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dans l'ordre. Garçon, apportez du vin de Champagne; noyons nos inquiétudes, et contentons-nous d'ouvrir des yeux attentifs, en sages républicains. Ne vaudrait-il pas mieux voir l'habile Dumourier à la tête du ministère de la guerre et du conseil, au lieu d'un Pache, ami de Roland? Non. Dumourier doit finir son opération, effacer par une conduite glus grave l'impression qu'a faite sa liaison avec Bonne-Carrère, son intrigue pour expulser Servan et le remplacer, sa trop grande facilité à composer avec nos ennemis, quoiqu'à -propos, mais sans notre aveu, son voyage de Paris où je ne l'ai vu qu'aux Jacobins et au spectacle, au lieu de le voir à pareille heure au milieu du conseil-général du pouvoir exécutif, qui, selon l'ordre, travaille le matin individuellement, dîne et se réunit en pouvoir le soir. Quand enfin il nous aura fait voir qu'il est devenu aussi grave qu'il a toujours été rusé, nous verrons ce que nous en ferons, etc., etc. Voilà mon bavardage actuel; tirez-en ce que vous pourrez. Le fait est que je puis maintenant parler haut. Ma tâche me fatigue; je me dépêche à en être quitte. Les hommes sont en général bêtes, et les plus sots sont ceux qui ont eu un succès déclamatoire pendant la révolution. Le diable n'y tiendrait pas : je me gare de l'homme à la pétition; en public, il n'est pas de ma mesure pour agir. Je le verrai demain chez lui, afin d'en tirer un parti de circonstance; un peu de patience, loyale citoyenne : ça ira.

Je vais à un rendez-vous très-important : à demain.

Copie de lettre non signée, écrite à Roland par le citoyen Gadol.

Il est absolument vrai que l'esprit public s'harmonie de plus en plus, et que l'esprit de parti reste distinct au milieu de la masse qui, il y a peu, faisait chorus avec lui. Ce parti distinct n'ayant rien de personnel à proférer contre Roland ni contre ceux dont la sévérité des mœurs ressemble à la sienne : ce parti distinct, en un mot, s'en tient à glisser des prophéties contre les hommes à caractère dont il a tout à craindre et rien à espérer. Je ne vois donc que ce que l'on doit s'attendre à voir dans toutes les Républiques; c'est-à-dire une action et réaction continuelle

du vice contre la vertu, de l'ambition irritée, de la fausse probité qui est sur le point de se voir arracher le masque, et enfin de tous les atômes individuels dont la crédulité insatiable s'attache au parti qui crie le plus fort. Mais tout cela n'est plus rien; car aucun trouble réel n'est plus possible; et si le patriarche se voit encore harcelé indirectement par des hommes qui auraient dû lui rendre plus de justice, c'est que ces hommes veulent se ménager tous les partis; et qu'un de ceux-là qui s'est exprimé si mal à propos dimanche aux Jacobins, est lui-même la dupe crédule d'un fin politique qui sent que le patriarche, de moins dans le ministère, y serait probablement remplacé par un ami; de là un contre-poids et une majorité après laquelle on soupire aux Jacobins, et à laquelle aspirent peut-être un ou deux de ses collègues. Qu'il aille son train d'une manière égale; qu'il ne fasse attention à rien qu'à sa chose: tout sera forcé de se taire et de désespérer. Qu'il n'écrive surtout pas; la justice de sa cause ferait crier toute la vermine anti-sociale, et le diable n'en viendrait pas à bout. Il a le courage de la vertu : le silence lui sera facile ; mais si la pierre frappait trop durement, il trouvera toujours des braves qui le défendront. Quant à moi, je ne vois plus rien que de très-ordinaire, à condition toutefois qu'il faut veiller et briser les idées venimeuses.

Gonchon est demandé par les commissaires qui vont à Nice. Il m'a vu deux fois hier, et m'a encore demandé un rendez-vous pour six heures ; je ne l'y ai pas trouvé.

Qu'on ne néglige pas d'exiger que les sections soient en nombre suffisant pour délibérer. Il n'y a quelquefois pas soixante personnes, dont dix par section sont du parti agitateur; le reste écoute et lève la main machinalement. Oh! que ces fameux héros du massacre du 2 septembre ont fait de mal pendant et depuis leur expédition! J'ai prédit qu'ils ne réussiraient à rien dans le temps où toutes leurs batteries jouaient à la fois : que peuventils faire maintenant? rien.

Bonjour, mes amis. Ce mardi matin.

Copie de la lettre non signée, écrite par Gadol.

Je ne puis charger Gonchon de suivre l'orateur de cette tribune ambulante, dans la crainte qu'étant un peu contrarié, il ne prenne de l'humeur, et ne jette la tribune et l'orateur à dix toises au large; de là une scène, etc. Il se tait presque partout; il écoute et médite un discours répressif des troubles, et calmant pour le peuple: il lit ce discours dans ses sections, après m'en avoir fait part; et peu à peu le perfectionne pour être débité à la barre, selon l'utilité du temps.

J'eus hier le courage de suivre cet extraordinaire déclamateur (Varlet) dans tous ses mouvemens et dans ses relations jusqu'à trois heures, où il vint enfin s'établir aux Tuileries. Assuré d'avance par son maître-de-quartier au collège d'Harcourt, qu'il avait mené une vie si sale et si prodigue que sa mère en était morte de chagrin ; que depuis il avait mangé le reste, et qu'enfin il n'avait rien dans ce moment; assuré encore qu'il avait fait de trèsmauvaises études, et qu'il n'était que l'instrument déclamatoire de la poignée des serpens alimentés par un parti désespéré de n'avoir pu s'emparer des rênes de l'administration en général; prévenu, dis-je, de cette manière, j'écoutai mon homme.

