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Les mots qui fervent à nommer font proprement les feuls qu'on devroit ranger dans la claffe des noms: on les appelle noms fubftantifs. Mais comme ces noms ne forment pas toujours une défignation affez claire, on y ajoute très-fouvent d'autres mots qui leur font fubordonnés, & que pour cette raifon on appelle noms adjectifs. Ainfi quand on dit un pays beau, riche & fertile, le mot pays eft un nom fubftantif, & beau, riche, fertile, font des noms adjectifs dépendants du fubftantif pays.

Le fubftantif & les adjectifs qui s'y rapportent, ne forment ensemble qu'une feule défignation, auffi fimple que fi elle étoit exprimée par un feul mot. C'eft ainfi que le feul fubftantif Amérique équivaut à l'expreffion compofée nouveau monde ou nouveau continent, qui renferme le fubftantif monde ou continent, qualifié par l'adjectif nouveau. Il eft clair que fans cet adjectif nouveau, les fubftantifs monde & continent n'offriroient qu'une défignation vague.

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Cette dépendance de l'adjectif exige qu'il s'accorde avec le fubftantif auquel il eft joint, en genre & en nombre; c'eft-à-dire, qu'il foit mis au mafculin, au féminin, au pluriel ou au fingulier, felon le genre & le nombre de ce fubftantif. C'est ce qu'on peut voir dans les phrafes fuivantes.

SINGULIER MASCULIN.

Un cœur grand & fier méconnoît la feinte.

SINGULIER FÉMININ.

Une âme grande & fière méconnoît la feinte.

PLURIEL MASCULIN.

Les cœurs grands & fiers méconnoiffent la feinte.

PLURIEL FÉMININ.

Les âmes grandes & fières méconnoiffent la feinte. Les mots grand & fier, grande & fière, grands & fiers, grandes & fières, ne font que les deux

mêmes adjectifs, appliqués fucceffivement aux deux nombres & aux deux genres.

LA MARQUISE.

Je fens combien ces adjectifs font néceffaires. Si on difoit tout fimplement: un cœur méconnoît la feinte, une âme méconnoît la feinte, &c. cette expreflion ne feroit point déterminée : elle conviendroit indifféremment à tous les cœurs & à toutes les âmes; mais les adjectifs grand, fer, grande, fière, &c. marquent de quelle efpèce font les cours & les âmes dont on veut parler.

SOPHIE.

Dans ces phrafes, le mot méconnoît ou méconnoiffent, eft un verbe; car il ne feroit plus le même s'il étoit mis à un autre temps on diroit pour l'avenir, une âme grande & fère méconnoîtra, les âmes grandes & fières méconnoîtront, &c. Les verbes changent donc auffi du fingulier au pluriel, puifqu'on dit, en parlant d'une feule âme, qu'elle méconnoît, ou qu'elle méconnoîtra; & en parlant de plufieurs âmes, qu'elles méconnoissent ou qu'elles

méconnoîtront?

L'ABBÉ.

Oui, Mademoiselle; mais ils ne changent point du féminin au mafculin: on dit également qu'un cœur & qu'une âme méconnoîtra; & que plufieurs cœurs ou que plufieurs âmes méconnoîtront, &c. Au refte nous reviendrons aux verbes quand ce qui concerne les noms nous fera fuffifamment connu.

LE MILOR D.

Tous les noms qui font fufceptibles des deux genres, mafculin & féminin, font-ils des adjectifs?

L'ABBÉ.

Oui, Monfieur, ou du moins je me permettrai de les regarder comme tels.

LE COMTE.

On dit au mafculin, un écolier, un voyageur, & au féminin, une écolière, une voyageufe; cependant es mots font des fubftantifs & non des adjectifs.

L' A B B É.

Je fais qu'on s'accorde prefque généralement à les nommer ainfi; mais il n'en eft pas moins vrai que ces mots & autres femblables, font des adjectifs, qui fe rapportent à un fubftantif fous-entendu. Un écolier, un voyageur, une écolière, une voyageufe, c'eft comme fi on difoit: un garçon écolier, un homme voyageur, une fille écolière, une femme voyageuse, &c.

LE COMTE.

