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une bâtarde de La Trémoille1, et du même coup plusieurs seigneuries en Champagne, qui lui donnaient parmi la noblesse française une situation analogue à celle de son maître. Quoiqu'il fût de la retenue du roi et de plus bénéficié, sur le domaine royal, de la châtellenie d'Issoudun, il se mit à correspondre avec les puissances, comme aurait fait un condottiere indépendant. Il alla jusqu'à traiter avec le duc de Bourgogne en s'obligeant à servir ce prince envers et contre tous, sans faire d'exception pour le roi de France quand il eut soin d'un faire une pour le roi de Castille. Il fit plus. Il se déclara pour le comte d'Armagnac lorsque ce seigneur, enhardi par l'impunité de ses crimes, conçut la folle pensée de s'affranchir de ses devoirs envers la couronne".

C'était aller trop loin, si loin, que les Rodrigais euxmêmes hésitèrent devant l'énormité du cas. Salazar, assiégé dans Rodez avec des hommes qu'il vit mollir, fut obligé de souscrire à une capitulation dont le

pre

1 Elle s'appelait Marguerite et était née d'une demoiselle de ChâteauGuillaume en Berri. Le contrat est du 31 octobre 1441, et les grands services rendus par Salazar au seigneur de La Trémoille y sont allégués Cabinet des Titres de la Bibliothèque nationale, dossier Salazar.

2 Saint-Just en l'Angle, Marcilly-sur-Seine, Fontaine-Bethon, Potangis et Waugonières.

3

Raynal, Histoire du Berri, 1. c.

4 Ci-après, Pièces justificatives, no LXXII.

5 Chronique du héraut Berry, dans Godefroy, p. 424. Il existe dans le dossier Armagnac du Cabinet des Titres, à la Bibliothèque nationale, la déposition d'un chanoine de Lectoure révélant que le comte d'Armagnac avait acheté la complicité de Salazar en lui donnant la seigneurie de Chaudesaigues, qui faisait partie de la succession Séverac, et qui n'avait été attribuée audit comte qu'à la condition de servir d'apanage aux aînés d'Armagnac, ou sinon de retourner au roi.

mier article était qu'il résilierait son commandement1. Le dauphin, qui l'avait réduit à cette extrémité, mit à sa place un autre Espagnol, aimé de Charles VII et recommandé par vingt ans d'un service assidu auprès de la personne du roi. Les chroniqueurs français donnent à ce capitaine le nom de Martin Garcie. Fernan Perez de Guzman, dans son histoire de Juan II, l'appelle Martin Enriquez, et nous apprend qu'il était fils du comte de Guijon. C'est lui qui opéra l'arrestation du comte d'Armagnac à l'Ile-en-Jourdain, où l'armée royale se rendit en quittant Rodez.

Une partie des compagnies qui avaient obéi à Rodrigue tenaient toujours la frontière contre les Anglogascons. Elles se mirent en route pour venir au secours de Salazar, lorsqu'elles apprirent qu'il était en danger. Le dauphin alla à leur rencontre et, au nom de la fidélité qu'elles devaient au roi, les conduisit à l'assaut des places de Séverac et de Capdenac, où la rébellion suscitée par le comte d'Armagnac acheva d'être étouffée".

Aussitôt après, les mêmes compagnies furent versées dans la grande armée des Écorcheurs, par qui le roi fit envahir l'Alsace. Les Rodrigais, remis pour cette campagne sous le commandement de Salazar, eurent le

1 Berri, p. 425.

2 Berri, ibid. Jean Chartier, t. II, pp. 265, 314, 318; Compte de l'argenterie de Charles VII, dans le supplément aux preuves du Mathieu d'Escouchy de M. de Beaucourt.

3 Cronica del rey don Juan el II, part. II, c. LVIII,

4 Berry, p. 425.

5 Une relation latine qui fait partie des pièces justificatives des Écorcheurs de M. Tuetey (t. II, p. 517) établit que Salazar était secondé dans

double honneur de fournir l'escorte du général en chef' et d'ètre placés à l'avant-garde de l'armée. Ils gagnèrent à cela d'être horriblement maltraités à la bataille de Saint-Jacques, ayant été les premiers qui éprouvèrent la vigueur du poignet des Suisses. Presque toutes les pertes de la journée furent à leur compte, et, qui pis est, ils avaient reculé. Ce fut leur dernier exploit.

Pendant l'éloignement des bandes, on avait trouvé enfin, dans les conseils de la couronne, le moyen de se débarrasser d'elles une fois pour toutes. Le système adopté était celui d'une armée permanente, maintenue à un effectif constant, payée de mois en mois, et disséminée par petites escouades dans les villes et bourgs. Les routiers, à leur rentrée en France, trouvèrent des capitaines déjà institués qui les attendaient, avec l'appui d'une force respectable, pour désigner ceux d'entre eux qui seraient admis dans la nouvelle armée. Un homme d'une énergie extraordinaire, dont tout le monde a entendu prononcer le nom, Tristan l'Hermite, avait pré

son commandement par deux capitaines appelés Conques et Guntsales. Le premier de ces noms répond à l'espagnol Concha, et le second, à Gonzales. Un Gonzalès Dars, possesseur de la seigneurie de Larpentis, eut pour héritier naturel, en 1477, Jean de Salazar lui-même. Cabinet des Titres de la Bibliothèque nationale, dossier Salazar.

