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Monfieur, qui a fait une étude fuivie de la langue françoife, voudra bien fuppléer à mon défaut, & réfoudre tous les cas difficiles.

L'ABBÉ.

Quelque envie que j'aie de vous être utile, je n'oferois m'impofer une pareille tâche. Des règles fixes fur la prononciation ne peuvent être l'ouvrage d'un particulier, & encore moins de celui qui eft peu répandu & qui paffe prefque toute la vie dans fon laboratoire. Il feroit à fouhaiter que les favants & les gens de goût de chaque nation fe réuniffent, non-feulement pour permettre ou défendre telles lettres dans tels mots, mais pour déterminer la valeur de ces mêmes lettres, fixer les propriétés des accents, & en inventer de nouveaux, s'il en étoit befoin. Ce feroit le moyen de détruire, ou du moins d'affoiblir les accents provinciaux & étrangers, qui défigurent toutes les langues, & fur-tout la nôtre.

LE MILOR D.

Votre indécifion me fait infifter encore davantage fur la demande que j'ai pris la liberté de vous faire. Si des François auffi inftruits que vous, peuvent trouver dans leur langue quelques mots dont la prononciation les embarraffe, quelle route pourrai-je fuivre pour parvenir à la perfection que je me fuis propofée pour but? En attendant qu'un ouvrage parfait & revêtu d'une autorité refpectable, ne nous laisse rien à defirer fur cet article, ne négligez, je vous fupplie, aucune occafion d'éclaircir mes doutes fur la nature & les diverfes modifications du fon que représente chaque voyelle.

LE COMTE.

Nous avons à cet égard quelques règles indépendantes des accents. Par exemple, les voyelles font ordinairement brèves quand elles font fuivies de toute autre confonne double que l'r ou l's. Ce

qu'on voit dans les mots Abbé, belle, immenfe honneur, lutte, dont la première voyelle fe prononce brievement, parce qu'elle eft fuivie de deux b, deux 1, deux m, deux n ou deux t.

L'ABBÉ.

Cette règle feroit générale fi les doubles confonnes étoient toujours articulées diftinctement; ce qui avoit probablement lieu dans la première inftitution de la langue. Les voyelles font pareillement brèves avant l'r & l'f doubles, dans affembler, ef fence, tiffu, coloffal, difcuffion, arrogance, erreur, irrégulier, horreur, refurrection, &c. parce qu'on y fait entendre fucceffivement deux fou deux r. Mais les voyelles font longues avant ces mêmes confonnes; dans passfer, pressant, glisser, grasseur, que vous lussiez, barreau, terrain, Squirreux, clorre, &c. parce qu'on n'y prononce que la feconde r, & la feconde f; & que la première ne produit que l'effet d'un accent circonflexe, comme s'il y avoit på-fer, pré-fant, gli-fer, gró-feur, lú-fiez, ba-reau, té-rain, fqui-reux, cló-re, &c. Ainfi, nonobftant la double confonne, ces derniers mots devroient s'écrire par une voyelle accentuée.

LE MILOR D.

I'r & If font apparemment les feules confonnes qui offrent cette alternative.

L'ABBÉ.

Pardonnez-moi, Monfieur : la voyelle qui précède la double ff eft encore longue ou brève felon les cas elle eft longue dans coeffe, offre, &c. parce que la première f fait la fonction d'un accent, & qu'on prononce comme s'il y avoit coé-fe, ófre, &c. mais la voyelle eft brève dans effet, coffre, &c. parce qu'on fait en quelque forte fentir les deux f. LE MILOR D.

Je crois avoir lu que les voyelles étoient rarement brèves avant les confonnes fimples,

L'ABBÉ.

Celà pouvoit être vrai dans le principe; mais aujourd'hui la confonne double ou fimple n'influe en rien fur la longueur ou la brieveté de la voyelle. Elle est également brève dans cabale, filence, comédie, honorer, crédulité, & dans abbé, ville, homme, honneur, nullité, &c. quoique dans ces premiers mots la confonne foit fimple, & qu'elle foit double dans les derniers.

LE MILOR D.

Ces obfervations s'appliquent-elles aux voyelles compofées ?

L'ABBÉ.

