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LE COMT E.

Ces deux lettres font étymologiques elles nous viennent du latin, qui les emploie précisément dans le même cas.

LE MILOR D.

Mais ces lettres fe prononcent dans le latin; & même on m'a affuré qu'elles étoient autrefois prononcées dans le françois, & qu'au lieu de dire comme aujourd'hui, nos Dames arrive, elles parle elles chante, elles fe promène, on auroit dit en faifant fentir l'n & let: nos Dames arrivant, elles parlant, elles chantant, elles fe promenant.

LA MARQUISE.

Cette prononciation eft encore en ufage dans plufieurs campagnes.

LE COMT E.

t

Quoique cette n & ce t ne fe faffent plus fentir de la même manière, ils n'en font pas moins néceffaires à la prononciation. Premièrement fi les mots qu'ils terminent font fuivis d'un mot qui commence par une voyelle, le z fonne néceffairement avec cette voyelle initiale. Par exemple, ces phrafes: nos Dames arrivèrent ensemble, fe mirent à jouer, penfèrent à la promenade, & fortirent auffi promptement qu'elles étoient entrées, fe prononcent comme s'il y avoit : nos Dames arrivère-tenfemble, fe mire-ta jouer, penfère-ta la promenade, & fortire-tauffi promptement qu'elles étoie-tentrées.

Mais pour indiquer cette prononciation, j'ai été obligé de féparer le t final de l'e muet, fans quoi l'e prendroit un fon aigu comme dans le mot net; on liroit: nos Dames arrivéret, se miret penfèret, fortiret, &c. Il faut donc entre l'e & le t final, un caractère, une marque qui rende la prononciation plus fourde, en détruifant l'effet que let muet ne manque jamais de produire fur l'e qui le précède immédiatement; l'n eft fans contre→

'dit celle de toutes les lettres qui eft la plus propre à remplir cet objet. Pour parer aux inconvénients qui en font inféparables, il faudroit inventer un caractère qui rendît l'e muet indépendamment des confonnes dont il eft fuivi en attendant, nous n'avons rien de mieux à faire que de terminer ces mots par nt muet: nos Dames arrivèrent, fe mirent, penfèrent, fortirent, étoient, &c.

SOPHIE.

Il doit être bien mal aifé de favoir quand il faut 'écrire cette n & ce t qui ne fe prononcent point. LE COMTE.

C'eft la chofe la plus facile du monde pour ceux qui ont étudié la langue latine.

L' A B B É.

Celà fera bientôt tout auffi facile pour Made moifelle.

LE COMTE.

Vous augmentez fans ceffe l'impatience que j'ai de connoître vos règles fur l'orthographe des différentes parties du difcours. Mais je ferois bien fàché que pour y arriver plus promptement, vous abrégeaffiez en aucune manière vos explications fur les lettres. Vous me faites remarquer une foule de nuances qui m'avoient échappé, & qui peuvent contribuer plus qu'on ne croit à la perfection de la langue.

LE MILOR D.

Vous avez, je penfe, beaucoup de mots à la fin defquels I's ajoutée à l'e, lui donne un fon grave & ouvert.

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L'A B B É.

Oui Monfieur, mais ordinairement cet e eft marqué d'un accent grave: après, procès, profès, fuccès, &c. On en excepte quelques mots d'une feule fyllabe, dans lefquels l'e a le même fon ou

vert, quoiqu'il foit écrit fans accent: tels font mes, tes, fes, les; mes biens, tes biens, fes biens, les biens, &c.

LA MARQUISE.

Je fuis fûre que cette exception a encore pour but de diftinguer des mots femblables qui ont des fignifications différentes.

LE COMTE.

- Celà cft vrai à quelques égards. On écrit les mots dès, ès avec un accent grave dans ces expreffions: dès l'aurore, maître ès arts; & fans accent dans celles-ci: des biens, tu es fage, &c. Mais ce motif ne me paroît pas vraisemblable: il y a plufieurs de ces petits mots, dont les uns s'écrivent avec un accent, tels que près, après, exprès; & les autres fans accent, tels que mes, tes, les, fes, ces, &c. fans qu'on puiffe craindre la moindre équivoque. La meilleure raison qu'on puiffe donner, c'eft que l'ufage le veut ainfi : cette fentence refout bien des difficultés en matière de langue.

L'ABBÉ.

