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dis; de manière que s'il n'y fait pas attention, il fait prefque entendre fo quo jo dis.

SOPHIE.

So quo jo dis... je ne crois pas avoir ja mais entendu prononcer comme celà.

LA MARQUIS E.

Pour moi, je l'ai entendu encore étoit-ce par des perfonnes qui paroiffoient avoir eu quelque éducation.

LE MILOR D.

Dans la poëfie, il faut donc faire abfolument fentir tous les muets.

LE COMTE.

Oui, Monfieur, excepté quand l'e muet finit un mot, & que le mot fuivant commence par une voyelle. Alors le fon de l'e muet fe perd abfolument, & on n'entend plus que celui de la voyelle dont il eft fuivi. C'eft ce qu'on appelle une élifion.

Les élifions diminuent le nombre des fyllabes, prononcées, parce que leur effet eft d'en réunir deux en un feul temps. C'eft ce qu'on voit dans ces vers: L'homme ainfi que la vigne, a besoin de support. Mais aux ombres du crime on prête aifément foi.

Chacun de ces vers renferme quatorze fyllabes qui fe réduifent à douze, parce que la dernière fyllabe des mots homme & vigne, dans le premier, & crime & prête dans le dernier, fe confond avec la fyllabe qui la fuit.

LE MILO R D.

J'entends celà, il faut prononcer en douze temps:
L'hom-me ain-fi-que-la-vi-gne, a-be-foin-de-fup-port.
Mais-aux-om-bres-du-cri-me on-prê-te ai-fé-ment-foi,

SOPHIE.

Ces élifions n'ont-elles lieu que dans les vers ?

L'ABBÉ.

Elles fe pratiquent également dans la profe: & peine dites-vous deux mots de fuite que vous formez quelques élifions. Voici de la profe: il faut rire avant d'être heureux. Lifez, s'il vous plaît, en marquant les fyllabes.

SOPHIE lit.

Il-faut-ri-re a-vant-d'é-tre heu-reux.

L'ABBÉ.

Celà fait huit fyllabes prononcées; mais comp tez-les fur l'écriture.

SOPHIE.

Il-faut-ri-re-a-vant-d'é-tre-heu-reux. En voilà dix: il y a apparemment deux élifions,

L'ABBÉ.

Oui, Mademoifelle. Au lieu de prononcer en quatre temps: ri-re-a-vant d'é-tre-heu-reux, on dit en trois temps: ri-re a-vant d'é-tre heureux

LA MARQUISE

Je vois bien que la dernière fyllabe du mot rire & l'a qui commence le mot avant, ne doivent former enfemble qu'un même fon; mais la dernière fyllabe du mot étre ne peut pas s'unir de la même manière avec la première du mot heureux, qui commence par une confonne,

L' A BB É.

L'h dans le mot heureux n'eft ni voyelle ni confonne c'eft une fimple marque qui ne fert qu'à rappeller l'étymologie, & qui n'influe en rien fur la prononciation; de forte qu'on lit comme fi ce mot étoit écrit fans h: d'étre eureux; ce qui fait naturellement réduire ces quatre fyllabes à trois : d'é-treu-reux,

SOPHIE.

L'h placée au commencement d'un mot, n'empê che donc jamais que le fon de l'e muet dont elle eft précédée, ne s'uniffe avec celui de la voyelle dont elle eft fuivic?

LE COMTE.

avec

Pardonnez-moi, Mademoifelle: il y a des mots où l'h fe manifefte par une espece de fouffle ou d'afpiration tels font les mots Hollandois, hauteur héros, haine, &c. Alors l'h cft une confonne : elle empêche l'élifion de l'e muet qui la précède, la voyelle qui la fuit. Ainfi ces expreflions, invincible héros, - quelle honte pour moi! - une haine envenimée, doivent fe prononcer fans élifion : in-vin-ci-ble-hé-ros, - quel-le-hon-te-pour-moi! une-hai-ne en-ve-ni-mée ; & non avec élifion; invin-ci-blé-ros, quel-lon-te-pour-moi! - u-nainen-ve-ni-mée.

L'ABBÉ.

