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les vainqueurs d'Anthon investirent à la fois le château et la ville.

Pour défendre l'un et l'autre il n'y avait ni magicienne, ni paladins. Lorsque les habitants d'Orange virent l'ennemi de tous les côtés, ils se prirent à réfléchir que leur seigneur était bien loin, que les passages lui étaient fermés pour venir jusqu'à eux, enfin qu'il valait mieux crier vive le roi ! que subir l'assaut de ces Français, qui gâteraient la ville, s'ils la prenaient de force, tandis que, reçus sans résistance, ils ne séjourneraient guère, et par leur retraite laisseraient à la population la liberté de se retourner comme elle voudrait. En conséquence, il y eut soumission et de la ville et du château (3 juillet 1450).

Les vainqueurs firent leur entrée aux acclamations de la foule, ne trouvant sur leur trajet que des visages avenants. Lorsqu'on fut arrivé à la grande salle du château, Gaucourt entouré des capitaines, comme un Charlemagne au milieu de ses pairs, se donna le plaisir d'instituer de nouveaux fonctionnaires et de recevoir les serments au nom de roi. Jonquières, Gigondas, Courthezon, et toute la principauté jusqu'au territoire du pape, se soumirent à l'exemple de la capitale.

Cette conquête fut un résultat brillant, mais peu durable, de la défaite du prince d'Orange. Aussi n'en parla-t-on guère en France; mais au contraire, la bataille d'Anthon, qui avait sauvé la couronne delphinale, fut l'objet de tous les discours, et pour plusieurs une consolation de la perte de Jeanne d'Arc; car il est à noter que la Pucelle fut prise devant Compiègne le

jour même que les routiers s'éloignèrent d'Annonay pour prendre le chemin du Dauphiné. On sut partout la part considérable que Rodrigue de Villandrando avait eue dans la victoire; quelques-uns allèrent même jusqu'à lui en attribuer tout l'honneur 1. Son nom, depuis cette journée, fut familier à tous les Français.

Par une distinction rare pour l'époque, il reçut le témoignage public de la reconnaissance de la province. Un vote des États du Dauphiné lui adjugea la propriété du château et de la châtellenie de Puzignan, confisqués pour forfaiture sur Alice de Varax. C'est cette dame en effet qui avait ouvert le château aux orangistes sur qui Rodrigue eut à le reconquérir 3.

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On ne peut pas douter que Charles VII n'ait accueilli avec une satisfaction extrême la nouvelle de la victoire remportée par ses armes. Une autre personne qui ne dut pas moins s'en réjouir fut le seigneur de la Trémoille.

Investi d'un pouvoir de plus en plus absolu sur la direction de toutes les affaires, ce favori portait lourdement la responsabilité d'une suite de revers essuyés depuis qu'il avait mis Jeanne d'Arc à l'écart, de sorte que la défaite du prince d'Orange, quoiqu'il n'y eût

1 Ms. 23018 de la Bibliothèque nationale cité ci-dessus, p. 46. La chronique de Metz, publiée par Don Calmet, dit également : « En celle année fu vaincus le princeps d'Orange par Rodigo, ung capitaine de France. » Histoire de Lorraine, t. II, pr. col. 207.

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« La plassa et terra de Pusignac en el Dalfiné, que le fu ballea et dounaa per les trois Estatz du Dalfinea et confirmea per le roy et le daulphin. » Ci-après, pièce n° LXXXIV.

3 Ci-après, Pièces justificatives, no vi.

contribué en rien, lui servit à justifier sa politique. Il sut même y puiser l'audace et la force de se débarrasser, par un coup d'État, de plusieurs familiers du roi qui lui portaient ombrage'. Un service de cette importance rendu au monarque et à son ministre semblait appeler une récompense peu commune. Cependant on ne voit pas que Rodrigue de Villandrando, après la victoire d'Anthon, ait reçu autre chose que le titre d'écuyer de l'écurie du roi.

