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dureté de plufieurs fons, exigea bientôt qu'on les adoucît, ou même qu'on les fupprimât. Les favants, après s'être vainement récriés contre ces innovations, furent contraints de les adopter & de leur donner force de loi. Mais comme ils étoient les maîtres de la langue écrite, ils voulurent conferver les traces d'une prononciation qui n'exiftoit plus ce fut l'époque des inconféquences qui rendent votre langue fi difficile aux étrangers, & qui mettent les François mêmes dans le cas de ne la favoir prefque jamais qu'imparfaitement.

LE COMT E.

Falloit-il que les gens de lettres autorifaffent une prononciation molle & efféminée, contraire à la première inftitution de la langue?

LE MILOR D.

Peut-être eût-il mieux valu qu'ils fe fuffent oppofés au torrent; mais, dès qu'ils fe crurent forcés. d'admettre quelques changements dans la prononciation, rien ne put les difpenfer de repréfenter les nouveaux fons par de nouvelles combinaifons de caractères. Ces corrections faites à propos, euffent applani mille difficultés vaines & rebutantes, en confervant un accord parfait entre le fon des mots & leur orthographe.

LE COMTE.

Mais la prononciation varie tous les jours: il faudroit donc altérer fans ceffe la conftruction des mots. LE MILOR D.

Quand ces variations feroient encore plus fréquentes, il feroit toujours fort utile de s'y conformer. Lorfqu'on feroit unanimement convenu du rapport qui doit exifter entre les fons & les caractères qui les expriment, les livres nouveaux offriroient le tableau de la prononciation actuelle, & les ouvra ges anciens, rangés felon la date de leur impreffion formeroient une hiftoire fidèle & curieufe des capri

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ces de l'ufage à cet égard. Nous recueillons avec foin tout ce qui peut nous inftruire des ufages & des modes qui régnoient parmi nos pères; nous répétons avec vénération le nom altéré & défiguré d'un vêtement dont la forme nous eft inconnue : avec quel plaifir ne remonteriez-vous pas à la prononciation mâle & ruftique des anciens François ! Quel fruit ne retireriez-vous pas en rapprochant & comparant toutes les nuances par lefquelles les mots ont paffé avant d'arriver jufqu'à nous! L'hiftoire du langage peut répandre beaucoup de lumières fur celle des mœurs.

L'ABBÉ.

Il me femble que vous exagérez un peu l'inconféquence de l'ufage. Depuis un fiècle, la prononciation françoife n'a éprouvé qu'un petit nombre de changements très-légers, qui tendent, comme ceux qui les ont précédés, à rendre l'harmonic du difcours plus douce, plus agréable, & peut-être moins noble & moins majeftueufe. Toutes les innovations qui ont été faites ou propofées jufqu'ici dans la conftruction des mots, n'ont prefque jamais eu pour but que de rapprocher l'orthographe de la prononciation. On n'a pas été affez ferme pour les profcrire totalement, ni affez conféquent pour les admettre par-tout où elles pouvoient contribuer à la perfection du langage; de forte que, dans certains cas, l'étymologie a été confervée avec un foin minutieux, & que, dans d'autres, on n'en retrouve pas la moindre trace. Voilà, fi je ne me trompe, la principale origine des bifarreries qui défigurent notre langue, & qu'on ne peut apprécier utilement qu'en les comparant avec les règles dont elles nous forcent de nous écarter.

LE COMTE.

C'eft en vain qu'on voudroit foumettre l'orthographe à des règles fûres & invariables de tous les fyftêmes qu'on a imaginés fur cette matière, au

cun n'a été fuivi, & à peine fe fouvient-on qu'ils aient été propofés. Ceux qui nous fourniffent des modèles de poéfie & d'éloquence ne confultent prefque jamais d'autre guide que le bon ufage.

LE MILOR.D.

Mais ce n'eft qu'à l'aide d'une méthode claire & certaine qu'on peut fuivre l'exemple des bons auteurs, lors même qu'ils n'ont daigné s'affujettir à aucune loi. D'ailleurs, comment diftinguer le bon & le mauvais ufage au milieu de tous les genres d'orthographe que nous préfentent les meilleurs morceaux de littérature?

L'A B B É.

