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LE COMTE.

Cette dernière partie ne peut être bien poffédée que par ceux qui ont fait d'excellentes études. Il eft pour le moins très-difficile de connoître les principes d'une langue, fans remonter aux fources dont elle dérive.

LE MILOR D.

Il fuffit, je crois, de comparer deux langues entr'elles, quoiqu'elles ne foient pas dérivées l'une de l'autre. Depuis que j'étudie la langue françoise, les principes de ma langue maternelle me deviennent chaque jour plus familiers.

L'ABBÉ.

On peut encore, fi je ne me trompe, s'épargner l'étude d'une langue étrangère. En comparant le françois avec lui-même, j'ai acquis des connoiffances que nos grammairiens ont fans doute dédaignées, & qui fuffifent pour établir des principes d'orthographe aulli fürs & auffi complets que ceux qu'on peut tirer des langues mortes. Eft-il bien für que tous les Romains qui fe font diftingués par leur éloquence, aient emprunté le fecours du grec, ou des autres langues auxquelles le latin devoit fon origine & même fes perfections?

LE MILOR D.

Et vous penfez que chaque langue renferme tout ce qui peut contribuer à l'intelligence de fes principes? L'ABBÉ.

Oui, Monfieur. Cependant je ne puis parler avec quelque affurance que de la langue françoife: c'eft la feule que j'aie étudiée avec affez de foin pour en démêler le caractère, & entrevoir toutes les reffources qu'elle peut offrir.

LA MARQUISE.

Une perfonne qui n'auroit pour toute science

qu'une foible teinture du françois, moi, par exemple, je pourrois donc acquérir dans cettte langue des connoiffances auffi parfaites que fi j'avois étudié le grec & le latin?

Oui, Madame.

L'ABBÉ.

LE COMTE.

Comment! vous pourriez trouver une méthode qui fuppléât à tous les fecours qu'on tire des langues étrangères ?

L'ABBÉ.

Non, Monfieur. J'avoue que nous avons des mots dont la conftruction ne peut être indiquée que par la connoiffance de leur étymologie; mais il y en a bien davantage dont l'orthographe ne fe détermine que par les rapports qu'ils ont avec d'autres mots françois, & dont l'origine inconnue, ou tout au moins obfcure & incertaine, ne donne que des lumières fauffes ou imparfaites.

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LE COMTE.

Je ferois curieux de fuivre votre méthode de point en point: je vous avoue que je n'aurois jamais foupçonné qu'il en pût exifter une femblable.

L'ABBÉ.

Je vous l'expoferai avec plaifir. Je fuis perfuadé que vous la poffédez d'avance, & que, pour vous en donner une idée complette, il fuffira que je mette quelque liaifon entre des obfervations que vous n'avez fûrement pas manqué de faire.

SOPHIE.

Si vous voulez le permettre, Monfieur, je ne perdrai aucune de vos explications. Elles feront fans doute trop favantes pour moi; mais vous annoncez votre méthode d'une manière qui me donne quelque efpérance: peut-être ne fera-t-elle pas entiè rement au-deffus de ma portée.

L'ABBÉ.

J'ai rempli mon but, Mademoiselle, en vous infpirant le défir d'acquérir une fcience fi propre à faire briller les graces & la légèreté de votre efprit. Je vous aurois déjà prévenue; mais je craignois de vous rebuter par la perfpective d'une étude un peu férieufe pour votre âge. Soyez fûre, Mademoiselle, que dans tous nos entretiens, je me ferai une loi de ne pas dire un mot qu'il ne vous foit aifé de com→ prendre avec quelque attention.

LA MARQUISE

Vous me donneriez envie d'entrer auffi moi dans la carrière; mais je fuis fi pareffeufe! Comment pourrois-je m'affujettir à une étude qui exige des détails infinis? Je fais ce qu'il m'en a coûté pour apprendre par cœur quelques termes de grammaire, auxquels je n'ai jamais pu attacher la moindre idée.

