Imágenes de página
PDF
ePub

LA MARQUISE.

Un pronom eft ce qu'on met pour un nom: la chofe eft toute fimple. Il y a long-temps que j'entends parler de ces mots-là, & je n'avois pas encore pu m'en former une idée bien jufte.

L'ABBÉ.

Au licu de répéter plufieurs fois le même nom dans une période, ou même dans une phrafe, on lui fubftitue d'autres mots qui rendent l'expreffion moins traînante & plus variéc. Par exemple, on ne diroit point: la beauté eft le plus puiffant & le plus foible ennemi de l'homme: il ne faut à la beauté qu'un regard pour vaincre; il ne faut que ne pas regarder la beauté, pour triompher de la beauté; mais plus élégamment, en fubftituant au mot beauté les pronoms lui, la, elle : la beauté eft le plus puiffant & le plus foible ennemi de l'homme il ne lui faut qu'un regard pour vaincre; il ne faut que ne la pas regarder pour triompher d'elle. Dès qu'on a nommé les objets dont on veut parler, les pronoms en rappellent l'idée d'une manière plus agréable & moins fatigante que fi on employoit par-tout le mot propre.

:

Les pronoms peuvent être divifés en trois claffes les uns repréfentent le nom de l'étre ou des êtres qui parlent, comme les mots, je, moi, nous, me, dans ces phrafes, je me repofe fur moi feul, ou feule; nous nous repofons fur nous feuls, ou feules: c'eft ce qu'on appelle la première perfonne,

Les autres défignent l'être ou les êtres à qui on adreffe la parole, comme les mots tu, toi, te › vous, dans ces phrafes, tu te repofes fur toi feul ou feule, vous vous repofez fur vous feuls ou feules, qui ne font que les premières dont j'ai changé les pronoms : c'eft ce qui s'appelle la feconde perfonne.

Enfin les autres remplacent les noms de tous les êtres qu'on veut défigner, excepté ceux qui parlent & ceux à qui on adreffe la parole; tels font

les mots il, elle, le, la, lui, fe, foi, on, ils, elles, les, eux, leur, qui, ceci, celà, dans ces phrafes: il fe repofe fur lui feul, elle fe repofe fur elle feule, ils fe repofent fur eux feuls, elles fe repofent fur elles feules, on fe repofe fur foi feul ; qui vient? ceci me plait, celà m'amufe, &c. C'eft ce qu'on appelle la troisième perjonne.

LA MARQUISE.

Voilà bien des pronoms différents, fur-tout pour la troifième perfonne.

L'ABBÉ.

Nous en avons encore beaucoup d'autres, dont nous ne pourrons bien expliquer les propriétés qu'après avoir pris une idée de quelques parties du difcours auxquelles ils fe rapportent, ou avec lefquelles ils font compliqués.

SOPHIE.

Ces mots-là repréfentent donc toujours le nom de quelqu'un ou de quelque chofe?

L'ABBÉ.

Prefque toujours, Mademoiselle: nous en excepterons feulement quelques circonftances où ils repréfentent des adjectifs, des verbes ou même des phrafes & des difcours entiers.

LE MILOR D.

Des difcours entiers! je ne conçois pas celà. L'ABBÉ.

Celà eft pourtant tout fimple. Qu'on vous dife d'une manière perfuafive, que telle chofe eft arrivée, qu'il en résulte tel effet, qu'on y a pris telle part, &c. vous pourrez répondre: je le crois, celà eft vrai. Les mots le & celà ne repréfentent-ils pas tout ce qu'on vous a dit? Vous croyez telle chofe arrivée, tel effet réfulté de cette chofe, telle part prise à cet effet, &c. ce font tous ces événements que vous croyez vrais.

Mais ceci n'eft qu'une remarque de pure curiofité il n'en eft pas de même des cas où le pronom représente un adjectif. Le mot le eft le feul qui ait cette propriété; & alors il n'eft fufceptible d'aucune variation, ni pour les nombres, ni pour les

genres.

LA MARQUISE

Pour le coup, voilà du favant.

L'ABBÉ.

Pas tant que vous le croyez, Madame. Répon→ dez, je vous prie, à une queftion que je vais vous faire. Etes-vous curieufe de favoir écrire correctement?

LA MARQUISE.

Je connois le piége que vous me tendez: on m'a expliqué la règle à cet égard; mais quoi que vous en puiffiez dire, je répondrai: oui, je la fuis où non, je ne la fuis pas.

L'ABBÉ.

