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LA MARQUISE.

Rien de fi facile en changeant la tournure des phrafes, on fépare les prépofitions des mots avec lefquels elles font confondues; ou on les fait toutà-fait difparoître, fi elles ne font pas cffentielles au difcours. Cette perfonne eft aimable, mais vous le lui avez trop dit, vous lui en avez trop parlé. Elle eft dans l'erreur, mais vous y étes auffi. C'eft comme fi on difoit vous avez trop dit à cette perfonne qu'elle eft aimable, vous avez trop parlé à elle de ce qu'elle eft aimable, vous êtes auffi dans l'erreur; & voilà les prépofitions à, de, dans, qui fortent des compofés lui, en, y.

On veut de la fortune, de l'éclat, des honneurs. On peut dire on veut la fortune, l'éclat, les honneurs, & voilà la prépofition de tout-à-fait évanouie.

Par ce moyen on peut diftinguer les régimes directs, de ceux qui font abfolument précédés de quelque prépofition, qui, pour cette raifon, ne font qu'indirects, & ne peuvent rien ajouter au participe.

L'ABBÉ.

Vous entendez parfaitement cette méthode; mais en voici une autre dont Mademoiselle pourra tirer un meilleur parti. Nous remarquerons que dans tous les verbes qui ont un régime direct, le participe peut être regardé comme un adjectif qui s'y rapporte toujours; mais l'ufage ne permet de le décliner, que quand il eft précédé de ce régime, qui en prefcrit d'avance le genre & le nombre.

Or le verbe étre caractérise fi naturellement les adjectifs, qu'il n'y a point d'adjectif avant lequel ce verbe ne foit exprimé ou fous entendu. Un homme aimable, un homme qui cft aimable; des femmes vertueufes, des femmes qui font vertueuses, qui étoient vertueufes, &c.

Si donc, en fuppofant le verbe étre avant le participe, on voit qu'il puiffe fervir d'adjectif à

H

quelque pronom ou fubftantif déjà exprimé, on cit für qu'il doit être décliné felon le genre & le nombre de ce pronom cu de ce fubftantif

Les vaiffeaux que nous avions abordés nous donnèrent les vivres que nous leur avions demandés. Dites-moi, je vous prie, Mademoifelle, quels mots font participes dans cette phrafe.

SOPHIE.

nous

Ce font les mots abordés & demandes; car en mettant cette phrase au préfent, on diroit abordons, nous leur demandons, & les mots abordés & demandés ne s'y trouveroient plus.

L' A B B É.

Examinez préfentement ce qui eft abordé, ce qui eft demandé.

SOPHIE.

Ce font les vaiffeaux qui font abordés, ce font les vivres qui font demandés.

L'A BB É,

Hé bien, Mademoiselle, parce que ces participes ou adjectifs abordés & demandés, font précédés des fubftantifs mafculins pluriels vaiffeaux & vivres, auxquels ils fe rapportent, ils doivent pareillement être au mafculin pluriel; voilà pourquoi ils font terminés par une s. Voyons la même phrase

tournée différemment.

Nous avons abordé ces vaiffeaux, & leur avons demandé des vivres.

Ce font encore les vaiffeaux qui font abordés; & les vivres qui font demandés ; mais ces participes ou adjectifs abordé & demandé, font indéclinables, parce qu'ils précédent leurs fubftantifs vaisseaux

& vivres.

Voyons, s'il vous plaît, encore ces phrafes-ci, Nous nous fommes fait peindre; j'ai voulu me défendre & ne l'ai pas ofé.

Qu'est-ce qui cft fait, voulu, ofé?

SOPHIE.

Ce qui eft fait, c'est peindre, ce qui est voulu & ofé, c'eft me défendre.

L'ABBÉ.

Vous voyez que ces mots peindre & défendre font des infinitifs, qui, par conféquent, n'ont ni genre ni nombre: ainfi les participes fait, voulu, ofe, qui s'y rapportent, font abfolument indéclinables.

