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se trouvait cerné entre la Bormida et le Pô. La seule retraite qui lui restât après la bataille de Montebello se trouvait interceptée; l'ennemi ne paraissait avoir encore aucun projet, et très incertain de ses mouvemens.

› Le 25, à la pointe du jour, l'ennemi passa la Bormida sur les trois ponts, résolu de se faire une trouée; déboucha en force, surprit notre avant-garde, et commença, avec la plus grande vivacité, la célèbre bataille de Marengo, qui décida enfin du sort de l'Italie et de l'armée autrichienne.

» Quatre fois pendant la bataille nous avons été en retraite, et quatre fois nous avons été en avant. Plus de soixante pièces de canon ont été, de part et d'autre, sur différents points et à différentes heures, prises et reprises. Il y a eu plus de douze charges de cavalerie, et avec différens succès.

>> Il était trois heures après midi. Dix mille hommes de cavalerie débordaient notre droite dans la superbe plaine de Saint-Julien ; ils étaient soutenus par une ligne de cavalerie et beaucoup d'artillerie. Les grenadiers de la garde furent placés comme une redoute de granit au milieu de cette immense plaine; rien ne put l'entamer: cavalerie, infaħterie, artillerie, tout fut dirigé contre ce bataillon, mais en vain. Ce fut alors que vraiment l'on vit ce que peut une poignée de gens de cœur.

» Par cette résistance opiniâtre la gauche de l'ennemi se trouva contenue, et notre droite, appuyée jusqu'à l'arrivée du général Mounier, qui enleva à la baïonnette le village de Castel-Ceriolo.

» La cavalerie ennemie fit alors un mouvement rapide sur notre gauche, qui déjà se trouvait ébranlée. Ce mouvement précipita sa retraite.

› L'ennemi avançait sur toute la ligne, faisant un feu de mitraille avec plus de cent pièces de canon.

» Les routes étaient couvertes de fuyards, de blessés, de débris. La bataille · paraissait perdue. On laissa avancer l'ennemi jusqu'à une portée de fusil du village de Saint-Julien, où était en bataille la division Desaix, avec huit pièces d'artillerie légère en avant, et deux bataillons en potence sur les ailes. Tous les fuyards se ralliaient derrière.

Déjà l'ennemi faisait des fautes qui présageaient sa catastrophe. Il étendait trop ses ailes.

» La présence du premier consul ranimait le moral des troupes.

» Enfans, leur disait-il, souvenez-vous que mon habitude est de coucher sur le champ de bataille.

> Aux cris de vive la République! vive le premier consul! Desaix aborda au pas de charge et par le centre. Dans un instant l'ennemi est culbuté. Le général Kellermann, qui, avec sa brigade de grosse cavalerie, avait toute la journée protégé la retraite de notre gauche, exécuta une charge avec tant de vigueur et si à propos que six mille grenadiers et le général Zach, chef de l'état-major général, furent faits prisonniers, et plusieurs généraux ennemis tués. Toute l'armée suivit ce mouvement. La droite de l'ennemi se trouva coupée. La consternation et l'épouvante se mirent dans ses rangs.

» La cavalerie autrichienne s'était portée au centre pour protéger la retraite. Le chef de brigade Bessières, à la tête des casse-cols et des grenadiers de la garde, exécuta une charge avec autant d'activité que de valeur, perça la ligne de cavalerie ennemie; ce qui acheva l'entière déroute de l'armée.

» Nous avons pris quinze drapeaux, quarante pièces de canon, et fait six à huit mille prisonniers; plus de six mille ennemis sont restés sur le champ de bataille.

• La neuvième légère a mérité le titre d'incomparable. La grosse cavalèrie

et le huitième de dragons se sont couverts de gloire. Notre perte est aussi considérable; nous avons eu six cents hommes tués, quinze cents blessés, et neuf cents prisonniers.

» Les généraux Champeaux, Mainoni et Boudet. sont blessés.

» Le général en chef Berthier a eu ses habits criblés de balles; plusieurs de ses aides-de-camp ont été démontés. Mais une perte vivement sentie par l'armée, et qui le sera par toute la République, ferme notre cœur à la joie. Desaix a été frappé d'une balle au commencement de la charge de sa division; il est mort sur le coup; il n'a eu que le temps de dire au jeune Lebrun, qui était avec lui: Allez dire au premier consul que je meurs avec le regret de n'avoir pas assez fait pour vivre dans la postérité.