Ce feroit une faute contre les principes. Un mot ne peut être fufceptible de nombres & de genres que quand il défigne quelqué objet. Or, le pronom la ne remplace le nom d'aucun être ni phyfique ni moral; il rappelle feulement le titre exprimé par l'adjectif curieufe. Ainfi ce pronom doit être indéclinable à quelque nombre & à quelque genre qu'il foit, il doit s'écrire comme au mafculin fingulier; par conféquent, au lieu de dire je la fuis, je ne la fuis pas, il falloit dire avec le pronom indéclinable le, je le fuis, je ne le fuis pas. Un homme diroit pareillement je le fuis, je ne le fuis pas; plufieurs hommes ou plufieurs femmes diroient nous le fommes, nous ne le fommes pas.

LA MARQUIS E.

Jc fens celà. On ne le met pas au féminin, parce qu'on ne peut le mettre au pluriel. On ne fe per

mettroit jamais de dire: nous les fommes, nous ne les fommes pas ; vous les étes, elles ne les font pas, &c. Ainfi c'eft pareillement une faute que de dire au féminin: je ne la fuis pas. Je me figurois que cette régle n'étoit fondée que fur des autorités ; mais je vois qu'elle eft dictée par le bon fens.

LE COMT E.

C'eft ce qu'on voit encore dans ces phrafes: Ces enfants ne font pas encore fages, mais avec vous ils le deviendront, ou du moins ils tâcheront de le paroître: on ne pourroit pas dire ils les deviendront, ils tâcheront de les paroître.

Mais fi on vous demandoit: étes-vous Madame la Marquife? Il faudroit répondre au féminin: oui je la Juis, ou non je ne la fuis pas. Il feroit ridicule alors de dire, avec le pronom indéclinable: je le fuis, je ne le fuis pas, parce que le pronom la tient la place d'un véritable nom, celui de Madame la Marquife, qui en détermine le genre.

L'ABBÉ.

J'aimerois encore mieux dans cette circonftance, répondre tout fimplement oui ou non, Si on dcmandoit à ces Dames : étes-vous Madame la Marquife & Mademoiselle Sophie? elles ne répondroient fûrement pas : oui, nous les fommes, non, nous ne les Jommes pas; elles ne diroient pas non plus: oui nous le fommes, non, nous ne le fommes pas. Ainfi le pronom, foit déclinable, foit indéclinable, y cft déplacé, au moins dans le pluriel : cette raifon eft fuffifante pour ne point l'admettre au fingulier.

Nous avons des pronoms qu'on appelle indéfnis, parce qu'ils expriment des objets vagues & indéterminés. Il y en a quelques-uns dont la connoiffance importe à notre but.

[ocr errors]

Ces pronoms indéfinis font toujours au mafculin, & ordinairement au fingulier. On eft venu quelqu'un eft venu, nul n'eft venu, chacun eft venu, aucun n'eft venu, tout eft verui, quelque chofe

eft venu, rien n'eft venu, l'un eft venu, l'autre eft venu, quoi que ce foit n'eft venu, qui que ce Joit n'eft venu, &c. On n'a égard ni au genre ni au nombre des noms que ces pronoms peuvent remplacer.

Le pronom plufieurs, défigne toujours le pluriel: plufieurs font venus. On dit fouvent au pluriel, les les autres: les uns jont venus, les autres ne Jont pas venus, &c.

uns,

LA MARQUISE.

J'ai vu auffi ces pronoms au féminin On dit chacune eft venue aucune n'eft venue, l'une eft venue, l'autre n'eft pas venue, &c.

[ocr errors]

L'A B BÉ.

Alors ce ne font plus des pronoms, ils ne tiennent la place d'aucun nom; ce font des adjectifs dont le fubftantif eft fous-entendu : c'eft comme fi vous difiez chacune de ces perfonnes eft venue, aucune de ces perfonnes n'eft venue, l'une de ces perfonnes eft venue, l'autre de ces perfonnes n'eft pas venue, &c.

Les pronoms ou adjectifs aucun & chacun, font remarquables, parce qu'ils ne s'emploient jamais qu'au fingulier mafculin ou féminin. On dit: chacun eft venu, chacune eft venue; aucun n'eft venu, aucune n'eft venue; mais on ne dit jamais au pluriel, chacuns font venus, chacunes font venues; aucuns ne font venus, aucunes ne font venues, &c. LE COMT E.

Je me rappelle pourtant que ces pluriels ne font pas fans exemple dans nos bons auteurs. La Fontaine a dit:

J'ai vu beaucoup d'hymens, mais aucuns ne me tentent.

L'ABBÉ.

Celà pouvoit être toléré du temps de Lafontaine. On trouve même, dans la Phédre de Racine:

« AnteriorContinuar »