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faite. Et puis la chofe eft toute fimple: un vers mafculin eft celui qui finit par un mot mafculin, & un vers féminin eft celui qui finit par un mot féminin,

L'ABBÉ.

Pardonnez-moi, Madame. Le vers masculin eft caractérisé par la rime fonore, qu'on appelle aufli rime mafculine; & le féminin, par une fyllabe muette qui le termine, & qui n'eft point comptée au nombre des fyllabes du vers.

La terminaifon du vers féminin fe nomme pareillement rime féminine.

LA MARQUISE.

Vous nous avez bien expliqué ces vers-là, mais vous ne leur avez pas donné les noms de mafculins & de féminins.

L'ABBÉ.

On les appelle ainfi parce que les mots féminins finiffent ordinairement par une fyllabe muette : belle, douce, âme, &c. & que la plupart des mots mafculins font terminés par une fyllabe fonore : grand, fer, emploi, &c. Mais il s'en manque bien que cette règle foit générale. Vous favez que nous avons beaucoup de noms mafculins qui finiffent par un e muet: monde, ange, gite, &c. & beaucoup de féminins qui n'ont pas cette terminaison tels que maifon, foi, mer, &c. D'autres mots que je ne vous ai point encore expliqués, ont une terminaifon muette ou fonore, fans qu'on y attache la moindre idée de mafculin ni de féminin; tels que je donne, tu pars, auffi-tôt, autrement, contre, prefque, &c. Ainfi les vers de l'une & de l'autre efpèce peuvent finir par des mafculins, des féminins, ou des mots qui ne foient fufceptibles d'aucun

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LA MARQUISE.

Le premier & le dernier font des vers masculins, & les deux autres font féminins.

L'ABBÉ.

Oui, Madame. Vous voyez que le premier des vers féminins finit par le mot modèle, qui eft masculin, mais qui eft terminé par une fyllabe muette. Le mot près, qui termine le dernier vers mafculin, n'eft fufceptible d'aucun genre: il fuffit qu'il forme une fyllabe fonore. Pour le premier & le troifième, ils finiffent par les mots attraits & belle, dont le genre s'accorde avec la terminaifun.

Voici un vers mafculin terminé par un mot féminin:

Pour deux ou trois Saphos il eft cent Scudéris.

& un féminin, terminé par un mot qui n'est d'aucun genre.

Un jour juge de l'autre, & le dernier décide.

LA MARQUISE.

J'entends celà. Le mot Scudéri eft le nom d'une femme, mais il ne finit pas par un e muet; en voilà affez pour que le vers qu'il termine foit mafculin. Le mot décide n'eft ni mafculin ni féminin mais il forme une rime féminine, uniquement parce que fa dernière fyllabe eft muctte.

SOPHIE.

Y a-t-il auffi des vers pluriels & des vers finguliers?

LE COMTE.

Je ne crois pas qu'on fe foit jamais avifé de leur donner ces dénominations; mais je les trouve tout auffi raifonnables que celles de mafculins & de féminins. On appelleroit vers pluriels ceux dont le dernier mot finiroit par s, x ou, comme ceux-ci:

On fe fert du bienfait contre les bienfaiteurs.
L'amitié d'un grand homme eft un bienfait des Dieux.
Dieux, qui la connoiffez,

Eft-ce donc fa vertu que vous récompenfez

On donneroit le nom de finguliers à ceux qui feroient terminés par toute autre lettre.

C'eft pofféder les biens, que favoir s'en paffer.

Le défespoir tient lieu de force & de courage.
L'inimitié fuccéde à l'amitié trahie.

Ces dénominations auroient les mêmes inconvénients que les autres. Il y auroit des vers finguliers qui finiroient par des mots pluriels.

Tous les Poëtes en diront

Autant & plus qu'ils ne fauront.

Des pluriels, qui finiroient par des mots finguliers.

Il lui fallut retourner au logis,

Honteux comme un renard qu'une poule auroit pris.
Que le monde, dit-il, eft grand & fpacieux !

Enfin des vers finguliers & pluriels, terminés par des mots qui n'appartiennent à aucun nombre, tels que ces vers finguliers:

Je ne veux pas d'un cœur qui ne fe donne point.
Cela dit, maître loup s'enfuit & court encor.

