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LE MILOR D.

Je remarque que, dans les temps compofés de l'interrogatif, on met le pronom perfonnel entre le verbe auxiliaire & le participe. A-t-on donné? Ai-je pris? Etois-tu venu? Serois-je allé? &c.

L'ABBÉ.

Une autre remarque que vous n'avez peutêtre pas faite, c'eft qu'à la troifième perfonne de l'interrogatif, quand le nominatif eft exprimé par un nom ou tout autre pronom que les perfonnels il, elle, ils, elles, ces derniers ne laiffent pas d'y être employés, de forte que le verbe fe trouve entre le nom & le pronom, ou entre deux pronoms. Pierre vient-il? Madame permettra-t-elle ? Les nôtres fuffiront-ils? Chacun étoit-il content? Cet homme avoit-il de quoi fubfifter? &c. On en excepte le pronom on, qui fe renverfe à la manière des pronoms perfonnels il, elle, ils, elles. Vient-on? Ira-t-on Eft-on allé? &c. Ce double emploi du pronom forme une conftruction irrégulière : le pronom nominatif doit tenir lieu du nom, & ne jamais concourir avec lui ni avec aucun autre mot qui le repréfente; auffi cette répétition n'a jamais lieu quand la phrafe garde l'ordre naturel de l'affirmation. On dit Pierre vient, & non Pierre il vient; Madame permettra, & non Madame elle permettra; les nôtres fuffiror.t, & non les nôtres ils fuffiront, &c. &c.

LA MAR QUISE.

On dit cependant: pour Pierre, il vient; pour Madame, elle permettra.

L'ABBÉ.

Dans ce cas, le nom & le pronom n'appartiennent point à la même phrafe. C'eft comme s'il y avoit pour ce qui eft de Pierre, pour ce qui regarde Pierre, il vient; pour ce qui eft de Madame, pour

Pp

594 ce qui regarde Madame, elle permettra: auffi la phrafe qui renferme ce nom, & celle qui renferme le pronom, font-elles toujours féparées par une virgule; & la prononciation marque très-diftin&tement cette féparation.

LE MILOR D.

Ces fortes de renverfements & de répétitions n'ont apparemment lieu que quand le verbe eft à l'interrogatif?

L' A B B É.

où on

Ils ont encore lieu dans d'autres cas, emploie par élégance la conftruction de la phrafe interrogative, quoiqu'il ne s'agiffe nullement d'inCela fe fait fur-tout après la conjonction terrogation. peut-être, employée comme advcrbe, fans être Tuivie de fon complément que: peut-être viendronsnous, peut-être a-t-il craint, &c. & alors la troifième perfonne fait comme à l'interrogatif, concourir le nom & le pronom: peut-être Pierre vient-il; peut-être Madame permettra-t-elle, &c. Il en eft de même après l'adverbe encore: encore faut-il que nous agiffions; encore le malheur oulut-il que tout manquát; & quelquefois après l'adverbe auffi je connois ces gens-là, auffi me tiens-je toujours fur mes gardes; ils ont commis mille injuftices, auffi chacun les traite-t-il felon leurs œuvres, &c.

On dit encore fouvent, en mettant le pronom après le verbe, dit-il, reprit-elle, dirent-ils, repliquèrent-elles, &c. pour marquer les différentes interlocutions d'un difcours dialogué. Vous étes charmante, dit-il; je voudrois, répondit-elle, pouvoir en dire autant de vous: celà ne vous fera pas difficile, reprit-il, pourvu qu'un mensonge ne vous coûte pas plus qu'à moi.

LA MARQUISE.

Le renversement du pronom & du verbe eft-il toujours nécessaire pour l'interrogation ?

L'ABBÉ.

Non, Madame : il y a des cas où l'interrogation n'eft indiquée que par le fens du difcours, & feulement défignée par le point interrogant, comme dans ces vers de M. de la Fontaine :

Chemin faifant, il vit le cou du chien pelé.
Qu'eft-ce donc, lui dit-il? Rien. Quoi ! rien? Peu de chose.
Mais, encor? Le collier dont je fuis attaché,
De ce que vous voyez pourroit être la caufe.
Attaché, dit le loup! vous ne courez donc pas
Où vous voulez? Pas toujours, mais qu'importe
Il importe fi bien, &c.

SOPHIE.

La phrafe interrogative n'appartient-elle jamais au fubjonctif?

L'ABBÉ.

Non, Mademoiselle; mais elle peut avoir un fubjonctif pour régime, & même ce régime lui eft fouvent plus naturel que le conditionnel ou l'indicatif. Penjez-vous qu'il vienne? Croiriez-vous qu'elles s'en fachaffent?