Nous avons des hommes dévoués par état à la perfection de la langue leurs ouvrages font les dépofitaires de toutes les règles que nous devons fuivre. C'eft dans ces fources qu'on puife la précision, la clarté, l'élégance qui caractérise le ton de la bonne fociété. Les ouvrages d'un autre genre ne font pas toujours des guides infaillibles pour le ftyle, & encore moins pour l'orthographe: il eft rare que des auteurs fortement occupés de leurs penfées, puiffent accorder toute l'attention néceffaire à cette efpèce de correction.

LE COMTE.

L'orthographe actuelle ne fauroit être confervée avec trop de foin: elle eft confacrée par une foule de bons ouvrages dont les meilleures éditions paroîtroient bientôt furannées, fi on admettoit tous les changements que propofent les partisans de la nouvelle orthographe.

L'ABBÉ.

Cette réforme fe borneroit à fixer la valeur de chaque voyelle par les accents convenables; à mettre ai pour oi, par-tout où ces deux lettres ont le fon d'un e; & à écrire par des confonnes fimples, tous les mots où l'oreille n'exige pas qu'elles foient

doubles. Ces changements feroient moins frappants que ceux qu'on a généralement adoptés depuis le fiècle de Louis XIV. Il y a plus loin de mefler à méler, de debte à dette, d'adveu à aveu, que de paroître à paraitre, de grace à grâce, de rappren dre à raprendre, &c. Cette nouvelle méthode d'orthographc eft tout aufli propre que l'ancienne à conferver les traces de l'étymologie; & même ceux qui la fuivent d'une manière conféquente reftituent des lettres analogiques que les anciens fe permettoient de fupprimer.

LE MILOR D.

Je fuis fûr que vous avez adopté l'orthographe moderne telle que vous la dépeignez.

L'ABBÉ.

Je fuis l'un ou l'autre fyftême, felon le goût des perfonnes à qui je veux écrire ceux qui connoiffent les règles fondamentales peuvent varier leur orthographe comme il leur plaît; il fuffit qu'ils agiffent conféquemment, & qu'ils n'offrent pas dans la même lettre, ou dans le même difcours, un affemblage ridicule d'antique & de moderne.

LE COMTE,

(Appercevant Sophie & la Marquife.) Bon jour, Mefdames.

LA MARQUISE.

Ne vous interrompez pas, de grace, Meffieurs: nous aurons beaucoup de plaifir à vous entendre.

L'ABBÉ.

Nous faifions des differtations fur l'orthographe.

SOPHIE.

C'eft une fcience que je voudrois bien connoître & à laquelle je n'entends rien du tout. Je fuis fi ignorante, que, pour exprimer les chofes les plus ordinaires, j'écris prefque au hafard. A peine puis

je retrouver moi-même ce que j'ai voulu dire. Souvent, faute de pouvoir orthographier les mots qui fe préfentent à mon efprit, je fuis forcée d'en employer d'autres qui défigurent toutes mes penfées. LE COMTE.

Ceux qui n'ont point étudié les langues anciennes, n'ont pas de meilleur moyen pour apprendre l'orthographe, que de choifir un livre bien écrit, & de le copier infatigablement on fe forme quelquefois, par ce travail, une habitude qui tient lieu des meilleurs principes.

LA MARQUISE.

C'est comme celà que j'ai appris, & on trouve que j'orthographie passablement.

SOPHIE.

Vous êtes heureufe, Madame, d'apprendre avec tant de facilité. J'ai fûrement copić autant que vous, & je n'en fuis pas plus habile. Je ne puis cependant me reprocher aucune négligence je copie fidèlement toutes les lettres qui compofent chaque mot; j'y mets les accents, les points, les virgules. Mais jamais ce que j'ai écrit ne m'a fervi pour ce que j'ai voulu écrire : ce font toujours quelques nouvcaux arrangements de lettres que je n'avois point prévus; & quand je crois avoir rencontré les mêmes mots, je vois avec étonnement qu'ils n'ont prefque rien de commun pour l'orthographe.

L'ABBÉ.

Quoiqu'il en foit, je fuis perfuadé que cet exercice ne vous a pas été tout-à-fait inutile; mais quelque fagacité qu'on ait, il n'eft guère poffible d'apprendre en copiant, que la partie fixe des mots : on ignore abfolument les variations qu'ils doivent éprouver felon la place qu'ils occupent dans le difcours,

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