Oui, Monfieur; mais les voyelles compofées ne précèdent point d'autres confonnes doubles que l'f, I'r, & f. Dans chauffer, courrier, baiffer, &c. la voyelle eft longue; & elle cft brève dans étouffer, il courra, épouffette, &c.

SOPHIE.

Toutes les fois que deux ou plufieurs voyelles font mifes de fuite, forment-elles des voyelles compofées?

LE COMTE.

Non, Mademoifelle. Le fon de l'i & de l'u ne fe confond jamais avec celui des voyelles qui les fuivent, ni celui de l'a, de l'e & de l'o avec celui des voyelles qui les précèdent : ce qu'on voit dans les mots diacre, miel, lion, fcire, nous faluámes, fuer, nuit, nous remuons, création, croaffer, aërien, Aonides, Noël, créole, &c. où les deux voyelles qui fe fuivent, fe font entendre fucceffivement.

LA MARQUISE.

Mais ai, au, ei, eu, oi, ou, forment toujours des fons fimples: laine, haut, reine, jeune, il difoit, jouer, &c.

LE COMTE.

Cela n'eft pas fans exception, Madame; mais quand on veut que ces voyelles fe prononcent féparément, on met deux points fur la dernière, comme on le voit dans les mots hair, Sail, réiterer, réunir, Pirithous, &c. Ces voyelles ainfi marquées de deux points, font ce qu'on appelle des voyelles tréma: un ë tréma, un ü tréma, un ï tréma.

SOPHIE.

Voilà donc deux fortes de marques, qu'on mct fur les voyelles : des accents pour en rendre le fon plus fort & plus alongé, & deux points pour montrer qu'elles doivent être prononcées féparément des autres voyelles avec lefquelles elles fe trouvent.

L'ABBÉ.

Tous les accents n'alongent pas le fon des voyelles fur lefquelles ils font placés: cette propriété eft particulière à l'accent circonflexe, qui, comme nous l'avons fait voir, fe met fur l'a, l'e, li, lo & l'u. Pour l'accent aigu, qui élève le fon: témérité, févérité; & l'accent grave, qui le rabaiffe: après exprès, ils n'empêchent pas la brieveté de la voyelle fur laquelle ils font placés. L'e eft la feule voyelle dont le fon foit modifié par ces deux accents.

LE MILOR D.

J'ai pourtant vu l'accent grave placé fur l'a & fur l'u.

L'ABBÉ.

Oui, Monfieur. Mais le fon de ces voyelles n'en reçoit aucune altération: il n'a d'autres propriétés que de diftinguer à l'oeil certains petits mots de quelques autres qui s'écrivent avec les mêmes lct-tres, & fe prononcent exactement de la même manière, tels que là, où, à, avec un accent grave dans ces phrafes: étes-vous là? Je ne fais où je fuis; je vais à Rome ; & la, ou, a fans accent dans celles

ci: nous cherchons la vérité, il veut tout ou rien, la nature a bien des fecrets. Ces diftinctions & autres femblables, font, comme nous l'avons déjà remarqué, beaucoup plus embarraffantes qu'utiles; cependant, pour ne rien omettre, nous en parlerons quand nous aurons expliqué les différents genres de mots auxquels elles s'appliquent.

LA MARQUISE

On ne devroit jamais employer les accents que pour indiquer quelques changements dans le fon des lettres. LE MILOR D.

Je me figurois auffi que c'étoit leur unique propriété; & jufqu'à préfent, j'aurois prononcé plus fortement là, où, à, écrits avec l'accent grave, que les mêmes mots la, ou, a, écrits fans accent. LE COMTE.

Ce feroit une faute de prononciation. Il faut vous fouvenir que l'accent grave ne fait jamais aucun changement au fon de l'u ni à celui de l'a: l'e eft la feule voyelle qui en reçoive quelque modification.

SOPHIE.

Les deux points peuvent-ils fe mettre fur toutes les voyelles?

LE COMTE.

Non, Mademoiselle: on ne les met jamais fur l'o ni fur l'a, parce que le fon de ces voyelles ne peut fe confondre avec celui des voyelles dont elles font précédées.

L'ABBÉ.

Par la même raison, on ne devroit point employer d'e trema, parce que le fon de l'e ne s'unit jamais à celui des voyelles qui le précèdent.

LE COMTE.

Cependant nous avons plufieurs mots tels que

Sœur,

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