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Lecture est faite de deux lettres, qu'elle reconnaît pour avoir été par elle écrites, depuis sa detention.

La première est adressée à Barbaroux, député, à Caen.

La seconde est adressée à son père (1).

Après cette lecture, l'accusée observe que le comité de salut. public lui a permis de faire tenir la première de ces lettres à son adresse, afin, dit-elle, que Barbaroux puisse la communiquer à tous ses amis; elle s'en rapporte au zèle du tribunal pour faire tenir la seconde.

L'accusateur public résume en peu de mots les débats; après quoi, le citoyen Chauveau que le tribunal avait invité, au commencement de l'audience, à défendre l'accusée, attendu que l'on n'avait pu parvenir à découvrir l'adresse de celui qu'elle avait demandé, a prononcé le discours suivant :

L'accusée avoue avec sang-froid l'horrible attentat qu'elle > a commis; elle en avoue avec sang-froid la longue préméditation, elle en avoue les circonstances les plus affreuses en un > mot, elle avoue tout et ne cherche pas même à se justifier. Voilà, citoyens jurés, sa défense tout entière. Ce calme im› perturbable, et cette entière abnégation de soi-même qui n'an› noncent aucuns remords, et pour ainsi dire en présence de la › mort même; ce calme et cette abnégation sublimes sous un › rapport, ne sont pas dans la nature; ils ne peuvent s'expli› quer que par l'exaltation du fanatisme politique qui lui a mis > le poignard à la main. Et c'est à vous, citoyens jurés, à > juger de quel poids doit être cette considération morale, › dans la balance de la justice je m'en rapporte à votre prudence. > L'accusée a entendu avec le plus grand sang-froid prononcer le jugement suivant.

(1) Beaucoup de personnes m'ont témoigné le désir de voir ces deux lettres insérées dans mon bulletin. Pour les satisfaire, et en même temps donner ces pièces comme une chose authentique, je me suis adressé au citoyen Fouquier-Tinville, accusateur public près le tribunal. Il m'a dit de prévenir et d'assurer le public que celles qui paraissent actuellement sont de toute fausseté, qu'il m'en délivrera une copie pour la mettre sous les yeux du peuple, lorsqu'il aura extrait les renseignemens sur cette affaire. (Note du journaliste.)

Le tribunal, d'après la déclaration unanime des jurés, portant: 1° Qu'il est constant que le 15 du présent mois de juillet, entre les sept et huit heures du soir, Jean-Paul Marat, député à la Convention nationale, a été assassiné chez lui, dans son bain, d'un coup de couteau dans le sein, duquel coup il est décédé à l'instant;

2o Que Marie-Anne-Charlotte Corday, ci-devant d'Armans, âgée de vingt-cinq ans, fille de Jacques-François Corday, ci-devant d'Armans, ex-noble, elle habitante de Caen, département du Calvados, est l'auteur de cet assassinat ;

3° Qu'elle l'a fait avec préméditation et des intentions criminelles et contre-révolutionnaires;

Condamne Marie-Anne-Charlotte Corday, ci-devant d'Armans, à la peine de mort, conformément aux articles IV de la troisième section du titre premier de la seconde partie du Code pénal, et XIII de la première section du titre II de la même partie dudit code, dont il a été fait lecture, lesquels sont ainsi conçus ; savoir, l'article IV de la troisième section du titre premier: Toutes conspirations ou attentats pour empêcher la réunion, ou pour opérer la dissolution du corps législatif, ou pour empêcher, par force et violence, la liberté de ses délibérations; tout attentat contre la liberté individuelle d'un de ses membres, seront punis de mort. Tous ceux qui auront participé auxdites conspirations ou attentats, par les ordres qu'ils auront donnés ou exécutés, subiront la peine portée au présent article, l'article X de la première section du titre II: « L'homicide commis avec préméditation, sera qualifié d'assassinat, et puni de mort. >

Ordonne que ladite Marie-Anne-Charlotte Corday sera conduite au lieu de l'exécution, revêtue d'une chemise rouge, conformément à l'article IV du titre premier de la première partie dudit code, dont il a aussi été fait lecture, lequel est ainsi conçu : «Quiconque aura été condamné à mort pour crime d'assassinat, d'incendie ou de poison, sera conduit au lieu de l'exécution, revêtu d'une chemise rouge, et que les biens de ladite Corday sont acquis à la République, conformément à l'article Il du titre 2

de la loi du 10 mars dernier, dont il a également été fait lecture, lequel est ainsi conçu: « Les biens de ceux qui seront condamnés à la peine de mort seront acquis au profit de la République, et il sera pourvu à la subsistance des veuves et des enfans, s'ils n'ont pas de biens d'ailleurs. Enfin, que le présent jugement sera, à la diligence de l'accusateur public, mis à exécution sur la place de la Révolution de cette ville, imprimé et af fiché dans l'étendue de la République.

LETTRES DE MARIE-ANNE-CHARLOTTE CORDAY (1).

Première lettre. A Marat.

Paris, ce 12 juillet, l'an 2 de la République.

Citoyen, j'arrive de Caen; votre amour pour la patrie me fait présumer que vous connaîtrez avec plaisir les malheureux événemens de cette partie de la république. Je me présentérai chez vous vers une heure. Ayez la bonté de me recevoir, et de m'accorder un moment d'entretien, je vous mettrai à même de rendre un grand service à la France.

