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Celles qu'il nous eft plus utile de remarquer, font à, qui marque le tendance vers quelque objet, & de, qui marque au contraire l'émanation de quelque objet. Ces propriétés ne font pas toujours affez conftantes ni affez bien caractérisées; ce qui occafionne des difficultés fans nombre, relativement à la clarté & à l'élégance du difcours.

LE MILOR D.

On m'a fait voir à cet égard une inconféquence qui a force de loi dans toutes les Grammaires; c'eft que le verbe aimer précède immédiatement les noms auxquels il fe rapporte : j'aime Dieu, nous aimons le prochain, &c. mais s'il fe rapporte à un verbe, alors on y interpofe la prépofition à : j'aime à rire, nous aimons à chanter, &c.

LE COMT E.

Ces prétendues inconféquences ne font pas fort rares. Les verbes craindre, défendre, & peut-être quelques autres, font dans le même cas, relativement à la prépofition de. Je crains Dieu, je crains de faire le mal; je défends le mal, je défends de mal faire.

L'A B B É.

Quand, à deux fubftantifs qui fe fuivent, on interpofe quelque prépofition, le dernier fait fouvent la fonction d'adjectif. Amour de Dieu, vaiffeau de guerre, chapeau à bord d'argent, bateau à mats & à voiles, un aventurier fous le mafque, une rente pour la vie; c'est comme s'il y avoit amour divin, vaiffeau guerrier, chapeau bordé d'argent, bateau maté & voilé, un aventurier mafqué, une rente viagère, &c. de manière que dans chacune de ccs expreffions, le premier mot eft fcul fubftantif: amour, vaiffeau, chapeau, bateau, aventurier, rente; & que les mots qui le fuivent ne forment enfemble qu'un adjectif de Dieu, divin; de guerre, guerrier; à bord, bordé, &c.

LA MARQUISE.

Ceci me rappelle une queftion qui fut propofée devant moi il y a quelques jours, & qui ne fut point décidée. Faut-il dire une robe de fatin blanche, ou une robe de fatin blanc ?

L'ABBÉ.

Au premier abord, ceci paroît affez arbitraire; mais je remarque à cet égard une regle qu'on fuit fans y penfer, c'eft de faire quadrer l'adjectif avec celui des fubftantifs qu'on veut principalement qualifier. Ainfi je dirois avec l'adjectif mafculin, une. robe de fatin broché, & non brochée, parce que ce n'eft pas la robe qui eft brochee, mais le fatin qui eft broché. Je dirois au contraire, avec l'adjectif féminin, une robe de fatin bien garnie, & non garni, parce que c'eft la robe qui eft garnie, & non le fatin qui eft garni. Par la même raifon, on dit avec les adjectifs mafculins, une barique de vin blanc nouveau, & avec les adjectifs féminins, une barique de vin neuve & bien conditionnée.

Quand la qualification convient également à l'un & à l'autre fubftantif, le genre de l'adjectif paroît être indifférent; ce qui feroit croire qu'on pourroit dire également une robe de fatin blanc, & une robe de fatin blanche ; mais comme c'eft de la robe qu'on veut parler, & non du fatin, je pencherois pour la dernière de ces expreffions; & même, pour lever toute équivoque, je mettrois l'adjectif immédiatement après le mot principal: une robe blanche de fatin.

Dans ce cas, l'adjectif eft mis au fingulier ou au pluriel, felon le nombre du fubftantif auquel on veut qu'il fe rapporte. Il eft au fingulier dans les cxemples précédents, & au pluriel dans ceux-ci : des poiffons de rivière excellents, des bateaux de Sapin très-legers, &c. Ceci ne demande pas de nouvelles explications.

Mais très-fouvent les fubftantifs qui fe fuivent

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font indépendants les uns des autres; ce qui a toujours lieu quand ils font féparés par des conjonctions ou des virgules qui en tiennent lieu. Efprit, graces, beauté, tout femble fait pour vous. Le ciel, la terre, les enfers font conjurés contre moi. Il n'écoute ni prières ni menaces. Tu perds & tes foins &ta peine. Sans remords, fans plaifirs, maitreffe de fes fens. Des monts & des colines. On fe livre au plaifir, à la joie, à l'ivreffe, &c.

