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ble que ce redoublement de voyelle étoit bien favorable à la prononciation.

L'ABBÉ.

L'accent circonflexe s'eft encore mis à la place d'une dans le mot titre, qu'on écrivoit anciennement tiltre, & de l'x dans les mots dime, dimer, qu'on a écrit & qu'on écrit encore par un x, dixme, dixmer, &c. Il paroît même que dans le principe, l'ufage de l'accent circonflexe fe bornoit à marquer la place des lettres retranchées, & qu'il n'avoit prefque aucune influence fur la prononciation. On a toujours écrit fans accents quantité de voyelles longues & fortes, telles que l'a dans barrière, rare, gagner, grace; l'e dans preffe, greffe, poele; l'i dans rire, prifon, gliffer, fixain; l'o dans foffé, ofer; l'u dans ufer, dureté, ai dans haine, air, faifon, glaive; au dans autel, beauté; ei dans reine, Seine, rivière; eu dans beugler, leurre; ou dans rouler, bourrer, rouffir beloufer, &c. parce que dans tous ces mots, n'y a aucune fuppreffion de lettres étymologiques.

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Au contraire, on a écrit long-temps avec un accent circonflexe l'u qui termine plufieurs mots, tels que connú, vú, crú, apperçú, &c. & cela pour fuppléer une lettre retranchée, qui avoit dû produire un effet tout différent.

LE MILOR D.

Eft-ce qu'il y a quelque fuppreffion de lettres dans les mots connu, vu, cru, apperçu & autres femblables?

L'ABBÉ.

Oui, Monfieur: anciennement ces mots étoient terminés par eu, connen, veu, creu, apperceu, &c. Il cft probable qu'alors cet e n'y étoit point inutile, & qu'on prononçoit eu à la fin de ces mots, comme on le prononce aujourd'hui dans feu, jeucffe, peu, &c. Dans la fuite, une nouvelle pro

nonciation ayant rendu cet e inutile, on le fupprima, & on lui fubftitua un accent circonflexe fur lu : connu, vú, crủ, apperçu, &c. Mais on a fenti que l'accent contraftoit dans ces mots avec la brieveté de l'u final; & on eft généralement convenu de les écrire par des u fimples: connu, vu, cru, apperçu, &c.

LE COMTE.

Cet accent fe conferve encore dans le mot dû relatif à devoir: il m'eft dû vingt piftoles; le ref pect qui vous étoit dû, &c. pour le diftinguer d'un autre mot du qui n'a pas la même fignification : le point du jour, du matin au foir, &c. qu'on écrit toujours fans accent.

L'ABBÉ.

Cet accent indique une prononciation fauffe. L'zz eft toujours bref dans le mot du, quelque fignification qu'on lui donne. Il y a plufieurs diftinctions femblables, formées par des accents tout au moins inutiles à la prononciation, & qu'on pourroit fupprimer fans inconvénient. Beaucoup de mots pris en différents fens, s'écrivent tout-à-fait de la même manière, fans qu'il en réfulte la moindre obfcurité; leurs propriétés font prefque toujours fuffisamment indiquées par la place qu'ils occupent dans le difcours. Tel eft le mot fon dans ces phrafes: On n'eft pas toujours le maitre de fon cœur. Le fon de la lyre d'Amphion bâtit les murs de Thèbes. J'aime mieux le fon d'Espagne que le tabac trop fin; le mot pas dans celles-ci : nous marchons à grands pas, cependant nous n'arriverons pas affez tót, &c. &c.

LE COMTE.

Vous banniriez donc toutes les diftinctions qui ne font marquées que par des accents?

L'ABBÉ.

Non, Monfieur: je conferverois toutes celles qui

font indiquées par la prononciation. J'écrirois avec un accent circonflexe : Vous ne prenez à tâche. Soyez fûr de ma difcrétion. La châffe de Sainte Geneviève. Ce fruit eft mûr. Je bâtis une maison; & fans accent: C'eft une tache ineffaçable. Comptez fur ma difcrétion. On donne la partie de chaffe de Henri IV. On a réparé le mur de ce jardin. Je battis les ennemis, &c. parce que dans la première fignification, les mots tâche, súr, chaffe, múr, bátis fe prononcent longuement & fortement, & qu'ils ont une prononciation brève dans la fcconde.

LE MILOR D.

Il feroit bien commode pour les étrangers, & fouvent pour les François mêmes, que les accents ne fuffent jamais employés que pour favorifer la prononciation; & qu'on les placât fans exception, par-tout où la prononciation l'exige.

LE COMTE.

Si on en excepte les mots que Monfieur vient de citer, & quelques autres terminés par és, tels que dès, procès, près, &c. les voyelles ne reçoivent point d'accent quand elles font fuivies d'une r ou d'une s.

