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LA MARQUISE.

Celà eft vrai: ce ne feroit plus tout-à-fait d'abord, tout-à-fait comme il vous plaira, mais nous tous ou nous toutes fans exception, qui nous étions fâchés ou fachées d'abord, & qui ferons comme il vous plaira.

L'ABBÉ.

Sans déplacer l'adverbe tout, on pourroit fe contenter de le décliner. Nous étions fachés tous d'abord, ou nous étions fâchées toutes d'abord; nous ferons tous ou toutes comme il vous plaira; alors l'adverbe tous ou toutes fe rapporteroit encore au pronom nous; mais il eft bien plus clair & plus élégant de le féparer des autres adverbcs. Nous tous, ou nous toutes étions, nous tous, ou nous toutes ferons comme il vous plaira.

LE MILOR D.

Je fens celà. Mais quand on dit nous ferons tout comme il vous plaira, celà préfente encore deux fens Nous ferons tout-à-fait comme il vous plaira, & nous ferons toutes chofes comme il vous Flaira. Dans cette dernière phrafe, le mot tour cft

un pronom.

L'A B B É.

Dans ces deux cas, le pronom ou l'adverbe tout offre une équivoque inévitable tant pour l'oreille que pour les yeux. Ainfi la clarté du difcours pourroit exiger qu'on changeât la conftruction de la phrafe.

LA MARQUISE.

Ce mot tout a donc bien des propriétés.

L'ABBÉ.

Oui, Madame. Nous venons de voir qu'il s'emploie dans la fignification de trois adverbes différents. Il eft pronom indéfini, & par conféquent indéclinable.

C'étoit ceci, c'étoit celà,

C'étoit tout, car les précieufes

Font deffus tout les dédaigneufes.

Il eft fubftantif dans cette phrafe: le tout eff égal à toutes fes parties.

Enfin il s'emploie comme adjectif & fignifie entier.

Pour tout le reke on eft fans yeux.

Toute la bande des amours.

C'eft comme s'il y avoit pour le refle entier. La bande entière des amours.

J'oubliois de vous faire remarquer l'adverbe quelque. Il faut bien le diftinguer de l'adjectif quelque, qui eft déclinable felon le genre & le nombre du fubftantif auquel il fe rapporte quelque plaifir, quelque joie, quelques plaifirs, quelques joies, &c. L'adverbe quelque cft indeclinable & précède toujours des adjectifs : quelque aimable que vous foyez, quelque heureux qu'il fit, quelque beaux qu'ils aient été, quelque belles qu'elles puiffent étre, &c. Nous venons de voir qu'il eft fynonyme du mot tout employé comme adverbe.

LE MILOR D.

Cet adverbe quelque eft indéclinable comme tous les autres adverbes. Les mots méme & tout font donc les feuls qui puiffent être déclinés quoiqu'employés adverbialement ?

L'A BB É.

Le mot feul a encore cette propriété. On dit en le déclinant, lui feul eft mon ami, elle feule peut tout embellir, eux feels peuvent me connoître, elles feules ont été maltraitées, quoiqu'on puiffe dire en fubftituant un adverbe au mot feul, lui feulement, elle feulement, eux feulement, elles feule

ment.

LA MARQUISE.

Y a-t-il des cas où ce mot feul foit indéclinable?

L'ABBÉ.

Non, Madame, il fe décline toujours voilà pourquoi on le range généralement dans la claffe des adjectifs, fans faire attention à fa propriété effentielle.

LE MILOR D.

Il femble que dans les phrafes citées, l'advcrbe décliné feul eft mis à la place du mot un pareillement décliné. On entend lui un, elle une, eux uns, elles unes; car tous les autres noms de nombres s'emploient dans le même fens adverbial. Elles deux, nous quatre, eux cinq, &c. Les noms de nombres font indéclinables dans cette fignification adverbiale, comme dans la fignification adjective.

L'ABBÉ.