» Dans le cours de sa vie le général Desaix a eu quatre chevaux tués sous lui, et reçu trois blessures. Il n'avait rejoint le quartier-général que depuis trois jours; il brûlait de se battre, et avait dit deux ou trois fois la veille à ses aidesde-camp: Voilà long-temps que je ne me bats plus en Europe, les boulets ne nous connaissent plus; il nous arrivera quelque chose. Lorsqu'on vint, aur milieu du plus fort du feu, annoncer au premier consul la mort de Desaix, il ne lui échappa qué ce seul mot : Pourquoi ne m'est-il pas permis de pleurer? Son corps a été transporté en poste à Milan pour y être embaumé.

» Pour copie conforme: Le secrétaire d'état. Signé HUGUES-B. MARET. >

« Le premier consul aux consuls de la République.

>> Torre di Garofala, le 27 prairial an vir (16 juin 1800).

» Le lendemain de la bataille de Marengo, citoyens consuls, le général Mélas a fait demander aux avant-postes qu'il lui fût permis de m'envoyer le général Skal. On a arrêté dans la journée la convention dont vous trouverez ici-joint copie. Elle a été signée dans la nuit par le général Berthier et le général Melas. J'espère que le peuple français sera content de son armée. Signė BONAPARTE. » (Suivait la convention d'armistice.)

Bonaparte, après avoir établi une consulte pour réorganiser la république Cisalpine, se hâta de revenir à Paris. Il partit de Milan le 5 messidor, arriva à Turin le 7, en visita la citadelle. Il rentra en France par le Mont-Cénis. En passant à Lyon, il ordonna la reconstruction de la place Bellecour, et en posa luimême la première pierre. Il était de retour à Paris le 13 messidor (2 juillet), et recevait le lendemain les félicitations de toutes les autorités constituées.

La campagne n'avait pas été moins heureuse du côté de l'Allemagne; mais elle n'était pas aussi brillante, et l'opinion pu blique n'en était point vivement frappée. On ne faisait rien en effet pour donner de l'éclat aux succès obtenus de ce côté, et s'ils produisirent de solides résultats, ils n'eurent point pour conséquence la conquête de vastes territoires; ils ne présentèrent point

cet imprévu dans les marches, les mouvemens et les triomphes, en un mot, ce qui frappe et séduit les masses.

Moreau commandait l'armée du Rhin. Il envahit l'Allemagne à la tête de cent mille hommes. Il passa le Rhin par trois points : par Strasbourg, Bâle et Constance. Du 25 avril au 1er mai, la réunion de ces trois corps devait avoir lieu à Stockach, L'ennemi se massa à Eugen pour s'opposer à la colonne du centre, commandée par Moreau en personne. Il fut battu; en même temps, Lecourbe, à la tête de la colonne de droite, forçait à se retirer les forces qui défendaient Stokach, en sorte que rien ne s'opposa à la réunion. Les Autrichiens, qui étalent commandés par Kuay, essuyèrent depuis ce moment une suite de revers. Ils furent successivement battus à Moeskirch, le 6 mai; à Biberach, le 9; à Hochstett le 19 juin. Les Français occupèrent Augsbourg, envabirent la Bavière, s'emparèrent de Munich; ils menaçaient Inspruck, lorsqu'un armistice, conséquence de la convention d'Alexandrie, vint suspendre les hostilités le 45 juillet. - Le 28 juillet (9 thermidor ) le premier consul avait en effet signé à Paris les préliminaires de la paix entre la France et l'Autriche, qu'un agent de cette dernière puissance lui apportait d'Italie, où il avait été d'abord le chercher.

L'Autriche était pressée en effet de conclure la paix, et de fairé ainsi retirer d'Allemagne l'armée de Moreau dont les avantpostes étaient déjà à Lintz, et dont rien ne pouvait arrêter la marche sur Vienne. Ainsi, quelques personnes blâmaient vivement à cette époque Bonaparte de traiter si précipitamment quand rien ne l'y forçait, quand il avait dans les mains le sort de la constante ennemie de l'Italie et de la France. On disait que le principal motif du premier consul en cette affaire avait été d'empêcher Moreau d'entrer à Vienne, d'éclipser la gloire de Marengo par un succès plus grand, et enfin de le mettre dans le cas de tenter dans les états impériaux quelque révolution politique opposée à ses projets ultérieurs.

Tout concourait à rendre la joie publique parfaite. Les rebelles de la Vendée et de la Bretagne avaient fait leur soumission. Les

DU 11 NIV. AN VIH (1er JANV. 1800) consuls avaient ordonné qu'une fête de la Concorde serait destinée à célébrer cette pacification; mais ils n'en avaient pas arrêté l'époque. Peu de jours après le retour de Bonaparte, on décida qu'elle serait jointe à l'anniversaire du 14 juillet, qui tombait cette apnée le 25 thermidor.