L'ABBÉ.

Ne vous effrayez pas, Madame: notre but étant plus fimple & moins étendu que celui des grammairiens, nous n'avons pas befoin à beaucoup près d'un auffi grand nombre de définitions; d'ailleurs nous n'emploicrons pas un feul terme d'art que nous ne l'ayons expliqué d'avance; & nous en ferons l'application de la manière la plus claire & la plus intelligible.

LE MILOR D.

Vous négligez donc toutes les reffources que peuvent offrir les étymologies?

L'ABBÉ.

Non, affurément, Monfieur. Je ne m'attache point à celles qui font vagues & incertaines, & qui ne fatisfont pas même la curiofité; mais je tire un grand parti de celles qui font claires & évidentes. Quand ces Dames connoîtront toutes les efpèces de

mots françois, quand nous les aurons comparés de la manière la plus propre à déterminer la conftruction & même le fens de chacun d'eux, pour perfectionner notre méthode, nous chercherons dans le latin & dans le grec les lumières que notre langue nous aura refufées.

SOPHIE.

O cicl! à moi du latin! du grec!

LA MARQUISE.

Mais, Monfieur, vous n'y pensez pas.

L'ABBÉ.

Entendons-nous, Mefdames. Il n'eft pas queftion de faire une étude particulière de ces deux belles langues nous en tirerons feulement un petit nombre de mots qui fervent de racines à une infinité de mots françois. Pour peu que vous ne manquiez pas de courage, j'espère qu'avant notre retour à la ville, toutes les parties de ma méthode vous feront parfaitement connues.

SOPHIE.

Je vous affure, Monfieur, que vous n'aurez point à vous plaindre de mon zèle & de mon application je fuis trop honteufe des fautes que je commets tous les jours.

LA MARQUISE.

Je trouverai donc toujours l'orthographe d'un mot, en le comparant avec un autre mot françois, ou avec un de ceux que vous nous aurez fait tirer du grec ou du latin?

L'ABBÉ.

Celà fera prefque généralement vrai : il y aura même bien des cas où tous les indices concourront au même but. Quelques peines qu'on fe foit données pour trouver des règles claires & conféquentes, qui diminuaffent le nombre des excep→

tions, il y a des mots qu'on ne peut abfolument foumettre à aucune loi, & à l'égard defquels on n'a pas d'autre reffource que la mémoire: mais nous rangerons les mots par claffes, ou, comme on dir, par familles ; & fouvent l'orthographe de ces mots irréguliers déterminera celle de tous les mots qui s'y rapportent.

LA MARQUISE.

Ce que vous dites augmente mon impatience. Par où commencerons-nous par les noms, les pronoms, les verbes? Je crois qu'en y réfléchiffant un peu, je me rappellerois tous ces mots-là. L'ABBÉ.

Ce feroit aller un peu vite, Madame. Avant d'expliquer les différentes parties du difcours, il faut commencer par bien connoître nos lettres, & le rapport qu'elles ont avec les fons qui fervent à exprimcr nos penfées.

LA MARQUISE.

Vous voulez fûrement nous faire l'humeur. Comment, Monfieur! vous venez de nous traiter comme des favantes, & tout-à-coup, nous voilà renvoyées à l'alphabet! J'avoue que je ne fais rien, ou du moins que je fais très-mal; mais l'alphabet! ne pourriez-vous pas nous en faire grace?

L'ABBÉ.

Quelque inftruite que vous foyez, Madame, il fe pourroit faire que l'alphabet ne vous fût pas affez bien connu; & moi, qui ofe vous offrir mes fecours, je fens qu'il m'eft difficile de ranger mes idées fur cette matière, dans un ordre affez clair & affez précis.

LE MILO R D.

Pour moi, Monfieur, je vous fupplie de vouloir bien entrer en ma faveur dans les plus petits détails. On eft fouvent bien puni du mépris qu'on a marqué

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