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qu'avec beaucoup de peine à diftinguer les fmuet tes de celles qui devoient être prononcées : les mots hafter, tefte, huiftre, impoft, flufte, maistre, se prononçoient comme s'ils avoient été écrits fans ; &lffe faifoit fentir, comme aujourd'hui, dans faste, refte, lifte, pofter, juftice, &c. fans que cette différence fût fondée fur aucun principe.

Secondement cette muette ne donnoit pas toujours le même dégré de force à la voyelle qui la précédoit. L'e fe prononçoit dans eftendre, efprendre, eftat, autrement que dans eftre, vous cfies, arrefter, &c. Toutes ces variations ne pouvoient être obfervées que par un exercice continuel de la mémoire.

SOPHIE.

Préfentement on n'écrit donc plus que les f qui doivent être prononcées ?

L'ABBÉ.

Pardonnez-moi, Mademoifelle: nous avons confervé les s muettes qui fe trouvent à la fin des mots, comme on les voit dans pas, nous, bois; parce que quand ces s finales précèdent des mots qui commencent par une voyelle, elles ceffent d'être muet

& prennent la prononciation du : c'eft ce qu'on voit dans pas un, nous allons, un bois épais qu'on prononce på zun, nou zallons, un bot zépais, &c.

Mais, dans le cours des mots, nous avons fupprimé ces muettes, & y avons fuppléé par des accents. Vous connoiffez, fans doute, ces petites marques qu'on écrit au-deffus des voyelles, pour en modifier la prononciation ?,

SOPHIE.

Je fais bien qu'on met un petit trait fur l'e qui finit le mot bonté, pour empêcher qu'il ne fe prononce comme celui du mot conduite; & fur l'a du not bâtir, pour qu'on le prononce autrement que

dans le mot battre. C'eft apparemment là ce qu'on appelle des accents?

L'ABBÉ.

Oui, Mademoiselle. On en diftingue ordinairement trois : l'accent aigu, qui penche vers la droite, & qui marque l'élévation de la voix, comme on le voit fur les e des mots révéré, févérité, &c. l'accent grave, qui penche vers la gauche, & qui marque l'abaiflement de la voix, comme il fe voit fur l'e dans les mots après, procès, &c. & l'accent circonflexe, dont la forme reffemble à celle de ces deux accents réunis, parce qu'il en réunit les propriétés, & qu'il marque fucceflivement l'élevation & l'abaiffement de la voix; c'eft ce qu'on éprouve en prononçant les mots hate, fete, chaîne, vite hóte, chúte, voûte, &c. dans lefquels cet accent eft employé.

LE MILOR D.

Je crois que ce dernier accent eft le feul qu'on ait fubftitué aux f muettes. Au lieu d'écrire comme autrefois, gafter, gefne, chaifne, viftre, goufter, on écrit avec un accent circonflexe, gâter, géne, chaine, vitre, goûter, &c.

L'ABBÉ.

Il y a quelques mots dans lefquels ces f font remplacées par l'accent aigu, tels que détourner, écrire, répondre, qu'on écrivoit autrefois deftourner, efcrire, refpondre, &c. parce qu'en prononçant le premier e dans ces mots, on éleve la voix fans la rabaiffer enfuite.

LA MARQUISE

Puifque dans le cours des mots, on met des accents à la place de toutes les muettes, celles qui s'y rencontrent préfentement doivent donc toujours

être prononcées.

L'ABBÉ.

Oui, Madame, excepté dans le mot eft: il eft

bon, celà eft vrai, qu'on prononce comme s'il n'y avoit point d'f: il ét bon, celà ét vrai, &c. Quelques auteurs ont voulu écrire ce mot fans f, conformement à la prononciation, mais ils n'ont pas été fuivis,

LE MILOR D.

Si je ne me trompe, vous faites fentir l' dans le mot Eft, qui fignifie orient: le vent d'Eft, le côté de l'Est, &c.

Oui, Monfieur.

L'A B B É.

LE MILOR D.

Ce feroit une raifon de plus pour écrire le premier de ces mots fans f: il ét bon, celà ét vrai. Je vois par-tout dans votre langue des bifarreries qui en augmentent les difficultés, & qu'on pourroit détruire fans qu'il en coûtât rien. Il femble que la plupart des favants regardent le françois comme une langue myftérieufe, qu'il faut rendre inacceffible à la multitude; & dans laquelle on ne peut être initié que par dégrés & après une longue préparation.

