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Et Escoçois, et leurs complisses,
Et ès yvers qui sont passez,

Et aultres voyes fort oblicques

Dont teus estatz nous sont relicques,
Comme chascun nous a plusmé :
Ilz seroyent bien héréticques,
Se ilz pensoyent en leurs nices

Que il nous fust riens demouré.

Ces protestations d'un prosaïque, mais violent désespoir, sont adressées aux prélats, aux seigneurs, aux gensd'armes, aux bourgeois, aux marchands, aux avocats, à tous ceux, en un mot, que leur condition préservait des angoisses de la misère. La fin est une menace : <«< Faites attention à cette complainte. Si vous regardez << bien ce qu'il y a au fond, nous est avis que vous verrez « de vos yeux que le feu n'est pas loin de vos demeu

<< res1. >>

Nous avons laissé le comte de Ribadeo annonçant la résolution de traverser la Touraine. Il est temps de dire ce qu'il pensait faire en prenant ce chemin.

Plusieurs princes du sang, mécontents de ce que toute l'autorité appartenait à Charles d'Anjou depuis la chute de la Trémoille, s'étaient donné le mot pour tenir un conciliabule à Angers, au mois de mai 1437. Le duc de Bourbon conduisait cette intrigue, secrètement élaborée sous le couvert du mariage de sa fille

1 Voici le texte :

Vous plaise penser aucun poy
En ceste complaincte amère;
Et si vous bien y advisez,
Nous cuidons que appercevrez
Et que vous voirrez par vos yeulx
Le feu bien près de vos hosteulz.

avec le fils de René d'Anjou. Rodrigue arrivant comme par hasard en vue de la ville où s'agitaient les comploteurs, il eût pu se faire que l'insurrection qui eut lieu trois ans plus tard éclatât dès ce moment; et cela est si vrai, que les forces du castillan n'étaient pas les seules qu'on se fût ménagées. Jacques de Chabannes, le frère du capitaine des Écorcheurs, avait reçu l'ordre du duc de Bourbon, son seigneur, de faire alliance avec le comte de Ribadeo pour joindre au besoin les gens d'armes qu'il entretenait à ceux que l'autre amenait du midi1.

Faut-il croire que l'entreprise fut rompue par le billet de la reine, qui arrêta le flot des routiers à deux journées de Tours? Non, car il eût été facile de leur faire gagner l'Anjou sans passer par la Touraine; mais il est probable que Rodrigue, qui était certainement à Angers2 lorsque le messager de la reine se présenta au camp de Châtillon, fit savoir dans le même temps au bâtard de Bourbon que le secret de la coalition avait transpiré, et qu'il était nécessaire de prendre le large.

En effet, le roi revenait alors de Montpellier, parlant en termes irrités devant qui voulait l'entendre, tant du duc de Bourbon que de son beau-frère le routier: et son courroux ne se traduisait pas seulement en paroles, car lui, d'ordinaire si irrésolu, si ennemi des actes significatifs, on l'avait vu ramasser par le Languedoc et

1 Ci-après, Pièces justificatives, no xlix.

2 Le héraut Berri, qui se tait sur l'intrigue des princes du sang, dit seulement que Rodrigue, en apprenant l'approche du roi, «< partit hastivement des païs de Touraine et d'Anjou, où il estoit alé pour piller le peuple.» Dans Godefroy, p. 395.

embrigader à son service tous les aventuriers qu'il avait trouvés sans occupation ou sans maître, informant sur son passage, recueillant dans chaque localité les innombrables plaintes portées contre Rodrigue et ses gens, comme s'il eût pris plaisir à se former au sujet de cet homme un trésor infini d'indignation et de colère. De Saint-Flour, il fut en un clin d'œil à Clermont, de Clermont à Aigueperse, puis à Montmarault où il campa lorsque les routiers, attardés par leur chef qu'ils avaient attendu, ne faisaient que poser le pied en Bourbonnais. Ils étaient alors à Saint-Amand1.