Je suis, etc. CHARLOTTE CORDAY. ›

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< Je vous ai écrit ce matin, Marat, avez-vous reçu ma lettre? Je ne puis le croire, puisqu'on m'a refusé votre porte. J'espère que demain vous m'accorderez une entrevue. Je vous le répète : j'arrive de Caen; j'ai à vous révéler les secrets les plus importans pour le salut de la république. D'ailleurs, je suis persécutée pour la cause de la liberté ; je suis malheureuse; il suffit que je le sois pour avoir droit à votre protection. CHARLOTte Corday.

(1) Ces lettres ont été collationnées avec exactitude sur les originaux. On ne s'est même pas permis d'en changer l'orthographe. (Note du journaliste.)

Troisième lettre. A Barbaroux.

Aux prisons de l'Abbaye, dans la ci-devant chambre de Brissot, le second jour de la préparation à la paix.

⚫ Vous avez désiré, citoyen, le détail de mon voyage; je ne vous ferai point grace de la moindre anecdote. J'étais avec de bons montagnards, que je laissé parler tout leur content, et leurs propos aussi sots que leurs personnes étaient désagréable, ne servirent pas peu à m'endormir je ne me reveillai pour ainsi dire qu'à Paris. Un de nos voyageurs, qui aime sans doute les femmes dormantes, me prit pour la file d'un de ses anciens amis, me supposa une fortune que je n'ai pas, me donna un nom que je n'avais jamais entendu, et enfin m'offrit sa fortune et sa main. Quand je fus ennuyée de ses propos-nous jouons parfaitement la comédie lui dis-je; il est malheureux', avec tant de talent de n'avoir point de spectateur, je vais chercher nos compagnons de voyage pour qu'ils prenne leur part du divertissement. Je le laisse de bien mauvaise humeur; la nuit il chanta des chansons plaintive, propre à exciter le someil. Je le quittai enfin à Paris, refusant de lui donner mon adresse, ni celle de mon père à qui il voulait me demander; il me quitta de bien mauvaise humeur. J'ignorais que ces messieurs eussent interrogé les voyageurs, et je soutins ne les conaître aucuns, pour ne point leur donner le désagrément de s'expliquer; je suivais en cela mon oracle Rainal, qui dit qu'on ne doit pas la vérité à ses tyrrans. C'est par la voyageuse qui était avec moi qu'ils ont su que e vous connaissais et que j'avais parlé à Duperret. Vous connaissez l'âme ferme de Duperret, il leur a répondu l'exacte vérité ; j'ai confirmé sa déposition par la mienne; il n'y a rien contre lui, mais sa fermeté est un crime. Je craignais; je l'avoue, qu'on ne découvrît que je lui avais parlé; je m'en repentis trop tard. Je voulus le réparer en l'engageant à vous aller retrouver. Il est trop décidé pour se laisser engager. Sûr de son innocence et de celle de tout le monde ; je me décidai à l'exécution de mon projet. Le croiriez-vous? Fauchet est en prison comme mon com

plice, lui, qui ignorait mon existence. Mais on n'est guère content de n'avoir qu'une femme sans conséquence à offrir aux manes de ce grand homme. Pardon, ô humains! Ce mot déshonore votre espèce; c'était une bête féroce qui allait dévorer le reste de la France par le feu de la guerre civile, maintenant vive la paix ! Grace au Ciel. Il n'était pas né Français. Quatre membres se trouvèrent à mon premier interrogatoire, Chabot avait l'air d'un fou, Legendre voulait m'avoir vu le matin chez lui, moi qui n'ai jamais songé à cet homme; je ne lui crois pas d'assez grands moyens pour être le tyran de son pays et je ne prétendais pas punir tant de monde. Tous ceux qui me voyaient pour la premièrs fois prétendaient me connaître dès long-temps. Je crois que l'on a imprimé les dernières paroles de Marat, je doute qu'il en ait proféré; mais voilà les dernières qu'il m'a dites. Après avoir écrit vos noms à tous, et ceux des administrateurs du Calvados qui sont à Évreux, il me dit pour me consoler : que dans peu de jours il vous ferait tous guillotiné à Paris (1). Ces derniers mots décidèrent de son sort. Si le département met sa figure à vis-à-vis de celle de St.-Fargeau, il pourra faire graver ces paroles en lettres d'or. Je ne vous ferai aucun détail sur ce grand événement, les journaux vous en parleront. J'avoue que ce qui m'a décidée tout-à-fait, c'est le courage avec lequel nos volontaires se sont enrôlé dimanche sept juillet. Vous vous souvenez comme j'en étaient charmée, et je me promettaient bien de faire repentir Pétion des soupçons qu'il manifesta sur mes sentimens. Est-ce que vous seriez fâchée s'ils ne partaient pas, me dit-il ? Enfin, j'ai considéré que tant de braves gens venant pour avoir la tête d'un seul homme, qu'ils auraient manqué, ou qui aurait entraîné dans sa perte beaucoup de bons citoyens, il ne méritait pas tant d'honneur. Suffisait de la main d'une femme. J'avoue que j'ai employé un artifice perfide pour l'attirer à me recevoir. Tous les moyens sont bons dans une telle circonstance. Je comptais, en partant de Caen, le sacrifier sur la cime de sa monta

(1) A la lecture de ces mots, l'accusée semblait encore ressentir une certaine satisfaction.

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