Voilà une remarque dont je ne m'étois point cncore avifé: cependant elle eft très-jufte.

LA MARQUISE.

Le mot encore n'eft-il pas auffi un adverbe?

L'ABBÉ.

Oui, Madame: il fignifie de rechef, une autre fois.

LA MARQUISE.

Voilà donc encore un adverbe qui fe décline, car je l'ai vu tantôt par un e, encore, & tantôt fans

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L'emploi ou la fuppreffion de l'e à la fin de l'adverbe encore, n'empêche pas qu'il ne foit indéclinable & ne reconnoiffe ni genre ni nombre. D'ailleurs il n'en eft point queftion dans la profe; on y écrit toujours encore avec l'e muet: je ne puis encore répondre au dernier article de votre lettre, il eft encore temps de nous y prendre, &c. On fe permet feulement dans la poefie de conferver ou de

retrancher cet e final, felon que l'exige la rime ou la mesure du vers: tantôt il forme une rime féminine:

Ce que j'aime eft peut-être en des mains que j'abhorre:

Je n'ai d'autres douceurs que d'en douter encore.

Tantôt il forme une rime mafculine:

Dieux ! prendra-t-il l'effor

Si jeune encor?

Tantôt il n'eft que de deux fyllabes:

On tremble de le voir encor qu'on le defire Tantôt il eft de trois fyllabes:

Aux doux attraits de l'efpérance

Il n'ofe encore fe livrer.

L'orthographe de ce mot n'eft indifférente dans les vers que quand il eft fuivi d'un mot qui commence par une voyelle, alors on l'écrit comme dans la profe, avec l'e muet.

Le chemin eft encore ouvert au repentir.

Cette altération du mot encore eft ce qu'on appelle une licence poétique.

LA MARQUISE.

Il paroît que Meffieurs les Poëtes tirent fouvent parti de cette reffource-là.

LE COMTE.

Beaucoup moins qu'on ne fe le figure. Je crois que ce mot encore eft préfentement le feul que la poëfie fe permette d'altérer.

LE MILO R D.

Et votre mot avec, qu'on augmente fouvent de la fyllabe que, avecque, quand on a envie de le faire valoir trois fyllabes, ce qu'on voit dans ces vers de Malherbe.

J'avois toujours fait compte, aimant chofe fi haute,
De ne m'en féparer qu'avecque le trépas,

L'ABBÉ.

Il y a long-temps que cette licence n'eft plus en ufage. Cette fyllabe muctte ajoutée ne pouvoit jamais produire qu'un mauvais effet. Il en étoit de même du mot done, qu'on écrivoit quelquefois doncque; mais on ne trouve plus d'exemples de cette licence & autres femblables que dans la poëfie gauloife.

LE MILOR D.

On ajoute auffi une s finale au mot jufques, pour empêcher que fa dernière fyllabe ne fafle élifion Et jufques au bon jour, il dit tout à l'oreille.

Sans I's ajoutée au mot jufques, ce vers, qui eft de douze fyllabes outre la derniere, feroit réduit à onze fyllabes pleines:

Et-juf-qu'au-bon-jour-il-dit-tout-à-l'o-reille.

L'ABBÉ.

Cette licence, fi c'en eft une, appartient auffibien à la profe qu'à la poëfic. On y a recours dans toutes les efpèces de ftyle, pour empêcher la cacophonic, c'eft-à-dire le mauvais fon, comme dans cette phrafe. Nous interrogerons jufques à Calchas. S'il y avoit fans s, jufqu'à Calchas, on feroit entendre trois fois le même fon cacalcas, ce qui feroit choquant pour l'oreille. Il y a quelques li cences d'une autre efpèce dont nous parlerons quand l'occafion s'en préfentera. Dans notre premier entretien, nous ferons quelques explications générales fur les verbes. J'efpère, Mefdames, que vous nous montrerez des phrafes dans lefquelles vous aurez employé quelques combinaifons de prépofitions, de pronoms, d'articles & d'adverbes.

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