& ces vers pluriels :

Si je la haiffois, je ne la fuirois pas.

Les chofes d'ici-bas ne me regardent plus, &c. &c. &c.

LE MILOR D.

Et vous auffi, Monfieur le Comte! Vous voilà novateur dans toutes les règles: je n'aurois jamais prévu cette métamorphofe.

LE COMTE.

Mon but n'eft pas de propofer de nouvelles

expreffions, mais de prouver combien il eft facile d'en imaginer.

L'ABB É.

Quoi qu'il en foit, ces dénominations de vers finguliers & pluricls, ajoutées à celles de mafculins & de féminins, feroicnt fort commodes pour exprimer les règles établies à l'égard de la rime. On pourroit ftatuer que deux vers ne riment point entr'eux, à moins qu'ils ne s'accordent en genre & en nombre. Ainfi de même qu'une rime mafculine ne peut quadrer avec une rime féminine, une rime fingulière ne peut s'accorder avec une rime plurielle. LE MILOR D.

Ce font, à peu près, toutes les loix qu'on peut prefcrire à cet égard.

L'ABBÉ.

Il y en a encore d'autres, qu'il eft utile de connoître, non-feulement pour faire des vers, mais pour les juger avec difcernement, fans y exiger trop de contrainte, & fans y permettre des licences trop arbitraires.

Les rimes mafculines plurielles font celles qui coûtent le moins à affortir. On n'y fait prefque jamais aucune attention aux confonnes muettes, ni aux caractères qui expriment la dernière voyelle fonore: pourvu que deux rimes de cette espèce produifent exactement le même fon, on peut toujours les faire quadrer enfemble, quelque différentes qu'elles foient d'ailleurs.

Tous ces yeux qu'on voyoit venir de toutes parts
Confondre fur lui feul leurs avides regards.
Bientôt l'amour fertile en tendres fentiments,
S'empara du théâtre, ainfi que des romans.
Tout préfente en ces lieux l'étendard de la paix.
Où fe forge la foudre, il ne tonne jamais.
Affouvis la fureur dont ton cœur eft épris:
Joins un malheureux père à fon malheureux fils.

Il me pouffe, il me preffe, il fe jette à mes pieds:
Céfar, au nom des Dieux, dans ton cœur oubliés....
Deftructeurs des tyrans, vous qui n'avez pour rois
Que les Dieux de Numa, nos vertus & nos loix.
Aimez donc la raifon, que toujours vos écrits
Empruntent d'elle feule & leur luftre & leur prix.
D'un tourbillon de poudre obfcurciffant les airs,
Les orages fougueux parcourent l'univers,

Des remords, des fureurs, dont les triftes effets
Rendent les plus vengés les plus mal fatisfaits.
Maître de tes transports, impofe à tes bourreaux,
Et ne leur laiffe voir en toi que le héros.

Chéri de l'univers, enfin aimé de vous,
Il fembloit à lui feul appeller tous les coups.
LA MARQUIS E.

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La rime eft bien plus facile que je ne penfois : on fait rimer l'r avec l's; les confonnes nuettes font comptées pour rien: parts quadre avec regards, fentiments avec romans, épris avec fils pieds avec oubliés, vous avec coups; que les voyelles foient fimples ou compofées, il fuffit qu'elles fe prononcent de la même manière : an rime avec en, airs avec univers, effets avec fatisfaits, bourreaux avec héros, &c. je vous affure que je trouve ceci fort commode. Je m'imaginois qu'il falloit, pour que deux mots puffent rimer entr'eux, que leurs dernières fyllabes fuffent compofées exactement des mêmes lettres.

L'ABBÉ.

Celà fe rencontre affez fouvent. Mais ceux qui attachent trop d'importance à cette richeffe de rimes, & qui veulent que les yeux foient auffi fatisfaits que l'oreille, perdent très - fouvent l'occafion de dire de belles chofes. Les anciens François étoient à cet égard bien plus fcrupuleux que nous: ils fe donnoient des entraves fi gênantes & fi minutieufes, que nous ne daignons plus en faire mention,

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