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ches caudines, firent payer cher au reste du pays l'avantage que la capitale avait obtenu sur eux.

Les registres de toutes les villes, heureusement pour nous, n'ont pas éprouvé le sort de ceux de Limoges. Tours a conservé les siens pour cette époque. L'un d'eux nous apprend qu'au milieu du mois de septembre 1435, Rodrigue vint de nouveau se poster autour de la ville avec ses bandes. Il avait en sa compagnie Gui de Bourbon, l'un des bâtards ses beaux-frères. Le commandant militaire de la Touraine était absent; les bourgeois consternés députèrent au roí un moine jacobin pour implorer son intervention1. Charles VII se tenait alors à Bourges, attendant la conclusion du traité de paix que ses ambassadeurs étaient allés consommer à Arras. Il envoya aux routiers un ordre de déguerpir qui fut obéi sans trop de difficulté. Les compagnies plièrent bagage après un séjour d'une semaine, regrettant sans doute de n'avoir pas exploité plus longtemps cette grasse vallée de la Loire, et, on peut croire aussi, fort préoccupées du grand évènement qui faisait en ce moment le sujet de toutes les conversations.

Autant le rapprochement des deux partis qui divisaient le royaume réjouit les populations, autant il jeta d'inquiétude parmi les soldats d'aventure, qui virent au bout le chômage, et peut-être pis encore. Ils comprirent parfaitement que, bien que la guerre dût se continuer avec les Anglais, elle n'occuperait plus un aussi grand nombre d'hommes, et que le gouvernement

1 Ci-après, Pièces justificatives, n° xYxIx.

de Charles VII, se trouvant plus à l'aise, pourrait bien revenir à son ancien projet de se débarrasser d'eux. « Qu'allons-nous devenir? » fut le propos journellement échangé sous la tente, et un sujet de sombres réflexions. pour les capitaines.

J'ai omis de dire que Rodrigue, avant d'envahir le Limousin, s'était porté sur le Gévaudan. Il s'y rencontra avec Antoine de Chabannes, Gui de Blanchefort, Gautier de Bruzac et le bâtard d'Astarac, capitaines jusqu'alors occupés à combattre entre la Marne et la Somme, qu'on avait détachés de l'armée du nord pour les envoyer au secours du duc de Bourbon. Ils arrivèrent en Beaujolais pour être témoins de la cessation des hostilités. Obligés de s'en retourner avec des frais de route insuffisants, ils recoururent à la ressource des patis. Ils en possédaient la pratique tout aussi bien que Rodrigue. Leurs compagnies d'ailleurs, pour l'esprit et pour la conduite, ne différaient en rien des routiers. On devine par quel genre d'exploits fut signalé leur trajet depuis la vallée de la Saône jusqu'aux abords du mont Lozère. Le rendez-vous fut au complet par l'arrivée d'autres bandes qui venaient, le sire de Lestrac et le bâtard de Noailles à leur tête, de ravager la frontière bordelaise2.

1 Vaissete, Histoire de Languedoc, t. IV, p. 486. Le savant bénédictin a indûment transporté ce fait à 1436. Son erreur vient de ce qu'il a adopté, comme date de l'incursion en Gévaudan, celle d'une ordonnance de Charles VII, rendue pour assurer le payement des emprunts au moyen desquels avait été libéré le pays. Pour s'en convaincre, on n'a qu'à recourir à une analyse de cette ordonnance, contenue dans le tome LXXXIX (fol. 183) de la Collection de Languedoc, ms. de la Bibl. nat.

2 Quittance de Ode de Vila, frère du sénéchal de Beaucaire, envoyé de Nîmes en Gévaudan et Velay, dans les derniers jours d'avril 1435, auprès de ces capitaines. Cabinet des titres, Bibl. nat., dossier Villar.

A la nouvelle du dangereux rassemblement qui se formait dans le pays, les États particuliers du Gévaudan avisèrent au moyen le plus prompt d'acheter la retraite de Rodrigue et des autres capitaines. Ceux-ci ne se firent pas prier, l'argent ne s'étant point fait attendre. Ils décampèrent aussitôt ; mais si peu de temps qu'ils passèrent ensemble, ils en eurent assez pour s'entretenir de la situation, pour se donner entre eux l'assurance que la paix qu'on était en voie de conclure ne leur ferait pas quitter un métier aussi fructueux que le leur, enfin pour jeter dès lors les bases d'un accord qui leur permettrait de se perpétuer en dépit de toutes les puissances. La suite des événements donne à penser que les choses furent réglées de la sorte dans les conférences qu'eurent entre eux ces capitaines.