Si vous n'appellez fubftantifs que les noms dont l'expreffion eft complette, & n'a befoin d'aucun autre nom exprimé ni fous - entendu, les mots homme, femme, cheval, levrette, courfier, fregate, poirier, fucrier, font de véritables adjectifs; car c'eft comme fi on difoit un animal homme un animal femme, un animal cheval, une chienne levrette, un cheval courfier, un vaiffeau frégate, un arbre poirier, un vafe fucrier, &c. Il ne feroit fûr qu'on admit au nombre des fubitantifs les noms les plus complets, tels que les mots âme, corps, arbre, ciel, terre, &c. car ce font des créatures des êtres voilà encore des fubftantifs fous-entendus.

pas

L'A B B É.

Un métaphysiqueur obftiné pourroit vous prouver férieufement cette cfpèce de paradoxe; mais ce n'eft pas là que j'en veux venir. Je ne range au nombre des adjectifs que les noms fufceptibles des deux genres, qui fe rapportent évidemment à des fubftantifs exprimés ou fous-entendus, tels que bon, grand, voyageur, magiftrat, écolier, douairière, &c. Au refte, je ne prétends point changer l'ufage; & fi

je m'en écarte quelques inftants, ce n'eft que pour faciliter à ces Dames l'intelligence de ma méthode. Quand nous aurons fini notre petit cours, je me conformerai de bon cœur à toutes les dénominations établies & adoptées par nos dictionnaires.

LE COMT E.

Ce changement des fubftantifs en adjectifs eft bien opposé à l'usage ordinaire; car on prend prefque tous les adjectifs fubftantivement. On dit les bons, les méchants, une belle, un élégant, les humains, les mortels, &c.

L'A BB É.

Ces mots alors ne font pas plus adjectifs que marchand, notaire, écolier, &c. Ainfi les uns & les autres peuvent être rangés dans la même claffe, qui me femble ne pouvoir être celle des fubftantifs. Mais il y a plufieurs cas où de véritables fubftantifs fe prennent adjectivement. Quand Pradon a dit : Defpréaux eft un homme, & plus homme qu'un autre, Quand la Fontaine a dit:

Rien ne pèfe tant qu'un fecret :
Le porter loin eft difficile aux Dames;
Je connois même fur ce fait

Bon nombre d'hommes qui font femmes.

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Ils ont traité les mots homme & femme comme les adjectifs ordinaires. Pradon a voulu dire que Defpréaux étoit plus qu'un autre vain orgueilleux, volage, injufte, en un mot plus fujet qu'un autre aux vices & aux foibleffes de l'humanité; & la Fontaine veut faire entendre que beaucoup d'hommes font indifcrets, comme on fuppofe que les femmes le font. Ainfi ces mots homme & femme pourroient être remplacés par les adjectifs vain orgueilleux, indifcrets, &c. dont ils tiennent lieu. SOPHIE.

On m'a dit que tous les noms féminins doivent

finir par un e muet, & les pluriels par une s.

L'A B B É.

Ces règles font fujettes à bien des exceptions. Premièrement, il y a beaucoup de fubftantifs féminins qui finiffent par toute autre lettre que l'e muet : tels font maifon, douceur, bonté, mer, cour, tour, &c.

LE MILOR D.

Mais l'e muet termine généralement tous les adjectifs féminins & les autres mots que vous regardez comme tels. Une ouvrière, une marchande, une voyageufe douce, polie, honnéte, &c.

L'ABBÉ.

Cette règle n'eft pas encore tout-à-fait générale: nous en exceptons, 1o. les adjectifs de poffeflion ma, ta, fa, mon, ton, fon, leur; ma main ta fortune, fa vie, mon âme, ton équité, fon audace, leur exactitude, &c.

2o. Les adjectifs de diftance ci & là, qui font les mêmes au mafculin & au féminin. Le premier marque la proximité, & l'autre l'éloignement; le dernier s'écrit toujours avec un accent grave fur l'a, & l'un & l'autre s'uniffent ordinairement par un trait d'union, avec les mots auxquels ils fe rapportent. Ce chemin-ci, ce pays-là; cette figure-ci, cette téte-là.

3o. Les noms de nombres employés comme adjectifs, qui font encore les mêmes au mafculin & au féminin, & dont la plupart ne finiffent point par un e muct. Trois abricots, trois figues; cent boeufs, cent génifles, cinq ouvriers, cinq ouvrières, &c. Le mot un eft le feul de ces adjectifs qui rentre dans la règle générale: il fait au feminin une.

Un homme, une ferme, un palais, une maison. On peut comprendre dans cette dernière claffe d'adjectifs, le mot plufieurs, qui eft pareillement le

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