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dre par l'accent circonflexe; alors l'effet de l'e muct peut être affez juftement comparé à celui du auquel on ne donneroit aucune articulation. Ainfi les mots allée, Cananée, année fe prononcent à-peuprès comme s'il y avoit allez, Cananez, annez, &c. LE MILORD.

Ccs propriétés font-elles particulières à l'e muet? L'ABBÉ.

fe

Le même cffet réfulte de es ou ent muet. Ces mots: tu pries, ils prient, des raies, ils raient, tu joues, ils jouent, tu déploies, ils déploient, se prononcent tu pri, ils pri, des raí, ils rai, tu jou, ils jou, tu déploi, ils déploi, &c. & ces mots: tu crées, ils créent, des années, ils fuppléent, lifent profque comme s'il y avoit tu crez, ils crez, des annez, ils fupplez, &c. . . . . Mais je m'apperçois que fous un tître unique, nous avons parcouru plufieurs objets: je craindrois que votre attention ne fe fatiguât. Dans nos premiers entretiens, nous expliquerons les différentes fortes d'e fonores: peut-être entrerons-nous dans quelque détail fur les propriétés des autres voyelles.

DIALOGUE IV.

SUR LES VOYELLES SONORES.

LA MARQUISE, SOPHIE, LE MILOR D.

LE MILOR D.

JE crains, Mefdames, que le dernier entretien ne

vous ait ennuyées: Monfieur l'Abbé cut la complaifance de faire quelques explications qui ne peuvent intéreffer que moi.

LA MARQUIS E.

Je vous affure que je m'y amufai beaucoup. Mr. l'Abbé m'apprit plufieurs chofes que je favois déjà; mais je ne les exécutois que machinalement, & J'attribuois aux caprices de l'ufage ce qui eft fondé fur des règles claires & folides.

SOPHIE.

Je n'avois prefque point entendu parler de l'e muct, & encore moins des es & ent muets : préfentement je les rencontre par-tout. Dans une lecture que j'ai faite avec attention, j'ai vu des exemples de toutes les explications que M. l'Abbé nous a faites. Tantôt j'ai été obligée de prononcer ces fyllabes muettes d'une maniere forte & défagréable; tantôt elles n'ont produit aucune fenfation; tantôt elles n'ont fait que l'office d'accents. Je pense bien que je n'ai fait encore aucun profit pour l'orthographe; mais ma prononciation & ma lecture y ont furement gagné.

LE MILOR D.

Pour moi, je fuis étonné de voir combien la connoiffance de l'e muet peut influer fur la douceur & la variété du ftyle Sans doute que vous favicz d'avance ce qui a été dit fur les élifions & fur les rimes mucttes & fonores.

LA MARQUIS E.

Non, Monfieur: je favois feulement que chaque vers ne peut contenir tout au plus que fix pieds ou douze fyllabes, & que fa dernière fyllabe doit rimer avec celle d'un ou plufieurs autres vers. Je n'avois qu'une idée confufe de la céfure & de l'hémiliche; mais dans les derniers vers que j'ai lus, j'ai très-bien remarqué que je m'arrêtois naturelfement avant les fix dernières fyllabes de ceux qui en renferment dix ou douze, & qu'il n'y a point de repos femblables dans les autres efpèces de vers.

A

(L'Abbé & le Comte entrent.)
LE COMTE.

On s'eft fortement occupé de vos dernières explications vous avez des élèves qui vous feront honneur.

L'ABBÉ.

Ce font auffi les vôtres: j'efpère que jufqu'à la fin de notre cours, vous voudrez bien partager la fatisfaction que je goûte à leur être utile.

LE COMTE.

Je le voudrois de tout mon cœur ; mais je n'ai prefque aucune idée commune avec ces Dames: je ne connois le françois que par les rapports qu'il a avec les autres langues.

L'ABBÉ.

Plus nous avancerons, & plus vous trouverez de conformité entre nos principes: je tirerai parti de vos connoiffances pour rendre ma méthode plus folide & plus profonde; & l'habitude que j'ai contractée dans ce genre d'explications me fera mettre à la portée de ces Dames des vérités qui euffent peut-être été perdues pour elles.

