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tatif des perfections divines; que le monde vifible n'eit qu'une copie imparfaite du monde invifible; & qu'il y a par conféquent une analogie cachée entre l'original & les portraits, entre les êtres fpirituels & corporels, entre les propriétés des uns & celles des autres.

Cette manière de peindre la parole, & de donner du corps aux pensées, fut la véritable fource de la mythologie &, de toutes les fictions poëtiques: mais dans la fucceffion des temps, four-tout lorfqu'on traduifit le ftyle hiéroglyphique en ftyle alphabétique & vulgaire, les hommes ayant oublié le fens primitif de ces fymboles, tombèrent dans l'idolâtrie la plus groffière. Les poëtes dégradèrent tout en se livrant à leur imagination. Par le goût du merveilleux, ils firent de la théologie & des traditions anciennes un véritable chaos, & un mélange monstrueux de fictions & de toutes les paffions humaines. Les hiftoriens & les philofophes des fiècles poftérieurs, comme Hérodote, Diodore de Sicile, Lucien, Pline, Cicéron, qui ne remontoient pas jufqu'à l'idée de cette théologie allégorique, prenoient tout au pied de la lettre, & fe moquoient également des mystėres de leur religion & de la fable. Mais quand on confulte chez les Perfes, les Phéniciens, les Grecs & les Romains, ceux qui nous ont laiffé quelques fragmens imparfaits de l'ancienne théologie, comme Sanchoniaton & Zoroaftre, Eufebe, Philon & Manéthon, Apulée, Damafcius, Horus Apollon, Origène, St. Clement d'Alexandrie, ils nous enfeignent tous que ces caractères hiéroglyphiques & fymboliques défignoient les mystères du monde invifible, les dogmes de la plus profonde théologie, le ciel les vifages des Dieux.

La fable Phrygienne, inventée par Efope, ou felon quelques-uns par Socrate même, nous annonce, d'abord qu'il ne fait pas s'attacher à la lettre, puifque les acteurs, qu'on fait parler & raisonner, font des animaux privés de、 parole de raifon : pourquoi ne s'attacher qu'à la lettre, dans la fable Egyptienne & dans la mythologie d'Homère ? La fable Phrygienne exalte la nature de la brute, en lui donnant de l'efprit & des vertus. La fable Egyptienne paroît à la vérité dégrader la nature divine, en lui donnant du corps & des paffions. & des paffions. Mais on ne fauroit lire Homère avec attention, fans être convaincu que l'auteur étoit pénétré d lufieurs grandes vérités, qui font diamétrale

ment

ment oppofées à la religion infenfée que la lettre de fa fiction nous préfente. Ce poëte établit pour principe dans plufieurs endroits de fes poëmes, (a) que c'eft une folie de croire que les Dieux reffemblent aux hommes, & qu'ils paffent avec inconftance d'une paffion à une autre : (b) que tout ce que les Dieux possèdent eft éternel, & tout ce que nous avons paffe & fe détruit; (c) que l'état des ombres après la mort est un état de punition, de fouffrances & d'expiation; mais que l'ame des héros ne s'arrête point dans les enfers; qu'elle s'envole vers les aftres, & qu'elle eft affife à la table des Dieux où elle jouit d'une immortalité heureufe; qu'il y a un commerce continuel entre les hommes & les habitans du monde invifible; que fans la Divinité, les mortels ne peuvent rien; (d) que la vraie vertu eft une force divine qui defcend du ciel, qui transforme les hommes les plus brutaux, les plus cruels & les plus paffionnés, & qui les rend humains, tendres & compatiffans. Quand je vois ces vérités fublimes dans Homère, inculquées, détaillées, infinuées, par mille examples différens & par mille images variées, je ne faurois croire qu'il faille entendre ce poëte à la lettre dans d'autres endroits, où il paroît attribuer à la Divinité fuprême, des préjugés des paffions & des crimes.

Je fais que plufieurs modernes, á l'imitation de Pytha gore & de Platon, ont condamné Homère d'avoir ravalé ainfi la nature divine, & ont déclamé avec beaucoup d'efprit & de force contre l'abfurdité qu'il y a de repréfenter les myftéres de la théologie par des actions impies attribuées aux puiffances céleftes, & d'enfeigner la morale par des allégories dont la lettre ne montre que le vice. Mais, fans bleffer les égards qu'on doit avoir pour le jugement & le goût de ces critiques, ne peut-on pas leur repréfenter avec refpect, que cette colère contre le goût allégorique de l'antiquité eft peut-être portée trop loin?