Il y a dans la phrafe que j'ai citée: il faut rire avant d'être heureux, une autre élifion que je ne remarquois pas, c'eft comme s'il y avoit il faut rire avant de être heureux. L'e du mot de fait élifion avec le premier e du mot étre ; & comme ce petit mot de revient très-fouvent dans le difcours, & que par conféquent il y fait de fréquentes élifions, toutes les fois qu'il précède une voyelle ou une h muette, on en fupprime l'e, qu'on remplace par une efpèce de virgule nommée apoftrophe, comme on le voit dans l'exemple cité.

Cette fubftitution de l'apoftrophe à l'e muet fe pratique à l'égard de tous les petits mots qui ne font compofés que d'une fyllabe muette: le, te, fe, de, &c. & de quelques autres, tels que les mots entre, lorfque, parceque, &c. Pour écrire proprement, il faut laiffer entre les lettres féparées par une a postrophe, un peu plus de diftance qu'on n'en met dans les autres cas. L'efprit, l'homme, on t'ou

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blie, ils s'amufent entr'eux, lorsqu'on m'apprit ceite nouvelle, &c.

LE MILOR D.

Il n'y a donc que l'e muet qui puiffe s'élider avant une autre voyelle.

:

L'ABBÉ.

On élide auffi l'a & l'i, mais feulement dans les petits mots la & fi alors ces voyelles font pareillement remplacées par une apoftrophe. Ainfi, au licu d'écrire la humeur, là âme, fi il vouloit fi ils peuvent, on écrit l'humeur, l'âme, s'il vou loit, s'ils peuvent, &c.

LE MILOR D.

De forte qu'à l'exception de ces deux mots & la, l'apostrophe tient toujours licu d'un e muet qui fait élifion avec une autre voyelle.

:

L'ABBÉ.

Le mot grande offre à cet égard une fingularité remarquable fon e final ne fe change en apoftrophe que quand le mot fuivant commence par une confonne. Au lien de la grande chambre du Palais, grande mère, grande meffe, grande chère, grande chofe, grande pitié, on écrit ordinairement la grand chambre du Palais, grand'mère, la grand'meffe, grand'chère, grand'chofe, grand pitié, & on prononce fans faire fentir le d ni l'e: la gran cham→ bre, gran mère, gran meffe, &c. Cependant, fi on en excepte la premiere de ces expreflions: la grand chambre du Palais, dans laquelle le changement de l'e muet en apoftrophe eft confacré par le ftyle du barreau, beaucoup de perfonnes qui fe piquent d'exactitude, veulent que l'e du mot grande foit confervé, & qu'on écrive grande mère, grande melle, grande chère, &c. je ne crois pas même qu'il foit permis d'écrire ni de prononcer autrement dans le difcours foutenu.

LA MARQUÍSE.

Je ne me figurois pas qu'il y eût tant de chofes intéreffantes à dire fur l'e muet.

L'ABBÉ.

La matière n'eft pas épuifée, Madame : cette voyelle a encore plufieurs propriétes effentielles qu'il faut développer.

L'e muct fuivi de l's auffi muctte, n'en reçoit ordinairement aucune modification, comme on le voit dans ces mots: de grandes richeffes, de belles perfonnes, tu donnes, tu parles, &c. qui fe prononcent comme s'il n'y avoit point d's: de belle perfonne, de grande richeffe, tu denne, tu parle, &c. Il en eft de même generalement quand l'e muet eft fuivi d'une n & d'un t mucts. Ces phrafes: elles viennent, elles parlent, elles enten lent, fe prononcent comme s'il y avoit fimplement elles vienne elles parle, elles entende, &c.

SOPHIE.

Une n & un muets! Toutes les lettres peuvent donc être muettes ?

L'ABBÉ.

Il y en a fort peu d'exceptées.

LA MARQUISE.

Ce font, par exemple, ces deux lettres-là qu'on feroit bien de retrancher: on mettroit feulement une s en place, pour faire voir qu'on parle de plufieurs perfonnes. Au lieu d'écrire: nos Dames arrivent elles parlent, elles chantent, elles fe promènent on écriroit: nos Dames arrives, elles parles, elles chantes, elles fe promènes, &c. Celá feroit bien plus commode pour l'orthographe, & on ne feroit pas obligé de gronder tant de fois les enfants pour leur faire diftinguer les mots à la fin defquels l'n & let doivent être prononcés, de ceux où ils ne doi vent faire aucune fenfation,

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