Aussitôt après la publication du traité d'Arras, les bandes de deçà la Loire constituèrent, au vu et au su de tout le monde, une société fortement unie, qui eut pour chefs principaux les personnages qui viennent d'être nommés, et dont les suppôts de toute arme et de tout grade furent baptisés dans le peuple du nom d'écorcheurs'. Écorcheurs voulait dire des bandits qui dépouillaient jusqu'à la chemise ceux auxquels ils s'attaquaient. La pratique n'était pas nouvelle; le nom fut nouveau, parce qu'il prit naissance dans une contrée qui, préservée jusqu'alors du fléau de la guerre, souffrait pour la première fois de ces excès. Il s'étendit,

Un livre important a été publié récemment sur ce sujet par M. Tuetey: Les Écorcheurs sous Charles VII, 2 vol. in-8°. Montbéliard, 1874. 2 Jean Chartier, t. I, p. 216; Monstrelet, 1. II, ch. ccxxII; Thomas Basin, t. I, p. 125.

ce nom, et devint d'un usage universel. A la vérité ce n'est que dans la France du nord1 qu'on l'appliqua aux hommes du serment de Rodrigue. Pour désigner ceux-ci, les méridionaux trouvaient assez expressive l'appellation que leur langue avait fournie d'ancienneté; car ils avaient dit tout ce qu'ils pouvaient imaginer de pis, quand ils les appelaient routiers. Dans les provinces du centre on les distingua par le nom de Rodigois, qui équivaut à ce que serait celui de Rodrigais dans la langue actuelle.

Le fait d'une solidarité qui lia ensemble les Écorcheurs et les Rodrigais ne saurait être révoqué en doute'. Si ce ne fut pas une alliance offensive et défensive dans toute la rigueur du terme, ce fut au moins une entente propre à favoriser, quand il le faudrait, une action commune. On tint cela pour certain à la cour de France aussi bien qu'à celle de Bourgogne. Des actes sortis des chancelleries des deux États mettent Rodrigue sur la même ligne que les capitaines d'Écorcheurs, et attestent sa participation à plus d'une de leurs entreprises 3. Peut-être y eut-il davantage quant à la situation du castillan. Il ne serait pas étonnant que la supériorité de ses forces et sa notoriété plus grande lui eussent valu, au moins dans le premier moment, une sorte de suprématie qu'exprimerait

1 << Si se nommoient Escorcheurs et les conduisoient pour capitaines Rodrigue, Dimenche de Court, Pierre et Joachin Rohaut. » Livre des trahisons de la France, ch. CLXI, dans le recueil des chroniques relatives à l'histoire de la Belgique, publié par M. Kervyn de Lettenhove.

2 Ce fait a été mis en évidence par M. Tuetey, Les Écorcheurs sous Charles VII, t. I, p. 10.

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l'épithète d'empereur des pillards de France, à lui décernée par un lettré du quinzième siècle 1.

Les Écorcheurs, à leurs débuts, ne furent pas plus de trois à quatre mille, tandis que les forces de Rodrigue, évaluées alors à dix mille chevaux, représentent un effectif d'environ quinze mille hommes. La réunion des uns et des autres aurait produit une armée telle qu'aucun souverain d'Europe n'était capable d'en mettre sur pied pour le moment. A quoi n'aurait pas pu prétendre notre aventurier, s'il avait porté en lui le génie d'un conquérant? Mais ses visées ne dépassaient pas l'horizon au dedans duquel s'agitent les hommes créés pour les rôles secondaires. Il n'eut jamais de plus haute ambition que d'être réputé le premier parmi les condottieri, et le serviteur le plus opiniâtre des causes bonnes ou mauvaises auxquelles il s'était attaché.

Son dévouement à la personne de M. de la Trémoille paraît l'avoir amené à Sully-sur-Loire vers le temps de Pâques 1436. A Sully en effet, dans l'un des forts et riches châteaux de la France centrale, ce seigneur méditait alors sur sa déchéance, accomplie depuis tantôt trois ans. Une révolution de palais, habilement menée pendant que le comte de Ribadeo était occupé dans le comtat Venaissin, en 1433, avait eu pour ré

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2 C'est le chiffre donné par les auteurs espagnols; ci-après, Hernando del Pulgar, p. 208, et Garcia de Rezende, p. 183. Jean Chartier dit : « huit mille hommes » dans Godefroy, p. 96. Le héraut Berri (p. 394) constate, en termes plus généraux, « qu'il avoit la plus grande compagnie de tous les capitaines de France. »

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