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« Les Espaignoz qui sont gardes du corps de Mgr le daulphin, dont est capitaine un nommé Chausse de Savac (?) ou nombre de environ cccc chevaulx. » Du Fresne de Beaucourt, Pièces justificatives aux Mémoires de Mathieu d'Escouchy, t. III, p. 93.

2 Tuetey, Les Écorcheurs sous Charles VII, t. I,

P. 167.

3 « Et fut ainsi trouvée à ceste heure l'ordonnance de vivre aux gens d'armes de France. » Guillaume Gruel, Mémoires du connétable de Richemond, p. 782.

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paré le travail et pourvu à tous les moyens d'exécution. Le triage se fit sans éprouver de résistance. Les hommes qu'on élimina furent désarmés, groupés par nations et confiés à des commissaires qui les conduisirent, sous bonne escorte, jusqu'aux frontières de leurs pays respectifs 1.

La compagnie où furent incorporés ceux des Rodrigais que l'on conserva fut appelée, à cause de sa composition, la compagnie des Espagnols. Le roi en donna le commandement à ce Martin Enriquez dont il a été parlé ci-dessus. Quant à Salazar, il fut congédié de nouveau, et pour longtemps, car sa disgrâce dura jusqu'à la mort de Charles VII.

Ainsi fut consommée, cinq ans et demi après l'éloignement de Rodrigue, une révolution qu'il avait prévue, et dans laquelle il n'eut garde de revenir se compromettre. Il comprit qu'il ne fallait pas essayer de prolonger un état de choses dont le gouvernement de la France avait juré l'anéantissement. En pliant sa bannière à temps, il s'épargna la mortification de la voir poursuivie et abattue par l'autorité des lois.

La sagesse dont il fit preuve en cette circonstance apparaît dans tout ce qu'on peut discerner de la conduite qu'il tint en Castille.

Il eut le bon esprit, dans une cour qui était la patrie des cabales, de ne s'afficher ni comme meneur, ni comme créature, et, lorsque sa science était la guerre, de ne pas faire l'homme entendu aux intrigues. La ru

1 Mathieu d'Escouchy, édition de Beaucourt, t. I, pp. 36, 51 et suiv. 2 Jean Chartier, t. II, p. 265.

desse de son abord, sa mine fière jusqu'à la dureté1, lui assuraient le respect, en même temps que sa loyauté bien connue le mettait hors des atteintes de la médisance. Il était ouvertement le partisan d'Alvaro de Luna, jusqu'à souffrir d'être compté au nombre de ses pensionnaires. Au contraire, le prince des Asturies, dont il fut maréchal, ne trouva jamais d'assistance en lui dans ses continuelles révoltes contre le roi, son père. Quant à ce roi, digne de commisération à cause de sa faiblesse et de ses infortunes, on peut dire que ce fut sur lui que le comte de Ribadeo concentra tout ce qu'il avait de soumission et d'attachement. La seule gloire qu'il connut et rechercha dans sa nouvelle vie fut celle de se rendre utile à ce prince malheureux; et la charge de conseiller, qu'il remplit auprès de sa personne, ne lui servit pas à satisfaire d'autre ambition *.

Il acheva sa carrière militaire au milieu des mouvements qui ramenèrent au pouvoir Alvaro de Luna. En 1444, il eut la charge de s'assurer de Cuellar pendant que Juan II allait mettre le siège devant Peñafiel; en 1445, il commanda une partie de la maison du roi

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«< La catadura feroz. » Hernando del Pulgar.

Condes e perlados e nobles varones e muchos senhores de villas cercadas vivian en la su casa (del condestable) e avian continua soldada d'el. Los condes eran, el conde de Medina-Celi, don Luis de la Cerda, el conde de Alva, don Fernando Alvarez de Toledo, etc.... don Rodrigo de Villandrando conde de Ribadeo e don Pedro de Villandrando, su fijo, que despues fue conde d'este condado, etc. » Coronica del condestable D. Alvaro, Epilogo, p. 389.

3 Fernan Perez de Guzman, Cronica del rey don Juan II, p. 406. 4 Son nom est inscrit parmi ceux des grands qui assistèrent aux cortès de Valladolid, en 1442, et d'Olmedo, en 1445. Cortes de los antiguos reinos de Leon y de Castilla, recueil publié par l'Académie royale d'histoire, t. III, p. 393 et 457. In-4o, Madrid, 1866.

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