Imágenes de página
PDF
ePub

DIALOGUE XII.

SUR LE VERBE EN GÉNÉRAL.

LA MARQUISE, SOPHIE, L'ABBÉ, LE COMTE, LE MILORD. L'ABBÉ.

A. PR È S'avoir expliqué les acceffoires du ver

be, nous allons voir le verbe lui-même ; c'eft-àdire le mot qui réunit toutes les parties du difcours, qui leur donne l'âme & l'expreflion.

LA MARQUIS E.

Nous montrerons une autre fois ce que nous avons écrit.

L'ABBÉ.

Montrez préfentement, Mefdames; je fuis fûr vous avez fait des merveilles.

LA MARQUIS E.

que

Nous n'avons prefque point travaillé : voilà ce que nous avons fait enfemble.

Au cœur, à l'âme, a l'efprit, à la voix.

Aux cœurs, aux ámes, aux efprits, aux voix. Du fentiment, de lavertu, de l'honneur, de l'élocance. 'Des fentimens, des vertus, des honneurs, des élo

cances.

Voici ce que Mademoiselle a fait feule: je n'ai pas voulu la critiquer.

Un homme violament perfécuté, & fependant heureux. Une femme violament perfécutée, & fependant heureufe.

Des hommes violament perjécutés & sependant heu-.

reux.

Des femmes violament perfécutées, & fependant heureuses.

LE MILOR D.

Il nc falloit pas écrire élocance par can.

LA MARQUIS E.

Je ne croyois pas avoir manqué dans ce mot-là: je l'ai fini par ce & non par fe, parce que le t des mots élocant, élocante doit fe changer en c & non

en s.

LE COMTE.

Cela eft vrai, mais il falloit écrire éloquence par quen & non par can, parce que ce mot vient du latin eloquentia.

LA MARQUIS E.

Il faut donc abfolument favoir le latin pour écrire les mots françois ?

L'ABBÉ.

On croit cette reffource un peu plus néceffaire qu'elle ne l'eft effectivement. Je vous donnerai bientôt les moyens d'y fuppléer, au moins en partie; en attendant, fouvenez-vous que ce mot éloquence doit s'écrire par que, ainfi que fes analogues éloquent, éloquente, éloquemment.

Vous avez fuivi l'orthographe de M. le Conte dans le pluriel fentimens.

LA MARQUISE.

Je me fuis trompée : ce n'eft pas là le fyftême que je veux fuivre je ferai le pluriel femblable au fingulier, en y mettant feulement une s de plus, fentiment, fentiments. Ainfi je devois écrire. Au cœur, à l'âme, aux cœurs, aux âmes. A l'efprit, à la voix, aux efprits, aux voix. Du Jentiment,de la vertu,des fentiments, des vertus. De l'honneur, de l'éloquence, des honneurs, des élo

quences.

On

On ne peut guère dire au pluriel des éloquences mais vous nous avez permis d'être peu fcrupuleufes fur le choix des mots pourvu qu'ils nous conduifent à la connoiffance de l'orthographe.

[ocr errors]

L'ABBÉ.

A ce mot éloquence près, que vous aviez écrit par can, il n'y avoit rien de repréhenfible dans votre ouvrage. Voyons Mademoiselle Sophie, elle a commis deux fautes: d'abord le premier adverbe.

SOPHIE.

Cela eft vrai, je devois écrire violamment par deux m, parce qu'il fe rapporte à l'adjectif violant qui finit par ant.'

L'ABBÉ.

Ce n'est pas tout dans le fens de votre phrafe, on écrit violent par en, & non violant par an ; ainfi, par règle d'analogie, il faut écrire violemment, & non violamment, &c.

SOPHIE.

Quelle eft la raifon de cette différence? Je gage que vous ne jugerez pas encore à propos de me l'expliquer.

L'ABBÉ.

Préfentement celà feroit trop difficile. Mais, patience; commencez par vous approprier les termes d'art: tâchons de bien nous entendre, & dans peu de jours vous ferez toute étonnée de vos progrès.

