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en puniffant avec fermété tous les coupables; enfin en donnant aux enfans une bonne éducation, & à tout le peuple une exacte discipline pour le tenir dans une vie fimple, fobre, & laborieufe. Hé quoi! difois-je, ne peut-on pas foumettre un peuple fans le faire mourrir de faim? Quelle inhumanite! quelle politique brutale! Combien voyons-nous de peuples traités doucement, & très-foumis à leurs fouverains! Ce qui caufe les révoltes, c'est l'ambition & l'inquiétude des grands d'un Etat, quand on ne fait pas les tenir dans le devoir, & qu'on a laiffé leurs paffions s'étendre fans bornes: c'eft la licence dans les autres ordres de l'Etat, fi on néglige de la réprimer: c'eft la multitude des grands & des petits qui vivent dans la molleffe, dans le luxe, & dans l'oifiveté; c'eft la trop grande abondance d'hommes adonnés à la guerre, qui ont négligé toutes les occupations utiles dans le temps de paix enfin c'est le defespoir des peuples maltraités; c'eft la dureté, la hauteur des rois, & leur molleffe qui les rend incapables de veiller fur tous les membres de l'Etat pour prévenir les troubles. Voilà ce qui caufe les révoltes; & non pas le pain qu'on laiffe manger en paix au laboureur, après qu'il l'a gagné à la fueur de fon visage.

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Quand Protéfilas a vu que j'étois inébranlable dans ces maximes, il a pris un parti tout oppofé à fa conduite paffée; il a commencé à fuivre les maximes qu'il n'avoit pu détruire il a fait femblant de les goûter, d'en être convaincu, de m'avoir obligation de l'avoir éclairé làdeffus. Il va au-devant de tout ce que je pourrois fouhaiter pour foulager les pauvres : il eft le premier à me représenter leurs befoins, & à crier contre les dépenses exceffives. Vous favez même qu'il vous loue, qu'il vous témoigne de la confiance, & qu'il n'oublie rien pour vous plaire. Pour Timocrate, il commence à n'être plus fi bien avec Protéfilas; il a fongé à fe rendre indépendant. Protéfilas en eft jaloux, & c'est en partie par leurs différends que j'ai découvert leur perfidie.

Mentor fouriant, répondit ainfi à Idoménée: Quoi donc ! vous avez été foible, jusqu'à vous laiffer tyrannifer pendant tant d'années par deux traîtres dont vous connoiffiez

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connoiffiez la trahifon! Ah! vous ne favez pas, répondit Idoménée, ce que peuvent les hommes artificieux fur un roi foible & inappliqué, qui s'eft livre à eux pour toutes fes affaires. D'ailleurs, je vous ai dejà dit que Protéfilas entre maintenant dans toutes vos vues pour le bien public.

Mentor reprit ainfi le difcours d'un air grave: Je ne vois que trop combien les méchans prévalent fur les bons auprès des rois : vous en êtes un terrible exemple. Mais vous dites que je vous ai ouvert les yeux fur Protéfilas, & ils font encore fermés pour laiffer le gouvernement de vos affaires à cet homme indigne de vivre. Sachez que les méchans ne font point des hommes incapables de faire le bien ils le font indifféremment de même que le mal, quand il peut fervir à leur ambition. Le mal ne leur coute rien à faire, parce qu'aucun fentiment de bonté, ni aucun principe de vertu ne les retient; mais auffi ils font le bien fans peine, parce que leur corruption les porte à le faire pour paroître bons, & pour tromper le refte des hommes. A proprement parler, ils ne font pas capables de la vertu, fors même qu'ils paroiffent la pratiquer ; mais ils font capables d'ajouter à tous les autres vices le plus horrible des vices, qui eft l'hypocrifie. Tant que vous voudrez abfolument faire le bien, Protéfilas fera prêt à le faire avec vous, pour conferver l'autorité. Mais fi peu qu'il fente en vous de facilité à vous relâcher, il, n'oubliera rien pour vous faire retomber dans l'égarement, & pour reprendre en liberté fon naturel trompeur & féroce. Pouvez-vous vivre avec honneur & en repos, pendant qu'un tel homme vous obféde à toute heure, & que vous favez le fage & le fidéle Philoclès pauvre & defhonoré dans l'île de Samos?