Ce jour arrivé, il y eut présentation de drapeaux, jeux publics, qu'on appelait alors olympiques, etc. Enfin le premier consul réunit dans un banquet les principales autorités de la république, et porta le toast suivant : Au 14 juillet, et au peuple français, notre souverain! La fête de la fondation de la république qui eut lieu le 1er vendémiaire an IX (23 septembre 1800), ne fut pas moins brillante. Mais nous n'avons point le temps de parler de ces démonstrations brillantes à l'aide desquelles on captivait l'opinion publique.

Cependant la paix n'était pas aussi assurée qu'elle l'avait paru. L'empereur refusa de ratifier les préliminaires de la paix. Il desavoua même l'agent qu'il avait envoyé à Paris. Il déclara qu'il ne pouvait traiter que conjointement avec l'Angleterre, avec laquelle une convention secrète le tenait lié. Celle-ci mettait à la paix des conditions inacceptables, entre autre de l'évacuation de l'Égypte. Bonaparte ordonna aux généraux de dénoncer l'armistice en Italie et en Allemagne pour le 23 fructidor. Mais l'Autriche n'était pas en état de recommencer la guerre, en sorte qu'au moment où les hostilités allaient reprendre, elle demanda une prolongation de l'armistice, prolongation qui fut accordée moyennant la cession de trois places de sûreté en Allemagne. Les Autrichiens cédèrent aux Français, Ingolstad, Ulm et Philisbourg. Les hostilités furent donc de nouveau suspendues, et un congrès entre les trois puissances fut indiqué à Lunéville.

Les succès obtenus par le gouvernement, la fermeté qu'il montrait dans sa marche, et la confiance que fui accordait le public ne suffisaient point pour ôter l'espérance aux deux partis, que le pouvoir nouveau répudiait également : les royalistes et les républicains continuaient à conspirer. Les premiers avaient commencé par des démarches directes auprès de Bonaparte lui-même. Hyde

de Neuville et Dandigné allèrent trouver le premier consul lorsqu'il demeurait encore au Luxembourg. Il les reçut à dix heures du soir. Ceux-ci lui proposèrent de rétablir le trône des Bourbons. Bonaparte s'y refusa, mais il les laissa libres. Les royalistes, déçus, se retournèrent du côté de l'Angleterre qui continuait à leur fournir des fonds et à débattre avec eux divers projets. On s'occupa particulièrement des moyens de livrer Brest aux Anglais. On se proposait de faire attaquer cette ville par des chouans, par un débarquement commandé par Bourmont et par une flotte anglaise. La soumission des chouans empêcha de donner suite à ce projet. Des royalistes se bornèrent à répandre à Paris des feuilles secrètes. C'était l'Invisible, l'Avant-coureur ou le retour à l'ordre. Ils s'occupèrent en outre à établir une contre-police et à sondoyer des traîtres dans les bureaux de Fouché et dans ceux du trésor. Par ce dernier moyen, ils assuraient leurs démarches, et ils purent faire enlever les caisses publiques, les messageries chargées des fonds du gouvernement, et rançonner les acquéreurs des, domaines nationaux. Enfin ils projetaient de faire assassiner Bonaparte; ils préparaient des mouvemens dans les départemens, lorsque Fouché, instruit à temps, fit arrêter, le 4 praírial, un nommé Duperron qui revenait de Londres. On saisit sur lui beaucoup de papiers qui furent imprimés et publiés par ordre des consuls sous le titre de Conspiration anglaise (Paris, an 1x). Hyde de Neuville réussit à s'échapper. On saisit aussi à Bordeaux un comité royaliste qui s'était organisé sous le nom d'Institut et correspondait avec Paris. L'effet le plus public des efforts des royalistes fut d'arborer un drapeau noir sur la Madeleine et d'y afficher une proclamation du comte d'Artois et le testament de Louis XVI. Nous ignorons si Louis XVIII était instruit de ces démarches et de ces projets, cependant il écrivit à Bonaparte deux lettres successives; l'une fut apportée par le marquis de Clermont-Galleraude, l'autre par l'abbé Montesquiou. Le premier consul répondit à la dernière en engageant le représentant des Bourbons à se tenir tranquille, lui promettant à cette condition protection et secours. Les démarches néanmoins continuèrent. On s'adressa même à la

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