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hommes, guidés par leurs dispositions naturelles, restaurèrent les principes et furent les instituteurs de leur génération. Rodrigue de Villandrando a sa place marquée parmi eux.

Un autre côté par où il eut l'avantage sur la plupart des hommes de guerre de son temps fut l'instruction. Le sort ne l'avait pas fait naître en vain dans une ville d'université. Lui et ses frères furent mis aux écoles de Valladolid. L'un de ses puînés, appelé Pierre de Corral, du nom de leur mère, composa un livre d'histoire; lui-même sut écrire en espagnol et en français. Sa signature nous a été conservée au bas de plusieurs actes; elle est élégante et dénote une main assurée. Sur une lettre que possèdent les Archives communales de Lyon, elle est accompagnée de quelques mots dont l'écriture est meilleure que celle du scribe qui a tracé le reste. Rodrigue, homme de loisir, aurait pu tenir sa correspondance et administrer ses affaires sans le secours de personne; mais Rodrigue, capitaine, et plus tard grand seigneur, fut obligé d'entretenir à son service des secrétaires, un trésorier, un maître des comptes, enfin tout le personnel d'une maison bien ordonnée.

ils sont devenuz maistres à leurs dépens, et à la fin ont deffaict les Anglois. » Dans Godefroy, Histoire de Charles VI, p. 437.

C'est Curita qui nous apprend que Pierre de Corral était frère de Rodrigue : « un hermano suyo que se llamava Pedro de Corral. » Anales de la corona de Aragon, 1. XIII, c. LXXI. Fernan Perez de Guzman parle d'ailleurs avec peu de considération de cet écrivain: « Como en estos nuestros tiempos hizo un liviano y presuncioso hombre, llamado Pedro de Corral, en una que llamó Coronica Serracina, que mas propriamente se puede llamar trufa o mentira paladina. » Generaciones, semblanzas e obras de D. Enrique III y D. Juan el II, etc., cap. I.

2 Pièces justificatives, n° xxx, et le fac-similé ci-contre.

Il est temps de reprendre le fil des événements.

On était au déclin de l'année 1427. Toute la région de l'ouest, depuis les possessions anglaises de la Guienne jusqu'à la Loire, était plongée dans le désordre précurseur d'une guerre civile; car le sort de cette malheureuse France, si amoindrie, si cruellement maltraitée par l'ennemi sur tout son pourtour, était de voir à tout moment ses défenseurs armés les uns contre les autres.

Présentement, un parti à la tête duquel figuraient le connétable de France, les princes de Bourbon et le comte de Pardiac, poussait à outrance le seigneur de La Trémoille, ministre en faveur, qui prétendait gouverner sans rendre compte à personne, et qui s'était prémuni contre les attaques de ses adversaires en remplissant de routiers à sa dévotion la plupart des forteresses du Poitou. Les mécontents ne s'étaient pas fait plus de scrupule de retirer les compagnies de devant l'ennemi pour se préparer à la lutte. On s'observait des deux côtés, et, le cas échéant, on escarmouchait. Là est l'explication d'une aventure qui nous remet sur la trace de Villandrando, en nous le montrant campé autour de Ruffec, sur la route de Poitiers à Angoulême.

Deux hommes-d'armes espagnols de sa compagnie rencontrèrent, en battant l'estrade, un gentilhomme et son page qui leur semblèrent suspects. Il se trouva que c'était un Du Plessis, qui était capitaine pour le roi du château d'Angle en Poitou. Il allait, disait-il, visiter une de ses terres en Angoumois. Les autres jugèrent probablement qu'il allait en commission pour

M. de la Trémoille : ils le déclarèrent de bonne prise et le mirent à rançon. La somme était forte. Le prisonnier en paya une partie et demanda à être relâché pour aller recueillir le reste; mais, lorsqu'il fut libre, il porta plainte au roi, le suppliant d'interposer son autorité pour lui faire rendre ce qu'il avait déjà soldé. Charles VII en effet décerna un ordre de restitution, dont un poursuivant d'armes porta la signification à Rodrigue de Villandrando 1.

Cependant les choses allaient au plus mal à l'autre extrémité de la province anglo-gasconne. Non seulement la Dordogne, mais le Lot, avaient été franchis. Le Quercy dans toute son étendue et la partie septentrionale du Toulousain étaient ravagés par les partisans à croix rouge. Un de leurs capitaines, nommé André de Ribes, s'était emparé de Lautrec. De là il appatissait Lombez, menaçait Castres, poussait des reconnaissances jusque dans le Rouergue et le Gévaudan. Renvoyé de Lautrec à prix d'argent, il n'avait pas quitté le pays2.