Au refte, je ne prétends pas juftifier Homère dans le fens outré de fes aveugles admirateurs; il vivoit dans un temps où les anciennes traditions fur la théologie Orientale commençoient déjà à être oubliées. Nos modernes ont donc quelque forte de raifon, de ne pas faire grand cas de la théologie d'Homère ; & ceux qui veulent le juftifier toutà fait, fous prétexte d'une allégorie perpétuelle, montrent (a) Odyff. Liv. III. (b) Ibid. Liv. IV. (d) Ibid. Liv. XXIV.

(c) Ibid.

B

qu'ils

qu'ils ne connoiffent point affez l'efprit de ces véritables anciens, en comparaifon de qui, le chantre d'Ilion n'eft lui-même qu'un moderne.

Sans continuer plus long temps cette difcuffion, on fe contentera de remarquer que l'auteur du Télémaque, en imitant ce qu'il y a de beau dans les fables du poëte Grec, a évité deux grands défauts qu'on lui impute. Il perfonnalife comme lui les attributs divins, & en fait des Divinités fubalternes; mais il ne les fait jamais paroître qu'en des occafions qui méritent leur préfence. Il ne les fait jamais parler, ni agir, que d'une manière digne d'elles. Il unit avec art la poëfie d'Homère la philofophie de Pythagore. Il ne dit rien que ce que les Payens auroient pu dire; & cependant il a mis dans leurs bouches ce qu'il y a de plus fublime dans la morale Chrétienne,

a montré par là que cette morale est écrite en caractères ineffaçables dans le cœur de l'homme, & qu'il les y découvriroit infailliblement, s'il fuivoit la voix de la pure & fimple raifon, pour fe livrer totalement à cette vérité fouveraine & univerfelle qui éclaire tous les efprits, comme le foleil éclaire tous les corps, & fans laquelle toute raifon particulière n'eft que ténèbres & égarement.

Les idées que notre poëte nous donne de la Divinité font non-feulement dignes d'elle, mais infiniment aimables pour l'homme. Tout infpire la confiance & l'amour ; une piété douce, une adoration noble & libre, à la perfection abfolue de l'être infini; & non pas un culte fuperftitieux, fombre & fervile qui faifit & abat le cœur, lorfqu'on confidère Dieu feulement comme un puiffant législateur, qui punit avec rigueur le violement de fes

lois.

la Divinité.

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Ses idées de Il nous représente Dieu comme amateur des hommes; mais dont l'amour & la bonté pour nous ne font pas abandonnés aux décrets aveugles d'une deftinée fatale, ni mérités par les pompeufes apparences d'un culte extérieur, ni fujets aux caprices bizarres des Divinités payennes, mais toujours réglés par la loi immuable de la fageffe, qui ne peut qu'aimer la vertu, & traiter les hommes, non felon le nombre des animaux qu'ils immolent, mais des paffions qu'ils facrifient.

Des mœurs des héros d'Homère.

On peut juftifier plus aifément les caractères qu'Homère donne à fes héros, que ceux qu'il donne à fes Dieux. Il eft certain qu'il

peint

peint les hommes avec fimplicité, force, variété & pas fion. L'ignorance où nous fommes des coutumes d'un pays, des cérémonies de fa religion; du génie de fa langue; le défaut, qu'ont la plupart des hommes, de juger de tout par le goût de leur fiècle & de leur nation; Pamour du fafte & de la fauffe magnificence, qui a gâté la nature pure & primitive; toutes ces chofes peuvent nous tromper, & nous dégoûter mal-à-propos de ce qui étoit le plus eftimé dans l'ancienne Grèce.

Des deux

fortes d'Epopée,la pathe tique & la morale.

