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DIALOGUE VI

SUR LA PONCTUATION.

LA MARQUISE, SOPHIE, L'ABBÉ,
LE COMTE, LE MILORD.
LE MILOR D.

VOTRE manière de divifer les confonnes rela

tivement aux organes, m'aidera beaucoup à perfectionner ma prononciation. La progreflion que vous avez fuivie me fait voir les diverfes manières dont on peut altérer la valeur de chaque confonne; ce qui me met fans ceffe à portée de faire des comparaisons utiles.

SOPHIE.

Ce dernier entretien m'a donné des fujets de rẻAcxion pour long-temps. Je vois qu'on ne m'avoir fait remarquer que la forme des lettres, mais leur utilité m'étoit prefque entièrement inconnue. LA MARQUISE.

Pour moi, j'ai entendu paffablement toutes ces chofes-là. J'ai paffé rapidement fur les règles de la prononciation: celà regarde le Milord. Une autre chofe pourroit m'embarraffer davantage, c'eft l'emploi des doubles confonnes; mais comme je ne veux écrire que pour me faire entendre, je mettrai les confonnes fimples par- tout où la prononciation n'exige pas qu'elles foient doublées : du moins prendrai-je cette licence jufqu'à ce que je me fois ap→ proprié les principes de Monfieur, & qu'il ne refte plus qu'à me mettre au cours de l'ufage. Préfentement je crois que je n'orthographierois pas mal, fi j'avois quelque connoiffance des points & des virgules: c'eft ce qui me manque abfolument.

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LE COMT E.

Il n'eft pas temps encore d'expliquer la ponctuation attendons que Monfieur nous ait parlé des périodes des, phrafes & autres divifions du difcours. L'ABBÉ.

Quoique préfentement ces explications foient prématurées, je ne ferai pas fâché de donner à ces Dames une idée générale des différentes marques qui peuvent contribuer à l'intelligence du difcours, fauf à en faire le développement dans la fuite toutes les fois que l'occafion s'en préfentera.

LA MARQUIS E.

Vous allez donc nous parler des phrafes & des périodes? Il y a long-temps que je connois ces mots là, fans avoir la moindre idée de ce qu'ils fignifient. L'ABBÉ.

Une période eft un article du difcours qui pourroit feul former un fens complet.

LE COMTE.

Tous ces articles indépendants ne peuvent pas être regardés comme des périodes: une période doit avoir deux ou plufieurs parties diftinctes, qu'on appelle membres. C'est ce qu'on voit dans cette période de Mr. Rollin, au chapitre des mœurs & coutumes des Grecs.

L'Orateur ne pouvoit employer ni exorde ni péroraifon; il ne lui étoit point permis d'exciter les paffions; & il étoit obligé de fe renfermer uniquement dans fa caufe. Cet article renferme trois parties ou membres bien diftincts, terminés par les mots péroraifon, paffions & caufe: ainfi on peut lui donner le nom de période.

Il n'en eft pas de même des articles fimples comme celui-ci :

Le mérite ne fert de rien quand il eft abandonné de la fortune.

L'ABBÉ.

Je fais que felon la définition des meilleurs auteurs, ce dernier exemple ne peut être mis au nombre des périodes, puifqu'il ne peut être fenfiblement divifé, & que la période doit avoir au moins deux membres. Mais, pour éviter la multiplicité des termes, je me permettrai de réunir tous ces articles indépendants, fimples ou compofés, fous la dénomination de périodes.

Ces périodes, ou articles indépendants, font toujours fuivis d'un point ce que vous pouvez voir dans les exemples cités. Si le difcours exprime quel que exclamation, le point eft furmonté d'une ligne droite en cette forte (!), ce qui s'appelle le point admiratif. Vous le voyez à la fin de ce vers:

Que fervir un joueur eft un maudit métier!

S'il s'agit d'interrogation, le point cft furmonté d'une efpèce de 2, en cette forte (?): c'eft ce qu'on appelle le point interrogant.

