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Courtes & obtufes. Depuis l'introduction de ces jolies ariettes, qui n'embraffent qu'un petit nombre d'intervalles, & dont les intonnations & le mouvement n'exigent aucun effort, nous ne trouvons prefque plus de voix affez fortes & affez étendues pour exé cuter les beaux airs de Rameau & de Lulli. C'eft ainfi que le goût des petites phrases fautillées, & la commodité de ces points qu'on prodigue prefque au hafard, nous rendent incapables de prononcer avec vérité les périodes nobles & majestueufes que les Orateurs du ficcle de Louis XIV ont employées avec tant de fuccès, Cet engourdiffement de nos organes nous conduit naturellement à méprifer dans les chefsd'œuvres des anciens, des beautés mâles qui ne font plus faites pour nous. Nous les rendons de manière à en détruire la force & l'énergie; nous ne daignons pas y chercher l'efprit de l'auteur: en voilà affezpour prouver qu'ils font déteftables; & dans le fond, je ne crois pas qu'il foit poffible alors d'en porter un autre jugement.

LA MARQUISE,

Vous voudriez donc qu'on retournât au goût des anciens, & qu'on négligeât les découvertes par lefquelles on a prétendu perfectionner toutes nos connoiffances?

LE COMTE.

Non, Madame. Je voudrois feulement qu'on fût en garde contre tous les excès; & qu'en tendant vers la perfection, on craignît d'aller au-delà du but qu'elle fe propofe. J'avoue que les périodes des anciens auteurs françois avoient fouvent quelque chofe de traînant & d'obfcur, qui ne permettoit pas de fentir toute la beauté de leurs penfées. On a eu raifon de bannir ces longues phrafes étrangères à l'objet principal, qui fufpendoient l'efprit du lecteur ou de l'auditeur, & qui lui faifoient fouvent abandonner le fil du difcours. Toutes nos phrafes incidentes fant préfentement courtes & précifes; aufli les paren

thefes font-elles d'un ufage fort rare dans les bons ouvrages modernes on y fupplée aifément par des virgules, comme on le voit dans l'exemple fuivant, tiré de la Bruyere.

La plupart des hommes, pour arriver à leurs fins, font plus capables d'un grand effort que d'une tongue perfévérance.

Plufieurs perfonnes mettroient entre deux parenthefes (pour arriver à leurs fins), parce que cette expreffion n'eft point effentielle au difcours; mais comme elle n'eft pas affez longue pour fatiguer & détourner l'attention du lecteur, il fuffit qu'elle foit placée entre deux virgules.

LA MARQUISE.

Cette explication me fait concevoir plus que jamais l'emploi des virgules. Elles fervent à diftinguer tout ce qui peut être retranché fans que le difcours en paroiffe moins fuivi. Ainfi dans ce vers:

Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi;

Comme je puis dire tout uniment: Sire, vous étes trop bon Roi, je mets le refte entre deux virgules. LE COMTE.

Fort bien, Madame. Voici encore un autre exem→ ple qui fe préfente à ma mémoire.

L'ambition, l'honneur, l'intérêt, l'imposture,
Qui font tant de maux parmi nous,

Ne fe rencontrent point chez vous.

Le fecond de ces vers, qui font tant de maux parmi nous, fe met entre deux virgules, parce qu'on pourroit dire en le fupprimant :

L'ambition, l'honneur, l'intérêt, l'imposture,
Ne fe rencontrent point chez vous.

L'ABBÉ.

Quelquefois une apoftrophe remplace la première de ces deux virgules,

Ah! Seigneur, qu'éloigné du malheur qui m'opprime,
Votre cœur aisément fe montre magnanime!

On pourroit dire: ah! Seigneur, que votre cœur aifément le montre magnanime! Ainfi l'exprellion qu'on pourroit retrancher fe trouve entre une apoftrophe & une virgule.

LE MILOR D.

Il y a une partie de la ponctuation qui ne me paroît pas fort intéreffante, c'est le trait d'union. LA MARQUIS E.

C'eft fans doute ce petit trait qu'on met quelquefois entre deux mots: peut-être, tout-à-fait, vientil? &c.

L'ABBÉ.

Oui, Madame. Ces mots réunis ne forment fouvent qu'une même expreflion: peut-être, tout-àfait, peu-à-peu, fignifient la même chofe que poffiblement, totalement, doucement, &c. qui font des expreffions fimples. Mais la principale utilité du trait d'union, eft de marquer à la fin d'une ligne que le mot n'eft pas entier, & que la fuite en eft portée au commencement de la ligne fuivante.

