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pour les premiers principes d'une fcience. Que de chofes utiles on ne faura jamais, parce qu'on s'eft trop légèrement figuré les favoir!

LE COMTE.

Je fuis de votre avis, Monfieur; on ne fauroit faire trop d'attention aux éléments. Le plus ou moins de facilité qu'on a pour l'orthographe dépend beaucoup des principes de lecture qu'on a reçus. Quand on connoît la valeur des lettres, & qu'on s'eft habitué dès l'enfance à une bonne prononciation, on poffède les règles les plus effentielles de cette fcience. Il ne refteroit même plus rien à défirer à cet égard, fi l'art d'écrire fe bornoit à peindre fidèlement tous les fons qu'on met en ufage pour exprimer fes pensées.

LE MILOR D.

Plufieurs favants voudroient que les règles de l'orthographe fuffent réduites à celles de la prononciation.

LA MARQUISE.

Celà feroit bien plus commode que cette orthographe obfcure & entortillée, qui coûte de fi grands efforts de mémoire. Pourquoi ne pas retrancher toutes les lettres fuperflues, & ne pas employer précifément celles que l'oreille exige? Les penfées en deviendroient-elles moins belles & moins brillantes pour être lues & écrites avec moins de peine?

L'ABBÉ.

Il eft vrai que la conftruction des mots n'influe point fur le fond des penfées; mais elle peut contribuer beaucoup à en faire fentir les beautés & la fineffc. Pour fe débarraffer des entraves dont vous vous plaignez, il faudroit renoncer à un des plus beaux avantages de l'écriture, qui eft de parler autant à l'efprit qu'aux yeux. Cet accord, cette harmonie, qui règne entre les parties du difcours, n'eft d'aucune importance pour l'ignorant: il dé

chiffre péniblement des fyllabes qui ne lui offrenc qu'un fens vague ou obfcur, & quelquefois tout oppofé à celui qu'on a voulu lui faire entendre. Mais celui qui connoît les principes de la langue faifit d'un coup d'œil toutes les parties d'une expreffion l'ordre des mots, leur forme effentielle ou accidentelle, la ponctuation, les accents, tout concourt à faire paffer dans fon efprit les idées & les réflexions de l'auteur. Voilà la caufe du plaifir que certaines perfonnes éprouvent en lifant les bons ouvrages exactement écrits: elles y admirent des beautés dont mille autres ne foupçonnent pas l'exiftence femblables au phyficicn, qui, à l'aspect des productions de la nature, contemple avec raviffement des pores, des veines, une circulation un développement, des progrès, où le vulgaire démêle à peine un tronc, des branches & un feuillage. LE MILOR D.

Mais vous avouez vous-même qu'en fuivant la nouvelle orthographe, on peut conferver les traces de l'étymologie & même de l'analogie françoife. L'ABBÉ.

Tout ce qui s'écarte de l'ufage ordinaire cft qualifié de nouvelle orthographe, quoique ces écarts fe trouvent quelquefois dans des livres fort anciens : ainfi ce titre ne fignifie rien ni en bien ni en mal. Je dis donc feulement que tout fyftême d'orthographe formé & fuivi d'une manière conféquente doit, autant qu'il eft poffible, imprimer aux mots le caractère de leur origine & de l'analogie qu'ils ont entr'eux.

SOPHIE.

De grace, Monfieur, ne m'apprenez pas la nouvelle orthographe: on en parle comme d'une héréfie.

LE COMT E.

Toutes ces innovations ne produifent que de

T'embrouillement & de l'incertitude: on ne fauroit les profcrire affez rigoureusement.

L'ABBÉ.

Quand vous aurez une connoiffance exacte des principes, vous choifirez le genre d'orthographe qui vous plaira le mieux, & vous pourrez au befoin le changer ou le varier, fans que celà vous cause le moindre embarras. Demain, pour entrer en matière, je vous communiquerai les obfervations que j'ai faites fur les lettres de l'alphabet & les différents fons auxquels elles font confacrées.

DIALOGUE II.

SUR LES VOYELLES EN GÉNÉRAL. LA MARQUISE, SOPHIE, L'ABBÉ, LE COMTE, LE MILORD.

