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SOPHIE.

Il n'y a donc que dans les fubftantifs, que le t fe prononce comme un c?

L'ABBÉ.

Cette prononciation fe conferve auffi dans tous les analogues de ces mots ambition, ambitieux, ambitionner; faction, factionnaire, facicux.

Let fe fiffle encore dans tous les dérivés des verbes balbutier & initier: je balbutie, nous initions, initial, vous initierez, ils balbutieront, ils balbutioient, &c. &c. Dans la conjugaifon de tous les autres verbes, le t conferve fa prononciation naturelle. Nous quittions, vous fortiez, elle eft partie, &c.

SOPHIE.

Et tous les fubftantifs qui finiffent par tion fe prononcent apparemment comme s'ils étoient écrits par cion?

L'ABBÉ.

Oui, Mademoifelle, à l'exception de ceux dans lefquels le t eft précédé d'une s ou d'un x: queftion, digeftion, mixtion. Ce feroit mal parler que de prononcer quefcion, digefcion, mixcion, &c.

A la même exception près, tous les fubftantifs terminés par i fuivi de l'e muet, fe prononcent comme s'il y avoit cie: Ariftocratie, primatie inertie, prophétie, fe prononcent Ariftocracie primacie, inercie, prophecie. Mais le garde fa prononciation ordinaire dans Euchariftie, amniftie, &c. parce qu'il y eft précédé d'une s.

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On prononce fans fiffler le t, une garantie, une fortie, une partie, &c.

L'ABBE.

Oui, Monfieur, parce que ces mots ne font pas

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des fubftantifs, mais des participes adjectifs fémi nins pris fubftantivement. Dans tout autre cas, la finale tie fe prononce comme cie: nous obferverons même en paffant que le t fe fiffle dans les analogues du participe partie, tels que partiel, partial, impartial, &c.

Les fubftantifs fcion & fufpicion, font les feuls dans lefquels la finale ion eft précédée d'un c... Mais voilà une digreffion un peu longue : où en étiez-vous, Mademoiselle ?

SOPHIE.

Je ne fus qu'en panfer. Il faut écrire qu'en par en, parce que an ne peut former un mot que quand il fignifie une année.

L'ABBÉ.

Il y a encore une faute dans cette phrase. Penser, réfléchir, s'écrit toujours par en, & non par an. Mais on écrit par an, panfer une blessure, panfer un cheval; on dit d'un ivrogne ou d'un gourmand, qu'il eft bien panfé, pour faire entendre qu'il a la panfe bien pleine. Continuez, je vous prie.

SOPHIE.

Quand à la diftribution, je n'ai rien vu qui en approcha. J'ai mis un accent fur l'a qui cft feul. parce qu'il n'appartient point au verbe avoir. A caufe que j'écrirois par ai, j'ai vu, j'écris pareil& le participe vu lement par ai, je n'ai rien vu ne peut être mis ni au feminin ni au pluriel, puifqu'il fe rapporte au mot rien.

L'ABBÉ.

A quel mode appartient votre dernier verbe, qui en approcha? comment diriez-vous au pluriel? SOPHIE.

Je n'ai point vu de chofes qui en approchaffent.. Ces deux m'annonçent le parfait du subjonctif:

Il faut donc finir la troifième perfonne du fingulier par un t: je n'ai rien vu qui en approchât. L'ABBÉ.

Oui, Mademoiselle. Il y a au commencement de cette phrafe, une faute que vous ne pouviez éviter. On doit écrire quant par un t dans la fignification de pour ce qui eft de, à l'égard de; & quand par un d, pour dire lorfque, dans le temps que. Ainfi vous avez eu raifon d'écrire avec un d final, quand nous entrâmes dans le camp, lorfque nous entrâmes, &c. & il falloit écrire avec un t quant à la diftribution, pour ce qui eft de la diftribution, &c.

SOPHIE.

Nous avons paffés... c'eft nous qui fommes paffes. L'ABBÉ.

Oui, Mademoiselle; mais vous avez oublié que quand le verbe n'a point de régime direct, & qu'il fe conjugue avec l'auxiliaire avoir, le participe eft abfolument indéclinable. Ainfi vous devicz écrire fans s, nous avons paffé.