SOPHIE.

Eft-ce qu'on fe permet encore de couper les mots ? L'ABBÉ.

Celà fe pratique ordinairement dans l'impreffion; mais on l'évite prefque toujours dans l'écriture de main, à moins qu'on ne foit curieux de conferver des marges bien formées à droite & à gauche des lignes.

On obferve de laiffer les fyllabes entières, foit qu'elles forment des fons fimples, foit qu'elles renferment des diphthongues. Si, par exemple, il s'agit de couper les mots fouvenir, balancier, capricieux, on doit remarquer que les deux premiers contiennent chacun trois fyllabes: fou-ve-nir, ba

lan-cier, & que le troifième en renferme quatre : ca-pri-ci-eux. On peut donc les divifer en cette forte: fou-venir ou fouve-nir, ba-lancier ou balancier, ca-pricicux, capri-cieux ou caprici-eux. Ce feroit pécher contre toutes les règles que de les divifer d'une autre manière : par exemple, fouv-enir, bala-ncier, capri-cieux, &c. feroient des divifions fautives, parce que les fyllabes ve, lan, ci, y font démembrées.

LE MILOR D,

Suivant cette règle, on ne doit jamais finir ni commencer une ligne par une confonne double; car la même confonne ne peut être mife deux fois de fuite, fans appartenir à deux fyllabes différentes. L'ABBÉ.

Cette conféquence eft jufte. Il fuit encore de cette règle qu'un y, prononcé comme deux i, ne peut jamais commencer ni finir une ligne; parce que cette lettre appartient toujours à deux fyllabes différentes. Ainfi il ferait impoffible de couper exactement le mot rayon. Ra-yon & ray-on feroient des divifions défectueufes.

LE COMTE.

Les lettres f&t, c&t, que les Imprimeurs fe font une loi de réunir en un même caractère ft ̧ ̧ toutes les fois qu'elles fe fuivent immédiatement, donnent lieu à des divifions de mots qui ne me paroiffent point du tout naturelles. Par exemple, les mots protecteur, juftice, le partagent ainfi: protedeur, ju-ftice: il me femble que ces deux confonnes, placées entre deux voyelles, ne peuvent appar¬ tenir à la même fyllabe.

L'ABBÉ.

Comme ces caractères compofés ft && ne font point en ufage dans l'écriture de main, les Ecrivains s'accorderoient affez généralement à divifer ainfi ces mots: protec-teur, juf-tice. Il y a même

préfentement quelques Imprimeurs qui réfiftent au torrent de l'usage, & placent à l'occafion, la divifion entre le cou If qui termine une fyllabe, & let qui commence la fyllabe fuivante. Peut-être cette méthode deviendra-t-elle générale: alors l'Imprimerie aura une entrave & probablement un préjugé de moins.

Mais quand, de deux confonnes qui fe fuivent immédiatement, la feconde eft une linguale frôlée. c'est-à-dire, une l ou une r, elles appartiennent néceffairement toutes deux à la même fyllabe. Les mots racler, nobleffe, fucre, fobre, Chypre, autrement, adreffe, doivent fe divifer ainfi ra-cler, no-bleffe, fu-cre, fo-bre, Chy-pre, au-trement, a-dreffe, & non rac-ler, nob-leffe, fuc-re, fob-re, Chyp-re, aut-rement, ad-reffe, &c.

LA MARQUISE.

:

Vous ne féparez pas non plus le g & l'n.
L'ABBÉ.

Non, Madame, quand ces lettres forment enfemble ce qu'on appelle une n mouillée. Les mots campagne, éloigner fe divifent ainfi : campagne, éloi-gner, & non, en féparant le g & l'n, campag-ne, éloig-ner, &c. celà inviteroit à prononcer le g dur, & à le féparer de l'n comme dans les mots latins magnificat, lignum, fignum, qu'on doit fans doute divifer de la forte: mag-nificat, lignum, & non ma-gnificat, li-gnum, &c.

Mais les mots françois qui ont gardé la prononciation latine, tels que ftagnant, ftagnation, fe divifent comme les mots latins: ftag-nant, ftagnation; parce qu'alors le g & l'n appartiennent à deux fyllabes différentes, au licu que l'n mouillée, quoiqu'exprimée par les deux lettres gn, ne forme qu'une feule articulation.

LE MILOR D..

Vous avez dit que dans les mots commencés pár

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