LE MILOR D.

Vous n'avez point encore expliqué la phrafe 'négative, mais il me femble que tous les autres genres de phrafes peuvent devenir négatifs, en y ajoutant le petit mot ne. Je crois, je ne crois pas. Vous avez voulu, vous n'avez pas voulu. On voudrait, on ne voudrait pas. Que tu veuilles, que tu ne veuilles point, &c.

L'ABBÉ.

Le mot ne n'a pas toujours cette propriété. Il y a des cas où il n'ajoute aux phrases dans lefquelles il fe trouve feul, aucune idée de négation: cc font les phrafes fubjonctives gouvernées par des verbes qui expriment la crainte, la peur, l'appréhenfion. Je crains que vous ne perdiez. Vous auriez peur qu'on ne vous condamnat. J'appréhendois qu'il

n'arrivát quelque malheur; de crainte qu'on ne vous prévienne; de peur que vous ne foyez trop fatigué; & les phrafes dans lefquelles on compare avec inégalité l'expreffion de deux verbes, ou du même verbe appliqué à différents temps ou à différents objets. J'écris mieux que je ne parle. Tu cours plus fort que tu ne courois. Il mangeoit moins qu'il ne buvoit, &c.

Dans ce dernier cas, le verbe gouverné eft néceffairement affirmatif. Mais les premières phrafes citées peuvent devenir négatives par l'addition d'un mot qui ferve de complément à la négation ne: Je crains que vous ne perdiez pas. Vous auriez peur qu'on ne vous condamnat point. J'appréhendois qu'il ne vous revint aucun profit. De crainte qu'on ne vous prévienne jamais, De peur que vous ne foyez nullement fortuné, &c. Ces compléments pas, point, aucun, jamais, nullement, modifient la négation de différentes manières, qu'il eft aifé d'apprécier, en examinant le fens du difcours.

LE MILOR D.

La négative ne a donc toujours un complément? L'ABBÉ.

Elle peut quelquefois s'en paffer, fur-tout quand cette fuppreflion ne produit point d'équivoque comme dans ce vers :

Il n'eft bien fous le ciel qui vous parût égal.

Le fens de l'expreffion eft auffi clair que fi on difoit il n'eft point de bien, nul bien, aucun bien, &c.

Nous obferverons que le mode fubjonctif eft plus naturel au régime des phrafes négatives qu'à celui des phrafes affirmatives. Je crois que tu feras heureux; je ne crois pas que tu fois heureux. Ja penfois qu'on m'attendoit; je ne penfois pas qu'on m'attendit. On affuroit que vous viendriez; on n'auroit pas que vous vinfliez,

LE MILOR D.

C'eft fans doute pour cette raifon que la conjonction négative à moins que, gouverne le fubjonctif: Je retiens ceci, à moins qu'on ne le veuille.

L'A BB É.

Vous regardez cette conjonction comme négative, parce que fon régime eft précédé du mot ne; mais ce mot n'eft encore là que par élégance. Pour qu'il offrît une idée de négation, il faudroit qu'il eût un complément ; comme fi on difoit Je retiens ceci, à moins qu'on ne le veuille pas.

On peut quelquefois fous-entendre ces deux mots, à moins; par exemple, au lieu de dire Je ne venois point à moins qu'on ne m'appelât, on dit affez fouvent Je ne venois point qu'on ne m'appelát. Mais la feconde partie de cette abréviation ne peut recevoir aucun complément qui la rende négative.

Voici encore une abréviation qui eft particulière à la phrafe négative. Au lieu de dire N'avoir pas befoin, n'avoir point affaire que, on dit N'avoir que faire que. Je n'ai pas befoin qu'on me croie. Je n'ai point affaire qu'on me croie. Je n'ai que faire qu'on me croie. Toutes ces expreflions gouvernent abfolument le fubjonctif.

Enfin nous remarquerons que les phrases négatives gouvernées par le pronom général on, occafionnent des équivoques pour l'oreille, toutes les fois que la négative ne n'a point de complément & qu'elle eft entre le pronom on & un mot qui commence par une voyelle. Nous fommes perdus fi on en décide autrement; nous fommes perdus fi on n'en décide autrement. Voilà deux phrases dont le fens eft tout-à-fait oppofé : la première dit oui, la feconde dit non; cependant elles fe prononcent exactement de la même manière. Il en eft de même des phrafes gérondives négatives, quand la négative ne précède un mot qui commence par une voyelle. En chériffant la vertu, en ofant lui

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