Il en eft de même des participes dit & cru dans cette phrafe: on vous avoit dit qu'on vous admiroit,& yous l'aviez cru; parce que ce qui eft dit & cru, c'eft qu'on vous admiroit, & cette expreffion ne peut s'appliquer ni au mafculin ni au féminin, ni au fingulier ni au pluriel.

SOPHIE.

Cette règle eft bien plus facile que la précédente. On avoit labouré, cultivé & fertilifé cette terre. C'eft la terre qui étoit labourée, cultivée, fertilisée; mais tous les participes font placé avant le mor terre voilà pourquoi on ne les met point au féminin.

Mais les participes finiffent par un e muet dans cette phrase:

Madame avoit rie, chantée, danfée,

pour quadrer avec le mot Madame, auquel ils fe rapportent, & dont ils font précédés.

L'ABBÉ.

Les participes de cette dernière phrase ne peuvent pas être pris pour des adjectifs. Il ne s'agit pas de dire que cette Dame eft rie, chantée, danfée; rien dans cette phrafe n'eft ri, chanté, danfé. Par conféquent ces participes ne fe rapportent à rien comme adjectifs, & font abfolument indéclinables. Madame avoit ri, chanté, danjë,

LE MILOR D.

Faut-il dire, en parlant de plufieurs femmes; je les ai vues badiner, ou, fans décliner le participe, je les ai vu badiner?

L'A BB É.

On peut écrire cette phrafe de l'une ou de l'autre manière,. felon le fens qu'on veut y attacher. S'agit-il de dire que vous avez vu ces Dames qui badinoient? Alors ce fubftantif femmes cft le régime direct du verbe voir: ce font des femmes vues, ainfi le participe vues doit être au féminin pluriel, parce qu'il eft précédé du pronom les, qui repréfente le fubftantif femmes.

Mais pour dire qu'on a vu badiner ces femmes par quelqu'un, le participe vu doit être indéclinable. Ce ne font point des femmes qu'on a vues ; on a feulement vu badiner.

LE COMTE.

Voici quelques phrafes qui paffent pour correctes, & qui ne me femblent pas écrites conformément à vos principes.

Vous devez être fatisfait de la juftice que vous ont rendu vos Juges..

Elle lui eft alle porter de l'argent : elle nous eft venu voir.

Ce jour eft un de ceux qu'ils ont confacré aux larmes.

J'ai bien remarqué que les participes rendu, allé, confacré y font indéclinables, quoiqu'il s'agiffe de juftice rendue, d'une femme qui eft allée & venue, de jours confacrés aux larmes.

L'A B B É.

Quelques Grammairiens, pour excufer l'orthographe de cette première phrafe, prétendent que le participe eft indéclinable quand il eft mis après le nominatif. Mais on s'accorde préfentement à

détruire cette exception; & il eft plus que permis de fuivre la règle générale, en déclinant le participe rendue: vous devez étre fatisfait de la juftice que vous ont rendue vos Juges.

Pour les deux derniers exemples, j'en ai vu l'apologie, & je vous avouerai que je n'y ai rien compris du tout. Qu'on dife: elle est allée lui porter de l'argent, ou elle lui eft allée porter de l'argent; elle nous eft venue voir, ou elle eft venue nous voir, on ne fait que tranfpofer un mot lui ou nous cela n'empêche pas le pronom féminin elle, de précéder le participe allée ou venue, qui, par conféquent, eft du genre féminin & doit fe terminer par un e muet. Enfin dans la dernière phrafe, il eft aifé de voir que le participe confacré ne fe rapporte pas à un feul jour, mais à tous les jours confacrés aux larmes, exprimés par le pronom ceux, dont il eft précédé, & qui, par conféquent, le rend déclinable. On pourroit dire dans le même fens, c'eft un des jours qu'ils ont confacrés aux larmes; ainfi ce participe doit finir par une s, pour s'accorder avec le pronom mafculin pluriel ceux ce jour est un de ceux qu'ils ont confacrés aux larmes.

Nous avons expliqué beaucoup de chofes dans cet entretien: j'efpère, Mefdames, que vous nous prouverez demain par quelques exemples, que vous les avez bien entendues.

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