SOPHIE.

J'ai mis l'adjectif rangée avec un e muet, parce qu'il s'agit d'une compagnie rangée fur notre chemin.

LE MILOR D.

Mais c'eft une compagnie de grenadiers; on peut dire auffi que ce font les grenadiers qui font rangés dans ce cas, il faudroit écrire ce mot par une s, & non par un e muet.

L' A B B É.

Le mot compagnie, eft ce qu'on appelle un nom collectif: quoique au fingulier, il offre l'idée de plufieurs perfonnes ou de plufieurs chofes. Tels font encore les mots beaucoup, nombre, armée, millier, &c. &c.

Ss 3

S'il eft queftion d'hommes, d'animaux ou de chofes qui fe nombrent, & qu'on faffe moins d'attention à la maffe qu'aux individus qui la compofent, je penfe que l'expreffion doit être au pluriel. Ainfi Mademoiselle auroit dû faire rapporter l'adjectif aux grenadiers & non à la compagnie & écrire une compagnie de grenadiers rangés, & non rangée fur notre chemin. On diroit pareillement au pluriel: les ennemis ont été vaincus une partie ont été tués, le quart ont été faits prifonniers, un petit nombre font allés porter la nouvelle de notre victoire; & non au fingulier, une partie a été tuée, le quart a été fait prifonnier, & un petit nombre eft allé, &c.

Mais fi on confidère plutôt la quantité en cllemême, que les parties dont elle eft compoféc; fi même ces parties ne font point exprimées, alors l'expreffion fe rapporte uniquement au nom collectif. Voilà une couple de boeufs qui a coûté, & non qui ont coûté bien cher. Ce millier de fagots eft bien choifi, & non font bien choifis. La fourniture de barriques fe vend, & non fe vendent cinquante livres. Une compagnie eft paffée, deux compagnies font paffées, &c.

LE MILOR D.

Le fucre ne fe nombre point; cependant un négociant dira: la moitié de mes fucres ont été perdus, le quart fe font vendus à perte; & non la moitié de mes fucres a été perdue, le quart a été vendu à perte, &c.

L'ABBÉ.

C'eft que les négociants regardent le fucre & autres denrées comme divifées en plufieurs lots de différents prix ou appartenant à différentes perfonnes. Ainfi ils ne nombrent pas le fucre, le café, l'indigo, mais les lots, ou, comme ils difent les parties de fucre, de café, d'indigo, &c. Un particulier qui n'auroit ces denrées que pour fon

ufage, n'en parleroit qu'au fingulier. Le quart de mon fucre s'eft perdu; une partie de mon café est de Moka.

Voyons la dernière phrafe de Mademoiselle. Elle renferme deux fautes. Le temps de l'avent s'écrit par en & non par an, parce qu'il fe rapporte au mot avenir, avénement. Dans toute autre fignification, on écrit avant par an. Avant la fête avant l'aurore; ainfi que fes analogues avance, avancer, avancement, avantage, auparavant, &c. &c. La dernière faute eft dans le fubftantif abftinence.

SOPHIE.

Je l'ai écrit par an, parce qu'il fe rapporte au gérondif du verbe abftenir.

L'ABBÉ.

Mais il ne s'y rapporte pas d'une manière naturelle. Le gérondif de ce verbe eft abftenant, en s'abftenant de tout; ainfi le véritable fubftantif feroit abftenance, que la langue françoife n'admet point. Par conféquent, ni le fubftantif gérondif abftinence, ni fon adjectif abftinent, ne dérive régulièrement du verbe abftenir; & pour cette raifon, on doit les écrire par en & non par an.

SOPHIE.

Je crois que voilà mes phrafes bien corrigées. Quoique je t'aie dit mon avis, & que tés amies t'aient prévenue, tu t'es donné des torts dont il ne t'eft plus poffible de te défendre.

Quand nous entrâmes dans le camp, on gardoit un filence fi profond, que je ne fçus qu'en penfer. Quant à la diftribution, je n'ai rien vu qui en approchat.

Nous avons paffé au milieu d'une compagnie de grenadiers rangés fur notre chemin.

L'avent eft le temps qui fe paffe avant la fête de Noël, & pendant lequel on fait abftinence.

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