LE MILOR D.

FORT bien, Mademoiselle; vous voilà munie

de tablettes, & fans doute, d'un courage à toute épreuve.

SOPHIE.

Je veux écrire avec foin toutes les chofes qu'il faudra me fixer dans la mémoire.

LE COMTE.

C'eft étudier précifément de la manière la plus propre à s'inftruire : je me propofe d'en faire tout autant que vous.

L'ABBÉ.

Nous allons, comme nous en fommes convenus, débuter par l'explication des lettres de l'alphabet. Il eft inutile de vous en faire l'énumération on

la fait par cœur avant même qu'on puiffe diftinguer la forme des caractères qui les repréfentent LA MARQUISE.

Les nommerez-vous felon la nouvelle méthode, ou felon l'ancienne?

L'ABBÉ.

Je me donne toute liberté à cet égard. Il eft indifférent pour le but que je me propofe, qu'on prononce une effe ou un fe, une elle ou un le, une éme ou un me, &c. Si ces nouvelles dénominations peuvent avoir quelque avantage, c'eft pour les enfants qui prennent les premiers principes de lecture.

Les lettres ont deux propriétés très - diftinctes, qui fe réuniffent quelquefois dans le même caractère. L'une de repréfenter les fons fimples & permanents, qui fe font entendre fans aucune articulation: tels font ceux qu'on indique par a, e, i, o, u, ou, an, in, &c. l'autre d'ajouter des modifications aux fons fimples: tel eft l'effet de I'm dans ma, mi, moi, mai, mont, mou; du p dans paix, peu, pan, pis, pas, peau, &c.

LA MARQUISE.

Je fais qu'il y a cinq voyelles: a, e, i, o, u. L'ABBÉ.

Il y en a même fix, en comptant l'y. Ces lettres font appellées voyelles, parce qu'elles fervent à l'expreflion des voix ou fons fimples. Mais comme le nombre de ces fons eft beaucoup plus grand que celui des caractères qui leur font confacrés, on est obligé pour les représenter tous, d'altérer & de combiner ces caractères de plufieurs manières différentes.

Tantôt deux ou trois voyelles réunies n'expriment qu'un fon fimple, comme ai dans aimer ei dans reine, oi dans paroître, au dans aurore

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eu dans Europe, ou dans oubli: c'eft ce qu'on appelle des voyelles compofées. Les deux dernières eu & ou, repréfentent des fons que nous ne pouvons exprimer par aucun caractère fimple. Il n'en eft pas de même des autres. Ai, ci, & quelquefois oi, équivalent au fon de l'e; & au à celui de l'o. Les mots aimer, reine, paroître, aurore, fe prononcent comme s'il y avoit émer, réne, parétre, orore, &c.

Tantôt ces voyelles fimples ou compofées, font fuivies d'une m ou d'une n qu'on n'articule point, & dont toutes les propriétés fe bornent à imprimer un fon nafal aux voyelles dont elle eft précédée; ce qu'on voit dans les mots ambre, antre, emporter, enlaidir, bien, lin, imbiber, faim, ainfi, tromper, onde, &c. Ces voyelles ainfi altérées, font ce qu'on appelle des voyelles nafales.

Ces voyelles fimples ou compofées, peuvent encore recevoir quelque modification des autres lettres dont elles font immédiatement fuivies; fur-tout quand ces lettres font un e une s, un x ou un z qu'on ne prononce point. Mais cette fucceffion ne change point la nature des voyelles elles en reçoivent feulement un fon plus fort & plus alongé. C'eft ce qu'on peut voir en comparant les mots opera & embarras, le bailli & les baillis, numéro & héros, donné & nez, joli impromptu & jolie avenue un lieu & une lieue, clou & courroux, un geai & la paix, &c. & ce qu'on pouvoit voir autrefois en comparant meflé & pommelé, hafter & gratter, goufté & velouté, gifte & quitte, dixme & lime, &c.

LA MARQUIS E.

Ces f qui fe trouvoient dans le cours des mots, & qu'il ne falloit point prononcer, devoient rendre la lecture bien difficile.

L'ABBÉ.

Oui, Madame. Premièrement on n'apprenoit

B

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