Vous reconnoiffez bien, ô Idoménée, que les hommes trompeurs & hardis qui font prefens, entraînent les princes foibles. Mais vous deviez adjouter que les princes ont encore un autre malheur, qui n'eft pas moindre; c'eft celui d'oublier facilement la vertu & les fervices d'un homme éloigné. La multitude des hommes qui environnent les princes, eft caufe qu'il n'y en a aucun qui faffe un impreffion profonde fur eux: ils ne font frappés que de ce qui eft prélent, & qui les flatic; tout

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le refte s'efface bientôt. Sur-tout la vertu les touche peu, parce que la vertu, loin de les flatter, les contredit & les condamne dans leurs foibleffes. Faut-il s'étonner s'ils ne font point aimés, puisqu'ils n'aiment rien que leur grandeur & leurs plaifirs.

FIN DU TREIZIEME LIVRE.

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AVENTURES

DE

TELEMA QUE, A QUE,

FILS D'ULYSSE.

LIVRE QUATORZIEME.

SOMMAIRE.

Mentor oblige Idoménée à faire conduire Protéfilas & Timoerate en l'ile de Samos, & à rappeller Philocles pour le remettre en honneur auprès de lui. Hégéfippe qui eft chargé de cet ordre, l'execute avec joie : il arrive avec ces deux hommes à Samos, où il revoit fon ami Philoclés content d'y mener une vie pauvre & folitaire. Celui-ci ne confent qu'avec beaucoup de peine à retourner parmi les fiens mais aprés avoir reconnu que les Dieux le veulent, il s'embarque avec Hégéfippe, arrive à Salente, où Idoménée, qui n'eft plus le même homme, le reçoit avec amitié,

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PRES avoir dit ces paroles, Mentor perfuada à Idoménée qu'il falloit au plutôt chaffer Protéfilas & Timocrate, pour rappeller Philoclès. L'unique difficulté qui arrêtoit le roi, c'eft qu'il craignoit la févérité de Philoclès. J'avoue, difoit-il, que je ne puis m'empêcher de craindre un peu fon retour, quoique je l'aime & que je l'eftime. Je fuis depuis ma tendre jeuneffe accoutumé à des louanges, à des empreffemens, à des complaifances,

plaifances, que je ne faurois efpérer de trouver dans cet homme. Dès que je faifois quelque chofe qu'il n'approuvoit pas, fon air trifte me marquoit affez-qu'il me condamnoit. Quand il étoit en particulier avec moi, fes manières étoient refpectueufes & modérées, mais féches.

Ne voyez-vous pas, lui répondit Mentor, que les princes gâtés par la flatterie trouvent fec & auftère tout ce qui eft libre & ingénu? Ils vont même jufqu'à s'imaginer qu'on n'eft pas zélé pour leur fervice, & qu'on n'aime pas leur autorité, dès qu'on n'a point l'ame fervile, & qu'on n'eft pas prêt à les flatter dans l'ufage le plus injufte de leur puiffance. Toute parole libre & généreufe leur paroît hautaine, critique, & féditicufe. Ils deviennent fi délicats, que tout ce qui n'eft point flatterie, les bleffe & les irrite: mais allons plus loin. Je fuppofe que Philoclès eft effectivement fec & auftère; fon auftérité ne vaut-elle pas mieux que la flatterie pernicieufe de vos confeillers? Où trouverez-vous un homme fans défauts? Et le défaut de vous dire trop hardiment la véritié, n'eft-il pas celui que vous devez le moins craindre? Que dis-je? N'eft-ce pas un défaut néceffaire pour corriger les vôtres, & pour vaincre le dégoût de la vérité où la flatterie vous a fait tomber? Il vous faut un homme qui n'aime que la vérité, & qui vous aime mieux que vous ne favez vous aimer vous-même; qui vous dife la vérité malgré vous, qui force tous vos retranchemens; & cet homme néceffaire, c'eft Philoclès. Souvenez-vous qu'un prince eft trop heureux, quand il nait un feul homme fous fon régne avec cette générofité, qui eft le plus précieux tréfor de l'état ; & que la plus grande punition qu'il doit craindre des Dieux, eft de perdre un tel homme, s'il s'en rend indigne faut de favoir s'en fervir. Pour les défauts des gens de bien, il faut les favoir connoître, & ne laiffer pas de fe fervir d'eux. Redreffez les; ne vous livrez jamais aveuglément à leur zèle indifcret: mais écoutez-les favorablement, honorez leur vertu, montrez au public que vous favez la diftinguer, & fur-tout gardez-vous bien d'être plus long-temps comme vous avez été jufqu'ici. Les princes gâtés, com

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