LA MARQUISE.

Vous allez parler des e qui fe prononcent: fontils d'un ufage auffi étendu que les e mucts?

L'ABBÉ.

Non, Madame, il s'en manque beaucoup; cependant cet article eft fufceptible de quelque détail.

L'e prend felon les cas, deux fons bien différents; l'un aigu ou fermé, comme dans les mots miel, été, vos volontés, vous irez, &c. l'autre grave ou ouvert comme dans fer, guerre, procès téte, &c.

LE MILOR D.

Il eft à croire que votre e eft fufceptible d'un fon

fon qui tient le milieu entre le grave & l'aigu; car j'ai vu une grammaire dont l'auteur vouloit introduire un accent perpendiculaire.

LA MARQUISE.

C'eft-à-dire un accent qui ne penche ni d'un côté ni de l'autre ? LE MILOR D.

Oui, Madame: il écrivoit avec cet accent, plufieurs mots tels que Pèrfan, nèt, miel, &c.

LE COMTE.

J'ai vu celà, je ne me rappelle pas dans quel ouvrage mais cet accent feroit tout-à-fait inutile parce que le fon de l'e eft fuffifamment déterminé par le choc des confonnes dont il eft fuivi.

L'ABBÉ.

Cela peut être vrai parmi ceux qui n'ont aucun doute fur la prononciation; mais vous favez combien cette perfection eft rare, fur-tout dans les provinces. En écrivant ces mots fans accent, on laiffe la liberté d'y fuppofer celui qu'on veut, ce qui perpétue les vices de prononciation. Je le répète ce feroit un tréfor qu'un Dictionnaire qui ne laiffàt rien à defirer fur cet article.

LE COMTE.

Quel accent mettriez-vous donc fur ces mots ? L'ABBÉ.

J'écrirois le mot Pèrfan avec un accent grave, pour faire voir qu'on y doit prononcer l'e grave comme dans fer, mer, &c. & je mettrois l'accent aigu fur l'e des mots nět & miel, pour faire voir qu'il doit être prononcé comme dans état, éloquent, &c.

LA MARQUISE.

Eft-ce que ces mots peuvent fe prononcer au

trement?

F

L'ABBÉ.

Oui, Madame : j'ai entendu des perfonnes faire fentir l'e aigu dans Perfan comme dans périr, férieux, &c. d'autres prononcent l'e grave dans miel, comme dans méler, fréle, &c. Cette diverfité n'auroit pas lieu fi la prononciation étoit fixée par des accents dont la valeur fût bien déterminée & bien

connue.

Tous ces e aigus ne different entr'eux que par le plus ou moins de brieveté. Il eft fort bref dans le mot miel, plus bref encore dans le mot net; moins bref dans laurier, témérité; plus long dans les lauriers, les bontés, les bleds, &c. plus long encore dans nez, vous voulez, &c. & peut-être plus long encore dans une année, une penfée, des années, des pensées, tu créés, ils créent, &c. mais par-tout c'eft le même genre de fon, qui peut toujours être indiqué par le même accent, & dont la longueur ou la brieveté dépend de la nature des mots où il fe trouve & du choc des fyllabes dont il eft précédé ou fuivi.

LE MILOR D.

L'e prend-il toujours le fon aigu en frappant sur la confonne qu'il précède ?

L'ABBÉ.

Il y a là-deffus une diverfité d'opinions, qui n'auroit point lieu fi on vouloit convenir bien exactement de ce qu'on doit entendre par l'e grave & l'e aigu.

En fuivant l'e dans toutes fes gradations, & le comparant toujours avec l'e que tout le monde reconnoît pour aigu, tel qu'il fe voit à la fin du mot bonté & autres femblables, & cclui auquel perfonne ne refufe le titre de grave & ouvert, comme le premier des mots téte, fete, &c. j'ai remarqué qu'au moins dans la conversation, l'e prend le fon aigu en frappant fur toute autre confonne

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