L'usage était d'accorder cette dignité aux débutants dans la carrière militaire, que le gouvernement avait l'intention de s'attacher. Elle était de très-petit rapport. Elle avait pour plus clair avantage de donner entrée à la cour. Or la cour n'était pas un lieu que notre capitaine eût l'envie de fréquenter. Il n'entendait pas briguer par des courbettes ou par des intrigues les faveurs que ses prouesses ne lui rapporteraient pas d'emblée. Il était de l'école du vieux compagnon que Jean de Beuil a mis en scène dans son roman du Jouvencel. A un adolescent qui lui demande s'il ne ferait pas bien de commencer sa carrière par un voyage en cour, le vétéran répond: «Ha! voulez-vous jà aller faire la beste! Ha! beau sire, puisque vous avez voulenté d'estre homme de guerre, ne vous vault-il pas mieux d'estre monté et armé à vostre adventure pour la guerre, que d'aller à la court prier le roy ne faire l'ennuyeux après les seigneurs, despendant vostre argent et perdant temps, comme font plusieurs qui ne sçauroient vivre, qui ne

1 Arrestation et mise en jugement d'Antoine de Vivonne, André de Beaumont et Louis d'Amboise, au mois d'août 1450.

leur donneroit1. » En effet des hommes habitués comme ceux-là à rechercher le péril en plein air n'étaient pas propres à faire faction dans les antichambres, et ils savaient trop bien prendre pour s'abaisser au rôle de quémandeurs.

Un point reste obscur. Rodrigue, si peu rémunéré de ses services, si fermement résolu à ne jamais échanger le séjour de son camp contre celui de la cour, Rodrigue ne laissa pas cependant que de mettre sa personne et son épée au service de M. de La Trémoille. Il se lia avec ce seigneur comme s'il lui eût été redevable de beaucoup, et même au risque de compromettre l'amitié que lui avait témoignée jusque-là le comte de Pardiac. Quel peut avoir été le motif de cet attachement? je l'ignore, mais j'en vois très-bien la conséquence, qui fut l'impunité assurée aux routiers pour tous les désordres auxquels ils se livrèrent tant que M. de la Trémoille resta au pouvoir.

Rodrigue, en vertu du titre dont il venait d'être décoré, fut incorporé de nouveau dans l'armée royale. On le chargea, conjointement avec Imbert de Groslée, de la défense de la frontière bourbonnaise. Depuis le mois de septembre 1430, ils ne cessèrent de courir en avant de leurs lignes, faisant tout le mal possible aux Bourguignons du Charolais et du Mâconnais. Leurs ravages s'exercèrent principalement sur les terres de l'abbaye de Cluny, qui furent soumises au régime de l'occupation armée par la prise de Mazille, Pierre-Clos, Bois

1 Analyse du Jouvencel, par M. P. Paris, Les manuscrits françois de la Bibliothèque du roi, t. III, p. 136.

Sainte-Marie et Sancenay. Le pays était gagné, si les capitaines avaient pu s'emparer de Cluny et de Paray-leMonial; mais ils tentèrent sans succès le siège de ces deux villes1.

Bientôt ils furent forcés de se tenir strictement sur la défensive, par l'arrivée d'un puissant renfort envoyé de Dijon sous la conduite du vicomte d'Avallon et du prince d'Orange, le vaincu d'Anthon, à qui le duc Philippe voulut procurer l'occasion de racheter sa défaite. Pour seconder ces deux grands seigneurs, un troisième capitaine, supérieur par le talent, fut appelé de la Charité-sur-Loire, qu'il tenait contre les Français depuis le commencement de la guerre. Il est célèbre dans les chroniques sous le nom de Perrinet Grasset. Son véritable nom fut Gressart. Il était maçon de son état3; les événements le rendirent homme de guerre. En 1431 il portait le titre d'écuyer et de panetier de la maison de Bourgogne. Il fit de Montcenis son centre d'opérations pour la défense de Charolais*.

Rodrigue, retranché de l'autre côté de la Loire, sut protéger à distance les places dont on s'était emparé,

308;

1 Marcel Canat, Documents inédits, etc., pp. 200, 304, Inventaire sommaire des archives de la Côte-d'Or, t. II, p. 5.

Garnier,

9 Quatrième compte de Mahieu Regnault, parmi les comptes de la maison de Bourgogne, aux Archives de la Côte-d'Or, fol. 114, verso; Marcel Canat, Documents inédits, etc., pp. 304, 309, 312.

3 Chronique des Cordeliers, ms. fr. n. 23018 à la Biblioth. nation., fol. 446, vo, ad ann. 1423 : « En ce temps fu prinse La Charité sur Loire par subtiveté et sans deffense par ung nommé Perrinet Crasset, machon et capitaine de gens d'armes de la partie des Bourguignons. >>

4 Cinquième compte de Mahieu Regnault, fol. 99, aux Archives de la Côte-d'Or. Le titre de panetier du duc de Bourgogne lui était déjà attribué en 1428. Cf. Lecoy de la Marche, Titres de la maison ducale de Bourbon, t. II, p. 238.

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