Il y a, felon Ariftote, deux fortes d'Epopées, l'une pathétique, l'autre morale: l'une, où les grandes paffions règnent; l'autre, où les grandes vertus triomphent. L'Iliade & l'Odyffée donnent des exemples de ces deux efpèces. Dans l'une, Achille eft repréfenté naturellement avec tous fes défauts; tantôt comme emporté, jufqu'à ne conferver aucune dignité dans fa colère; tantôt comme furieux, jufqua'à facrifier fa patrie à fon reffentiment. Quoique le héros de l'Odyffée foit plus régu lier que le jeune Achille bouillant & impétueux, cependant le fage Ulyffe eft fouvent faux & trompeur. C'eft que le poëte peint les hommes avec fimplicité, & felon ce qu'ils font d'ordinaire. La valeur fe trouve souvent alliée avec une violence furieuse & brutale. La politique eft prefque toujours jointe avec le menfonge & la diffimulation. Peindre d'après nature, c'eft peindre comme Homère.

Ces deux

Sans vouloir critiquer les vues différentes efpèces dans de l'Iliade & de l'Odyffée, il fuffit d'avoir remarqué en paffant leurs différentes beau

le Télé

maque.

tés, pour faire admirer l'art avec lequel notre auteur réunit dans fon poëme ces deux fortes d'Epopées, la pathétique & la morale. On voit un mélange & un. contrafte admirable de vertus & de paffions, dans ce merveilleux tableau. Il n'offre rien de trop grand; mais il nous repréfente également l'excellence & la baffeffe de l'homme. Il eft dangereux de nous montrer l'un fans l'autre, & rien n'est plus utile que de nous faire voir les deux enfemble; car la juftice & la vertu parfaites demandent qu'on s'eftime & fe méprife, qu'on s'aime & fe haïffe. Notre poete n'élève pas Télémaque au deffus de l'humanité; il le fait tomber dans les foibleffes qui font compatibles avec un amour fincère de la vertu ; & fes foibles

B 2

fervent

fervent à le corriger, en lui infpirant la défiance de foimême & de fes propres forces. Il ne rend pas fon imi tation impoffible, en lui donnant une perfection fans tache; mais il excite notre émulation en nous mettant devant les yeux l'exemple d'un jeune homme, qui avec les mêmes imperfections que chacun fent en foi, fait les actions les plus nobles & les plus vertueuses. Il a uni enfemble dans le caractère de fon héros, le courage d'Achille, la prudence d'Ulyffe, & le naturel tendre d'Enée. Télémaque eft colère comme le premier, fans être brutal; politique comme le fecond, fans être fourbe ; fenfible comme le troifième fans être voluptueux.

J'avoue qu'on trouve une grande variété dans les caractères d'Homère. Le courage d'Achille & celui d'Hector, la valeur de Diomède & celle d'Ajax, la prudence de Neftor & celle d'Ulyffe, l'amour d'Hélène & celui de Brifeïs, la fidélité d'Andromaque & celle de Pénélope, ne fe reffemblent point. On trouve un jugeinent & une finesse admirables dans les caractères du poëte Grec. Mais que ne trouve-t-on pas en ce genre dans le Télémaque, dans les caractères fi variés & toujours fi bien foutenus de Séfoftris & de Pygmalion, d'Idoménée & d'Adrafte, de Protéfilas & de Philoclès de Calypfo & d'Antiope, de Télémaque & de Boccoris ? J'ofe dire même qu'il fe trouve dans ce poëme falutaire, non-feulement une variété de nuances des mêmes vertus & des mêmes paffions, mais une telle diverfité de caractères oppofés, qu'on rencontre dans cet ouvrage l'anatomie `entière de l'efprit & du cœur humain : c'eft que l'auteur connoiffoit l'homme & les hommes. Il avoit étudié l'un au-dedans de lui-même, & les autres au milieu d'une flo'riffante cour. Il partageoit fa vie entre la folitude & la focieté il vivoit dans une attention continuelle à la vérité qui nous inftruit au dedans, & ne fortoit de là que pour étudier les caractères afin de guérir les paffions des uns, ou de perfectionner les vertus des autres. Il favoit 'accommoder à tous pour les approfondir tous, & prendre toutes fortes de formes fans changer jamais fon caractère effentiel.

Des préceptes & des infructions morales.

Une autre manière d'inftruire, c'est par les préceptes. L'auteur du Télémaque joint enfemble les grandes inftructions avec les exemples héroïques, la morale d'Homère avec

les

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