L'A BB É.

Tant pis, Monfieur. Dans ces cas, les voyelles peuvent être longues ou brèves, graves ou aigües muettes ou fonores : ce qu'il feroit fort utile de diftinguer par l'accentuation; écrivant, par exemple, avec l'accent circonflexe, paffer, présfer, gliser, gróffir, que je fuffe, baiffer, hauffer, pouffer, phrafe, thefe, frifure, ófer, abúfif, raifon, caúfe, peloufe, barrer, ráre, térrain, dire, Squirre, clórre, il abhorre, dûr, plaîre, maûre, boûrrer, &c. parce que la voyelle qui précède l'r ou l's, y a un fon fort & alongé; employant l'accent grave dans amèr, fièr, fièrté, fèr, &c. où l'e a effectivement un fon grave; l'accent aigu dans fagélfe,

méffage, éftime, où le fon de l'e eft aigu; & enfin, écrivant fans accent, embraffer, quafi, mif five, mifanthrope, broffe, aumuffe, raifin, couffinet, coufin, arriver, marine, irradical, admirable, horrible, il dora, claquemurer, airain nous aurons, courant, il courroit, &c. dans lefquels l'a, li, l'o, l'u, & les voyelles compofées qui précèdent l'r ou l's fe prononcent brievement; ainfi que reflemblant, nous trouverons, &c. où l'e qui précède l'r ou l's ne fait prefque aucune fenfation.

SOPHIE.

Il eft vrai que fi le bon ufage permettoit de mettre des accents par-tout où ils font néceffaires, on connoîtroit bien mieux la prononciation de tous les mots. Il y a des perfonnes qui prononcent brievement la méffe, une maîtreffe, je travaille, que je donnaffe, que je fuffe ; & d'autres qui prononcent fortement la méffe, une maîtreffe, je travaille, que je donnaffe, que je fuffe. Elles fe critiquent & fe blament les unes les autres, & ne trouvent aucun dictionnaire qui puiffe les mettre d'accord.

LA MARQUISE

Je fais bien qu'il faut prononcer brievement la meffe, je travaille; & qu'on doit appuyer fortement fur l'e dans maitreffe, fur l'a dans donnaffe, fur l'u dans fuffe; mais je n'ai d'autre guide que l'oreille & l'habitude. N'en déplaife à l'ufage, je voudrois mettre un accent aigu fur l'e du mot mésse; un circonflexe fur les voyelles fonores des mots maitreffe, que je donnaffe, que je fuffe; & j'écrirois je travaille fans aucun accent.

LE COMTE.

Tous ces accents ajoutés ne fervent qu'à défigurer l'orthographe. Chacun veut accentuer à fa manière; & comme chaque province & même chaque ville a fa prononciation particulière, on ne connoîtra bientôt plus rien à l'accentuation,

L'ABBÉ.

Il ne feroit fürement point à defirer que chacun plaçât les accents felon le genre de prononciation qu'il affecte: il en refulteroit une trop grande incertitude fur la nature des différents fons; mais aufli, en négligeant de déterminer la valeur de chaque voyelle par les accents convenables, on abandonne au caprice la prononciation d'une infinité de mots. Cet inconvénient eft d'autant plus dangereux qu'il y a des pays où le bon ufage ne pénètre pas toujours, & où il eft affez fouvent méconnu. Il feroit donc à propos qu'indépendamment des lettres dont les voyelles peuvent être fuivies, ceux qui poffèdent la vraie prononciation, les caractérifaffent de manière que personne ne pût s'y méprendre.

LE MILOR D.

J'ai un dictionnaire auquel il ne manque que cette partie pour être excellent. Vous me rendriez un grand fervice fi vous aviez la bonté d'y ajouter les accents par-tout où ils font néceffaires à la prononciation. C'eft un fecours dont à la rigueur les François peuvent fe paffer: une heurcufe habitude leur tient prefque toujours lieu des meilleurs principes. Mais un étranger ne peut fe conduire que par les règles qu'il a reçues, & par les obfervations qu'on lui a fait faire. Si les indices ordinaires ne font pas fuffifants, on peut fe permettre de les completter ne fût-ce que pour fon utilité particulière. J'efpère donc que vous ne me refuferez pas la grace que je vous demande, & que malgré les decifions de l'ufage, Monfieur le Comte aura la générofité de joindre fes bienfaits aux vôtres.

LE COMTE.

Je vous obéirois avec plaifir, fi j'avois une connoiffance plus parfaite de la vraie prononciation: j'accentuerai même, fi vous le défirez, tous les mots fur lefquels je n'ai aucun doute à cet égard; &

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