Il paroît qu'autrefois cette diftinction étoit plus utile qu'elle ne l'eft préfentement: ces petits mots mes, tes, fes, les, des, ces, deftinés à marquer plufieurs perfonnes ou plufieurs chofes, ne fe prononçoient pas auffi fortement qu'aujourd'hui; & on trouve encore beaucoup de perfonnes qui, au moins dans le difcours familier, liroient ces expreffions: des amis, mes enfants, les hommes, comme s'il y avoit dzamis, mzenfants, lzhommes, &c. Mais comme depuis affez long-tems on dit avec l'e ouvert, dès amis, mès enfants, lès hommes, il me femble qu'il n'y auroit aucun inconvénient à écrire ces mots conformément à la prononciation, d'autant mieux que cette innovation fe borneroit à l'addition d'un accent,

LE MILOR D.

Selon ce que vous nous avez fait voir, les fyllabes muettes finiffent par e, es ou ent: dans ces trois cas peuvent-elles faire élifion, fi le mot qui fuit commence par une voyelle ou une h muerte? L'ABBÉ.

Non, Monfieur, il n'y a que le muet fimple qui foit fufceptible d'élifion : les autres fyllabes muettes fe diftinguent toujours de celles qui les fuivent. C'est ce qu'on voit dans ces vers de douze fyllabes:

C'eft-à-toi-d'en-fei-gner-ce-qu'ils doi-vent-ap-prendre.
Il-nous-trou-ve-par-tout-les-ar-mes-à-la-main.

LE MILOR D.

Celà eft vrai on prononce ce-qu'ils-doi-ve-tappren-dre, & non ce-qu'ils-doi-vap-prendre; lesar-me-za-la-main, & non les-ar-ma-la-main. SOPHIE.

Quand on dit : ce qu'ils doivent apprendre c'eft comme s'il y avoit ce que ils doivent appren dre. Une apoftrophe remplace l'e du mot que.

L'ABBÉ.

Oui, Mademoiselle. Il en eft de même de l'e des mots ce & de, dans le commencement de ce même vers, c'eft-à-toi d'enfeigner: fans cette fubftitution de l'apostrophe à l'e muet, on diroit ce eft à toi de enfeigner.

LA MARQUISE.

Vous dites que chacun des vers cités eft de douze fyllabes; indépendamment des élifions, j'en trouve treize dans le premier:

C'eft-à-toi-d'en-fei-gner-ce-qu'ils-doi-vent-ap-pren-dre.
L'ABBÉ.

Celà eft vrai, Madame; mais quand les

vers

fi

niffent par une fyllabe muette, cette dernière fyl labe n'eft jamais comptée de forte que les vers ainfi terminés ont une fyllabe de plus que ceux de même mesure qui finiffent par une fyllabe fonore.

Ce mélange de rimes muettes & fonores fait un des principaux agréments de la poëfie françoise comme on le peut voir dans ces jolis vers:

Cer-tain-en-fant-qu'a-vec-crain-te on-ca-ref-se,
Et-qu'on-con-noît-à-fon-ma-lin-fou-ris,
Court-en-tous-lieux-pré-cé-dé-par-les-ris,
Mais-trop-fou-vent-fui-vi-de-la-trif-tef-fe;
Dans-les-cours-des-hu-mains-il-en-tre a-vec-fou-plef-fe;
Ha-bi-te a-vec-fier-té, -s'en-vo-le a-vec-mé-pris.

Les quatre premiers font cenfés chacun de dix fyllabes, quoique le premier & le quatrième aient de plus la fyllabe muette qui les termine: la même différence règne entre le cinquième & le fixième, dans lefquels on ne compte que douze fyllabes quoique le cinquième ait une fyllabe muette de plus.

LE MILOR D.

Toutes les espèces de fyllabes muettes font donc furnuméraires à la fin des vers françois ?

L'ABBÉ.

Oui, Monfieur; foit qu'elles ne fe forment que de l'e fimple, comme la fyllabe fe dans les vers que je viens de citer; foit que ces fyllabes fe forment de es muet, comme nes à la fin de ce vers:

Tu-la-con-nois-bien-peu-puif-que-tu-t'en-é-ton-nes.

Soit qu'elles fe forment de ent muet, comme la dernière de ce vers:

Auf-fi-les-qua-tre-parts-des-hu-mains-s'en-re-pen-tent.

LA MARQUISE.

J'entends celà. Ces deux vers ne font que de douze fyllabes: la treizième nes, tent, ne fe

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