LE COMTE.

Vous êtes un peu trop partifan des innovations LE MILOR D.

Moi? non, je vous affure il me feroit égal qu'on remontát à l'ancien ufage ou qu'on en créât un nouveau, pourvu qu'on débarraffât le françois d'une foule de difficultés minutieufes & totalement étrangères aux règles fondamentales. Je demande pardon aux favants françois. Si j'ose combattre leur refpect pour l'ufage actuel, c'eft par amour pour une langue que tout le monde voudroit favoir, & qui fait les délices de ceux qui la poffedent. Pourquoi mettre toujours l'ufage d'un côté & la raifon de l'autre? Les inconféquences auxquelles il faut fe foumettre comme à des loix indifpenfables, ab¬

forbent un temps qui feroit bien mieux employé à la recherche des vraies beautés de la langue : elles habituent l'efprit à juger plus par autorité que par réflexion, & font que l'homme de génie elt fouvent repris dédaigneufement par des êtres frivoles qui n'ont pour cux qu'une mémoire locale dont la marche n'eft ni gênée ni ralentic par les inquiétudes du bon fens.

L'ABBÉ.

Quelque fenfées que foient vos obfervations, on doit attendre pour s'en prévaloir qu'elles aient été adoptées par le corps dont les décifions, en fait de grammaire, repréfentent celles de la nation en général. En attendant, ce que nous pouvons faire de mieux eft de prendre une route fûre qui nous mettra à portée d'être toujours conféquents, & de mefurer jufqu'aux écarts que l'ufage nous aura prefcrits. Il nous fera même avantageux pendant notre petit cours, de comparer & de rapprocher les différents fyftêmes d'orthographe; par ce moyen, nous remonterons d'une manière plus claire & plus lumineufe à la fource commune dont ils font dérivés.

LA MARQUISE.

Pour moi, je choifis le genre d'orthographe le plus commode, & je me condamne de bon cœur à n'être pas plus habile que plufieurs perfonnes dont le ftyle me fait un plaifir infini, & qui écrivent précisément comme elles parlent. J'écrirai fans f muette il ét bon, on ét venu, & non il eft bon, on eft venu, &c. J'en ferai autant à l'égard du mot ile, que j'écrirai avec un accent circonflexe : Vile St. Domingue, les îles du Cap Verd, & non par une f, l'ifle St. Domingue, les ifles du Cap Verd, &c.

LE COMTE.

Cette fuppreffion de l'f dans le mot ile, eft préfentement adoptée par le bon usage.

SOPHIE.

Je crois que pour bien parler, il faut dire lorque, préque, & juque-là: cependant je vois tous ces mots écrits par une f: lorfque, prefque, jufque-là, L'ABBÉ.

On doit faire fentir l' dans ces mots; & ce n'eft que par une fingularité déplacée qu'on peut fe permettre de prononcer autrement. Cependant je connois quelques perfonnes qui auroient mille moyens plus agréables de fe faire remarquer, & qui ont la foibleffe de ne pas dédaigner celui-là. LA MARQUISE.

C'eft comme fi on difoit puique au lieu de puifque. L'ABBÉ.

La prononciation de l'f eft indifpenfable dans lorfque, prefque, jufque, puifque, parce qu'elle fe trouve dans le cours de ces mots. Mais quand lors, près, puis font des mots à part comme dans ces phrafes: ce fera pour lors que j'agirai; j'ai été le plus près que j'ai pu; il faut que vous écoutiez, & puis que vous parliez; alors l's devient muette comme toutes les s finales on prononce ce fera pour lor que j'agirai; le plus prê que j'ai pu; il faut que vous écoutiez, & puî que yous parliez, &c.

LE MILOR D.

Je crois qu'il n'y a que les muettes qu'on ait remplacées par l'accent circonflexe ?

LE COMT E.

Cet accent remplace auffi un e dans béler, bélement, il béle, &c. un a dans âge, bâiller, bâillement, &c. un o dans rôle, enrôler, &c. On redoubloit autrefois la voyelle dans ces mots : on écrivoit beeler, beelement, il beele, aage, baailler, baaillement, roole, enrooler, &c. il me fem

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