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Je vais, dit-il, peut-être vous surprendre en vous ouvrant les yeux sur le compte de Pétion (ici, après bien des bavardages, il a fini par simplement inculper Pétion d'avoir écrit une lettre incivique aux amis de la Constitution); de là il a entamé Brissot coups de dents, de griffes et de tout ce qu'il a pu ; j'ai cru voir un insecte faire le tour d'un superbe diamant pour le ternir de son haleine, et finir par pisser dessus; le diamant semblait en avoir acquis plus d'éclat. Une légère glissade sur Roland devint motif d'une rixe passagère: quelqu'un s'aventura de l'interrompre maladroitement sur cette morsure; des affidés le régalèrent de coups. Ma présence et celle de sept autres braves gens que j'avais avec moi, a servi à-propos pour apaiser les esprits, faire voir le ridicule et les suites fâcheuses de pareils sermons. L'ora

teur lui-même alla dégager la victime de son venin, tandis que je profitai de ce mauvais résultat pour en couvrir l'auteur et ses agens, d'opprobre. Ce jeune homme déclame assez bien; mais tout est si confus, si incohérent, et enfin si corrosif, que les spectateurs ordinaires n'en peuvent emporter une idée distincte. Les sages haussent les épaules, et on aurait dit qu'il ne trouvait point une pyramide assez élevée pour y exposer Robespierre aux regards des adorateurs qu'il s'efforçait de lui créer. La crapaudière Marat est venue râler autour de cette tribune, et je crois que les agens du cauteleux Danton avivaient le tour.

Encore un peu de patience, l'esprit public fera justice de tout cela. Soustraction faite de toutes les idées qui s'entre-détruisent, il reste au profit de l'ordre un beau surplus.

Il n'y a de distinct contre l'ordre que trois ou quatre cents illuminés Jacobins dont la dévotion est aussi franche que stupide; deux ou trois cents auxquels le résultat de la dernière révolution ne leur a pas procuré les emplois et les honneurs sur lesquels ils avaient trop évidemment compté. Leurs chefs également déchus, semblent leur dire: Parvenez à faire déplacer tel ou tel ministre, à discréditer tels ou tels députés; nous prendrons le dessus, et vous serez heureux. Quand j'en rencontre qui s'emportent trop, je les fais bien dîner, et je les vois devenir des moutons à mesure que leur estomac fait fortune. Ces gens m'embarrassent plus qu'ils ne m'inquiètent; il suffit d'être parmi eux, pour réduire leurs efforts à zéro. Le bon sens déserte les Jacobins ; ce même bon sens n'a qu'à établir une autre société sous le nom de républicaine; elle donnera le dernier coup de grace au résidu turbulent qu'elle a sagement laissé dans ce temple, ci-devant le salut public.

Demain la grande moustache (concierge du Temple) vient dîner avec moi et quelques Marseillais du 10 août. Je leur ai enlevé tous les braves. Ne craignez aucun trouble effectif ; attendez-vous à quelques miaulemens de chats qui crient après la pâtée.

Bonjour.

Votre mot d'hier m'est utile.

A propos, la soirée d'hier, depuis six heures jusqu'à l'heure du gîte, a été une des plus raisonnables que nous ayons eues depuis très-longtemps: ça va.

Copie d'une lettre de Gadol au citoyen Roland.

L'affaire des papiers trouvés aux Tuileries remit fortement le patriarche sur le tapis. Dans la buvette à côté de l'assemblée, il y avait soixante personnes au moins. Cinq agitateurs voulaient encore une fois le mordre à belles dents; mais ils ont senti pour le coup que l'esprit public se lassait de cette persécution injuste. Trois de mes hommes les contrarièrent adroitement; leur raison en entraîna d'autres, et enfin un citoyen de Lille et un de Blois ont parlé haut à ces agitateurs. Ils ont prouvé à la société que c'était le ministre qui avait le plus de caractère, à partir de sa lettre au roi, etc.

Mais, ont dit les agitateurs, pourquoi écrit-il tant? pourquoi parle-t-il toujours de lui? C'est, leur ai-je répondu paisiblement, que l'on n'a cessé de le tracasser par des affiches, des propos et des coalitions; c'est qu'enfin un parti, et surtout celui qui se dit le plus et l'unique patriote, en voulait simplement à sa vie. Or, ne pas répondre, ne pas se débattre au milieu de pareilles persécutions, ce serait être un homme sans ressort moral; et lui en vouloir pour cela, c'est découvrir la rage du vice contre la vertu armée. La société entière a pris une part raisonnable à ce débat, et mes cinq agitateurs ont été obligés de céder, la face couverte d'une honte muette. Voilà un fait qui m'a fait un grand plaisir ; ailleurs l'esprit public prend un fixe assez consolant c'est ici l'instant de le soutenir pour en accélérer la perfection.

Gonchon n'est point parti: il aurait fallu faire une espèce de cour à Collot-d'Herbois et se dérolandiser auprès de lui. Il a préféré rester, et j'en suis bien aise. Il a dîné avec Kellermann, chez Santerre. Kellermann doit le mener avec lui et l'avancer, mais tout cela n'est que dans l'air. Panis lui a aussi fait sentir qu'il

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