Dis, Valere, dis-nous, fi tu veux qu'il périffe,
Où penses-tu choisir un lieu pour fon fupplice?

LA MARQUISE.

Je connois ces points-là: ils font très-utiles pour caractérifer les différentes fortes d'expreflions. Ce qui me fàche, c'eft que bien fouvent on ne les apperçoit qu'au moment où ils ne fervent plus à rien. Je ferois de l'avis d'une femme d'efprit, qui voudroit que ces points fuffent mis avant les expreffions, & non après; parce qu'en les voyant on prépareroit fa voix à l'interrogation ou à l'admiration; au lieu que, faute de cette précaution on ne fait prefque jamais le ton qu'il faut prendre.

LE COMTE.

Cette innovation ne feroit pas la moins fenfée de toutes celles qu'on propofe. Déformais je ne

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trouverai plus tant d'extravagance dans la fantaifié d'un certain valet qui faifoit l'homme de qualité, & qui, dictant à fon fécrétaire, vouloit qu'il commençât le difcours par un point. Malheureufement cette ponctuation a contre elle un ufage trop invétéré: on chercheroit toujours l'exprellion admirative ou interrogative avant le point, & non après. SOPHIE.

Quand eft-ce qu'il faut employer la virgule ? L'ABBÉ.

Son principal ufage eft de marquer les différentes parties d'un article ou période, comme on le voit dans celle-ci :

Mais, fi de vos flateurs vous fuivez la maxime,

Il vous faudra, Seigneur, courir de crime en crime,
Soutenir vos rigueurs par d'autres cruautés,

Et laver dans le fang vos bras enfanglantés.

LA MARQUISE.

J'ai auffi remarqué que le nom ou le titre de la perfonne à qui on parle, fe met toujours entre deux virgules.

L'ABBÉ.

Oui, Madame, à moins que ce titre ou ce nom ne commence le difcours ou la période, comme dans cet exemple:

Grand Roi, ceffe de vaincre, ou je ceffe d'écrire. Ou qu'il ne les finiffe comme dans celui-ci.

Où loges-tu, cruel amour ?

Il eft clair que dans le premier cas les mots Grand Roi ne peuvent être précédés d'une virgule, & que dans le fecond, les mots cruel amour n'en peuvent être fuivis,

Mais par-tout ailleurs, ces noms ou titres font précédés & fuivis d'une voyelle :

Soyons

Soyons amis, Cinna, c'eft moi qui t'en convie.
C'eft la dernière fois, Madame, affurément,

LE COMTE.

Les expreffions admiratives ou interrogatives qui fe rencontrent dans la même période, ne font pas Téparées entr'elles par des virgules, mais par des points admiratifs ou interrogants.

O rage! ô défefpoir! 6 fortune ennemie !

Qu'en dites-vous, Seigneur? que faut-il que j'en pense
Ne ferez-vous point taire un bruit qui vous offense

L'ABBÉ.

Je crois que cette règle eft générale pour le point admiratif; mais quand il y a plufieurs interrogations de fuite, ceux qui fe piquent de ponduer avec élégance, ne mettent le point interrogant, qu'à la fin de la dernière, & y fuppléent à l'egard des autres par deux points.

Qu'en dites-vous, Seigneur : que faut-il que j'en pense :
Ne ferez-vous point taire un bruit qui vous offenfe ?
L'A MARQUIS E.

Quand eft-ce qu'on met enfemble le point & la virgule ?

L'ABBÉ.

C'eft quand les membres d'une période font euxmêmes divifés en plufieurs parties. Alors le point & la virgule réunis marquent les divifions les plus effentielles; & pour les autres, on fe contente de la virgule fimple. C'eft ce que vous voyez dans cette période, tirée des caractères de Mr. de la Bruyère :

La fanté & les richeffes 6tent aux hommes I expérience du mal, leur infpirent de la dureté pour leurs femblables; & les gens déjà chargés de leur propre misère, font ceux qui entrent davantage, par leur compaffion, dans celle d'autrui.

Cette période a deux membres, féparés l'un de

M

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