Charles VII cependant n'avait pas encore fait connaître le fond de sa pensée. Voulait-il seulement surveiller la marche de Rodrigue, voulait-il l'empêcher de prendre domicile sur les terres du duc de Bourbon? Pendant que les deux partis, arrêtés à seize lieues l'un de l'autre, attendaient réciproquement de leurs nouvelles, un détachement de routiers, envoyé en reconnaissance, rencontra aux portes d'Hérisson les fourriers et autres domestiques du roi qui venaient préparer son logis. Sans respect pour la livrée, ces maraudeurs battirent les hommes et firent proie du bagage. Le roi, pour le coup, éclata; il donna l'ordre d'une répression aussi prompte qu'énergique, et sur le-champ son armée s'ébranla grosse armée de quatre mille hommes de trait et de plus de cinq cents chevaliers2. Voilà Rodrigue de Villandrando placé dans l'alternative de tirer l'épée contre son souverain d'adoption ou de fuir.

1 Chronique de Berri. Chronique de Berri.

Il fuit, mais sans tourner le dos. Plus au fait du pays que les capitaines du roi, il passa au milieu d'eux, alla chercher le passage de l'Allier à Varenne, celui de la Loire à Roanne, celui de la Saône en face de TréVoux'. Là existait un bas-fond qu'il connaissait pour s'en être servi maintes fois dans le temps des guerres avec la Bourgogne; là était, pour les gens en danger, l'une des issues du royaume de France sur les terres de l'Empire, et sur une portion de ces terres qui appartenait au duc de Bourbon. Il y précipita ses escadrons, et réussit à mettre tout son monde en sûreté, longtemps avant que les troupes royales parussent sur l'autre bord de la rivière.

fit

Il n'y eut pas de soumission que ne fissent les princes compromis dans l'intrigue d'Angers, quand ils virent la façon dont Charles VII procédait à l'égard de leur complice. Charles de Bourbon, à qui la peur épuiser toutes les formes de l'humilité, s'empressa d'atténuer par un désaveu les griefs que la conduite de son beau-frère faisait peser sur lui. Mais le roi voulut davantage. Il exigea la rupture immédiate de toute alliance contractée entre Rodrigue et les sujets du duc, avec le serment de n'en plus jamais souffrir de semblables. Jacques de Chabannes et le bâtard de Bourbon, rappelés par son ordre, vinrent avec leurs gens-d'armes prendre place dans une armée rassemblée sous ses yeux pour la conquête du Gâtinais; et après qu'il les eut vus s'éloigner, il déclara par un édit Rodrigue de

1 Ci-après, Pièces justificatives, n° XLIX.

Villandrando banni de son royaume1, défendant à toute personne, et nommément aux princes du sang, de lui accorder aide, protection ni confort, donnant en outre autorisation à quiconque de courir sus à ses routiers, s'ils reparaissaient sur le territoire, et de les tuer comme bêtes nuisibles. Il partit ensuite pour aller commander le siège de Montereau, par un usage spontané de sa puissance qu'on ne lui avait point vu faire jusqu'alors: comme s'il eût trouvé du courage contre l'étranger, dans le sentiment de ce qu'il venait d'oser contre les ennemis de l'ordre.

La saison fut mauvaise pour les Rodrigais à la suite de l'édit rendu contre eux. Plusieurs de leurs bandes, qui refluèrent sur l'Auvergne, furent contraintes de s'en éloigner bientôt, parce qu'il se forma contre elles une alliance offensive et défensive de la province avec le Velay et le Gévaudan. Les populations, pour s'affranchir, étaient déterminées à faire flèche de tout bois. Des fonds alloués par les États provinciaux pour améliorer la navigation de l'Allier servirent à payer une partie de la dépense occasionnée par cette confédération 3. Qu'on juge des périls de la retraite exécutée au milieu d'un pareil soulèvement ! Les vengeances privées, qui n'avaient pas besoin d'encouragement pour s'exercer,

1 D. Plancher, Histoire de Bourgogne, t. IV, p. 232, prétend que Villandrando, Chabannes et le bâtard de Bourbon, furent bannis par arrêt du Parlement de Paris. C'est probablement une fausse interprétation du témoignage de Berri, qui se borne à dire : « Et fist le roy bannir ledit Rodigues hors de son royaume. »

2 Ci-après, Pièces justificatives, n° LII et LIV. Ci-après, Pièces justificatives, no L.

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