Alors un feul adjectif peut fe rapporter à plufieurs fubftantifs, & il eft clair que cet adjectif doit être mis au pluriel. Si les fubftantifs font mafculins, on le mettra au mafculin pluriel: un efprit & un cœur excellents, & non excellent; s'ils font au féminin, l'adjectif doit être au féminin plurich : une grandeur & une nobleffe empruntées. Ceci ne fouffre aucune difficulté. Mais quand les fubftantifs font de différents genres, l'adjectif ne peut quadrer en même-temps avec les uns & les autres; dans la néceffité d'opter, on s'eft décidé pour le mafculin. Par exemple, on dit une mère & un fils charmants, & non charmantes.

LA MARQUIS E.

On voit bien que les règles de la grammaire n'ont point été établies par les femmes. Meflicurs les Grammairiens ne fe contentent pas de dire que le mafculin doit être préféré; ils cn donnent une raifon qui fait injure à mon fexe : c'eft, difent-ils, parce que le mafculin eft le genre le plus noble. Mais l'oreille françoife nous venge: malgré toutes les règles, on ne dira point qu'une perfonne a le pied & la main beaux, qu'un acteur chante avec un goût & une nobleffe charmants; on ne peut s'empêcher de dire le pied & la main belle, un goût & une nobleffe charmante.

LE COMTE.

C'eft qu'alors on fous-entend un adjectif : c'cft

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comme fi on difoit : le pied beau & la main belle, un goût charmant & une nobleffe charmante.

L'ABBÉ.

J'ai entendu alléguer cette raifon-là, mais elle ne me paroît pas plaufible. Il n'y a point de fubftantifs après lefquels on ne puiffe fous-entendre quelques adjectifs. On diroit également des hommes francs & généreux, & des femmes franches & géné reufes, quoiqu'il fût très-ridicule de dire des hommes & des femmes franches & généreuses.

LA MARQUISE.

Vous ne diriez pas non plus des hommes & des femmes francs & généreux : ces adjectifs mafculins jureroient avec le mot femme, qui eft féminin. L'ABBÉ.

Cette conftruction feroit exacte; & quelque incivile que foit la règle, on ne peut fe difpenfer de la fuivre; mais pour rendre l'expreffion moins dure, je mettrois le fubftantif mafculin immédiatement avant les adjectifs. Des femmes & des hommes francs & généreux. Cet acteur chante avec une nobleffe & un goût charmants: par ce moyen, je ne choquerai ni le bon fens ni l'oreille.

LA MARQUISE.

Vous diriez donc pareillement : cette perfonne a la main & le picd beaux.

L'ABBÉ.

Non, Madame, parce que celà offriroit une équivoque ridicule; mais je prendrois un autre tour; je dirois, par exemple: cette perfonne a un' beau pied & une belle main.

LE MILOR D.

Les fubftantifs font-ils le feul genre de mots qui foient indépendants les uns des autres, quand

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ils font féparés par des conjonctions, ou par des virgules qui produifent le même effet?

L'ABBÉ.

Cette règle a généralement lieu, non-feulement à l'égard des fubftantifs, mais des verbes, des pronoms, des adjectifs & de toute autre partie du difcours qui fe trouve répétée fans aucune liaifon de dépendance.

la gloire du monde
Eclate, fe fait craindre, & difparoît en l'air.
Généreux, bienfaifant, jufte, plein de vertus,
Ni vous, ni moi, n'y pouvons rien changer.

Mais quand un fubftantif dépend d'un autre fubftantif dont il cft précédé, on y interpofe abfolument une prépofition & point de conjonction. Maifon de plaifance, des Heures à la Reine, un Ménuifier pour les carroffes, un méchant dans le chagrin, une broderie en or, &c.

La prépofition, comme fon nom le fait entendre, précède généralement tous les mots auxquels elle fe rapporte. A la plus aimable. De tous les mortels. Pour un temps orageux, &c.

La prépofition s'unit étroitement, au moins pour la prononciation, avec les mots qu'elle précède: en hiver, Jans elle, dès aujourd'hui, avant eux, fe prononcent abfolument de manière à faire fentir la confonne finale de la prépofition: en niver, Jan zelle, de zaujourd'hui, avan teux, &c.

Quand l'article eft précédé des prépofitions à & de, il s'y joint ordinairement de manière à ne faire avec elles qu'un feul mot Au lieu de dire à le bonheur, de le pain, à les biens, à les âmes, de les biens, de les ames, on dit & on écrit, au bonheur, du pain, aux biens, aux ames, des biens des ames, &c. de forte qu'on met au pour à le, du pour de le, aux pour à les, des pour de les. Ces mots au, du, aux, des, font ce que nous appellerons des articles compofés. Cette

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