Vous avez encore eu tort d'écrire le dernier adverbe par S, fependant. Cet adverbe fignific pendant celà: or celà doit s'écrire par c, comme tous les autres pronoms & adjectifs démonftratifs ; ainfi ce c doit fe conferver dans la première fyllabe de Tadverbe cependant.

SOPHIE.

J'y fuis préfentement: tout ce qui fe rapporte

Bb

au mot cela doit s'écrire par un c. Il falloit donc écrire :

Un homme violemment perfécuté, & cependant heu

reux.

Une femme violemment perfécutée, & cependant heureufe.

Des hommes violemment perfécutés, & cependant

heureux.

Des femmes violemment perfécutées, & cependant heureuses.

Je vois bien que j'ai eu raison d'écrire femme par fem; mais je ne fais pas pourquoi, car ce mot ne me paroît avoir aucun analogue.

LE MILO R D.

Féminin, femelle, effeminé.

SOPHIE.

J'ai honte de n'avoir pas deviné celà : & je mets `deux m pour qu'on y prononce em comme un a, fame; ce qui fe voit auffi dans le mot differemment, qu'on prononce differament.

L'ABBÉ.

Fort bien, Mademoifelle. Revenons au vcrbe: nous avons déjà dit que c'eft la partie de la phrafe ou du verbe, qui, par excellence, en retient le nom; que c'eft dans ce mot que réfide l'expreflion de ce qu'on veut annoncer; de manière qu'on ne peut faire paffer aucune penfée dans l'efprit de l'auditeur ou du lecteur, fans le fecours d'un verbe exprimé ou fous-entendu. Enfin nous avons démontré que que le verbe, par fes variations, marque les différents temps auxquels la phrafe peut être appliquée; il nous refte à faire voir les modifications qu'il reçoit felon qu'il fe rapporte à la première, à la feconde ou à la troifième perfonne.

LA MARQUIS E.

Les perfonnes du verbe font fans doute comme

celles des pronoms. La première perfonne fe rapporte à ceux qui parlent d'eux-mêmes ou de leur compagnie; la feconde, aux perfonnes à qui on adrefie la parole; & la troisième, à toutes les perfonnes ou à toutes les chofes qui ne font ni à la feconde perfonne ni à la première.

L'ABBÉ.

Oui, Madame. Les pronoms qu'on emploie concourent avec la forme du verbe pour indiquer la perfonne à laquelle ils doivent fe rapporter. C'est ce que nous éclaircirons par quelques exemples.

PREMIÈRE

PERSONNE.

Singulier. Je vins, je vis & je vainquis.

Pluriel. Et nous n'acquérons plus à veillir, que des ans.

[blocks in formation]

Singulier. Et tu mettois Bourbon au rang de tes amis. Pluriel. Vous exprimez beaucoup, vous fentez davantage.

Sing.

Plur.

{

TROISIÈME

PERSON NE.

Mon génie étonné tremble devant le fien.
Il fut trop admiré pour n'être point haï.

Elle a d'affez beaux yeux, pour des yeux de Province.
Toujours les fcélérats ont recours au parjure,

Les tourterelles fe fuyoient.

Ils ne mouroient pas tous, mais tous étoient frappés.
Elles féchoient fur leurs tiges penchantes.

Les pronoms qui indiquent la perfonne du verbe, font ce qu'on appelle les pronoms perfonnels. Ceux de la première perfonne font je & nous; ceux de la feconde, tu & yous; ceux de la troifième, il ou elle, & ils ou elles. A ces derniers pronoms on en peut fubftituer une infinité d'autres, tels que ceci, celà, celui-ci, celle-là, plufieurs, perfonne, on, tout, &c. On les remplace encore fouvent par les noms ou autres mots qu'ils repréfentent; ce qui n'eft point praticable aux deux premières perfonnes.

SOPHIE.

Il y a trois verbes dans le premier exemple, car

« AnteriorContinuar »