. 85.

cigny et d'y mettre une garnison que tous les efforts des Bourguignons ne parvinrent point à déloger.

À la suite de ces revers il fut question d'un retour offensif. L'armée bourbonnaise était à Charlieu au mois d'avril 1451 avec les bandes de Rodrigue et de Valette au grand complet, avec six chariots d'artillerie'. On s'attendait à la voir entrer en campagne, et déjà Ferinoso, poursuivant d'armes du castillan, était allé porter le défi de son maître au prince d'Orange et à Varambon, lorsque le Forez fut bouleversé par une explosion de communisme.

si

Avoir à payer contribution sur contribution, et pour peu de résultat, lorsque tant de privilégiés échappaient aux charges dont le pauvre monde était écrasé, avait exaspéré les populations d'entre la Loire et le Rhône. Une fermentation dangereuse s'était manifestée dès le temps de la mort du feu roi. A plusieurs reprises, pendant les dix dernières années, la force publique dut être employée, autour de Lyon, à disperser des rassemblements excités par des prédicateurs de robe courte, qui remontraient que la malédiction prononcée contre Adam avait atteint tous les hommes, sans exception de nobles ni de clercs; que chacun était tenu de gagner son pain à la sueur de son front; qu'il ne fallait plus de seigneurs, et qu'un seul prêtre suffirait pour le service de chaque paroisses.

1 Marcel Canat, Documents inédits, etc., pp. 308, 316; Garnier, Inventaire sommaire, t. II, p. 5.

2 Marcel Canat, Documents inédits, etc., P. 315.

5 Pierre de Saint-Julien de Baleurre, De l'origine des Bourgongnons, p. 476; Lettre d'Imbert de Groslée au conseil de ville de Lyon (8 juin 1422), aux Archives communales de Lyon, AA, 82.

Ces doctrines, propagées dans les montagnes du Forez et du Velay, aboutirent à un éclat d'une violence extrême. L'historien De la Mure a mentionné cette perturbation sans en dire autre chose, sinon qu'elle fut l'ouvrage « de bandits qui étaient de la secte dont il est parlé au troisième tome des Conciles, lesquels, soutenant qu'il ne devait point y avoir d'inégalité de condition parmi les hommes, s'attaquaient aux gens d'église et aux nobles, assaillaient les chasteaux et maisons fortes, et y faisaient des hostilités épouvantables1. »

Le même écrivain ajoute que ces insurgés furent taillés en pièces par la noblesse forésienne. On peut hardiment donner pour auxiliaires aux nobles de Forez ceux du Bourbonnais et les routiers de Rodrigue, c'està dire toute l'armée réunie à Charlieu, laquelle fut empêchée par cet incident de servir à l'objet en vue duquel elle avait été formée. Outre la levée d'un impôt extraordinaire dont le capitaine espagnol eut sa part', un autre indice que les routiers contribuèrent à la repression est dans ce fait que, vers ce temps-là, ils se transportèrent, en remontant la Loire, jusqu'à la limite du Forez et du Velay.

Histoire des ducs de Bourbon et des comtes de Forez, 1. III, c. xvi (t. II, p. 147).

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« Notice des sommes payées à Georges Boix, à Rodrigo, au comte de Clermont, à Guichard de Marzé seigneur de Greysieu, et autres, sur les impôts levés en Forez au mois de septembre 1431 et au mois de juin 1432. » Lecoy de la Marche, Titres de la maison ducale de Bourbon, t. II, p. 249. La pièce est au registre P 14022 des Archives nationales, cote 1328, et l'article qui concerne Rodrigue est ainsi conçu : « Item de l'impost, et le doublet, et commissions par nous faictes de la somme de vij treize escus pour Rodigo, ou moys de novembre l'an dessusdit mil cccc xxxj. »

Sur une sinuosité du fleuve qui séparait autrefois les deux provinces, comme elle sépare encore aujourd'hui les deux départements de Loire et Haute-Loire, se présente en amphithéâtre le pittoresque village d'Aurec. L'église est des plus anciennes de la contrée. On y voyait autrefois, plantée dans l'un des battants de la porte, une bossette en cuivre doré, au sujet de laquelle se débitait un conte qui doit trouver sa place ici, car Rodrigue en est le héros.

Ce seigneur espagnol, disait-on, étant venu à Aurec, entra dans l'église sans daigner mettre pied à terre. Il ne descendit de cheval que lorsqu'il fut au sanctuaire, et là, pour mettre le comble à son insolence sacrilège, il attacha sa monture après une statue de saint Pierre, qui décorait l'autel. Le châtiment ne se fit pas attendre. Le cheval entra en fureur et commença à faire de tels sauts, que son maître remonta dessus pour en venir à bout. Mais il n'y eut bride ni frein qui tinssent. L'animal s'élança de pleine course jusque dans la Loire, où il noya son cavalier. Le corps de Rodrigue fut repêché à Cornillon en Forez. Quant au cheval, il sortit du fleuve sain et sauf, et la bossette de son mors fut consacrée dans l'église d'Aurec en mémoire du jugement de Dieu, dont il avait été l'éxécuteur1.

L'histoire n'a rien à démêler dans cette légende, si ce n'est l'expression d'un sentiment populaire qui n'est pas en faveur de la piété de notre capitaine. Sa destinée n'était pas de périr noyé, ni de payer si chère

1 De la Mure, Histoire des ducs de Bourbon, t. II, p. 147.

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