Des choses étranges se passaient à son égard. Les châteaux du comte d'Armagnac lui étaient ouverts pour mettre en sûreté le fruit de ses déprédations. Plusieurs places fortes du domaine de la maison d'Armagnac, dont il s'était rendu maître dans l'Agenais et dans le Quercy, lui avaient été cédées en légitime propriété, et il en montrait les contrats; enfin il se faisait appeler « bâtard d'Armagnac », avec l'assentiment

1 Ci-après, Pièces justificatives, n° III.

Vaissete, Histoire générale de Languedoc, t. IV, p. 469.

du chef de la famille, bien que, d'après ce qu'on savait de son origine, rien ne justifiât cette qualité1. Comment expliquer que le grand seigneur dont le nom servait encore à rallier le parti français fît de ce nom la sauvegarde de tous les attentats commis contre la France?

C'est que le comte d'Armagnac touchait sa part des contributions de guerre levées par André de Ribes, et qu'en même temps, par les courses de ce partisan, il se donnait le plaisir de causer des insomnies au comte de Foix, son rival, qui venait d'être, de préférence à lui, gratifié du gouvernement du Languedoc. Sa perversité ne s'arrêta pas en si beau chemin. Afin d'extorquer la riche succession du maréchal de Séverac, qu'il savait dévolue à son frère Bernard, il séquestra ce vieux capitaine dans l'un de ses châteaux, et, après l'avoir contraint de changer ses dispositions en sa faveur, il le fit étrangler. Par ce crime, qu'il mit impudemment

1 Abolition accordée en 1449 au comte d'Armagnac, dans le registre JJ, 160, pièce 127 du Trésor des chartes, aux Archives nationales. Les griefs articulés dans cette pièce sont déjà énoncés dans un mémoire en béarnais, rédigé du vivant d'André de Ribes, qui existe aux Archives des Basses-Pyrénées, E, 246 : « El (le comte d'Armagnac) a receubut dever si un capitani dels Angles nomnat Andrieu de Ribas, loqual, jassia que sia homme inconegut, e non sap hom propriament dont el es hyssit ni qui es, lo dich conte l'a volgut retenir per bastart de l'ostal d'Armanach, non sap hom per qual titol, e ayssi lo far tot de son hostal. Item al dich Andrieu, angles e de la hobediensa dels Angles, le conte a balhas et donatz en pur don los castels, locs e senhoras de Torno, de Fumel en Agenes, de Gordo en Querci,.... item lo loc de Corbarrieu,... item del castel de Combefa, item de Rieupeyros, etc. » L'abolition ajoute qu'André de Ribes s'était emparé de Châteauneuf de Randon.

2 Le P. Anselme, dans son Histoire généalogique de la maison de France, t. VI, p. 69, accuse à tort de ce crime le comte de Pardiac. Le comte d'Armagnac en est déclaré l'auteur dans un acte authentique de

sur le compte de son frère, il déchaîna sur le Languedoc les compagnies que le maréchal de Séverac, l'un des grands condottieri de son temps, avait entretenues à sa solde.

Pendant qu'il s'employait à défendre contre elles la sénéchaussée de Nîmes', Jacques de Bourbon, beau-père du cadet d'Armagnac, jugea le moment propice pour délivrer de la présence d'André de Ribes ses propriétés de l'Albigeois; car Jacques de Bourbon était comte de Castres en même temps que de la Marche. Il se fit prêter par son gendre l'assistance de Rodrigue de Villandrando, et lança ce capitaine à la poursuite du routier anglais. Celui-ci fut atteint en rase campagne, battu et pris capture glorieuse qui fournit au vainqueur l'occasion de montrer une fois de plus sa loyauté; car, malgré les instances et les offres magnifiques du comte d'Armagnac, qui réclamait son cher bâtard afin de le punir, disait-il, Rodrigue le livra au comte de la Marche, par les soins de qui il fut sur-le-champ mis à mort 2.

Ce comte de la Marche, soit dit en passant, était le mari, mais mari fugitif, de la reine Jeanne de Naples : aussi lui donnait-on le titre de roi. Par un destin étrange, il goûta de la captivité sous toutes ses formes d'abord prisonnier des Turcs à la bataille de Nicopolis, puis des Armagnacs au commencement de la guerre civile,

4445, rapporté par Mathieu d'Escouchy, ch. vII de sa Chronique, d'après un original où le nom du maréchal Séverac avait été laissé en blanc (édit. de Beaucourt, t. I, p. 63).

1 Ménard, Histoire de Nîmes, t. III, p. 145.

Vaissete, Histoire générale de Languedoc, t. IV, p. 473.

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