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En octobre 1867, Barbès écrit :

Je suis bien heureux de l'affection que Flaubert m'accorde. C'est à vous que je dois cet ami! Je ne cesserai de communier avec lui dans notre religion pour vous. Quant à son opinion sur moi, il m'estime beaucoup plus que je ne le mérite. Je n'ai été qu'un homme de bonne volonté manquant de la plupart des qualités dont j'aurais eu besoin et venu dans un mauvais temps.

Barbès, personnage politique, se jugeait bien; mais Barbès fut encore un beau caractère français un peu étroit, d'un autre âge, cela est supérieur aux aptitudes politiques.

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VICTOR BARRUCAND

et

LES LETTRES RUSSES

Sous le titre : Comment vit et travaille Léon Tolstoï, M. Sergueenko a publié à Moscou, ces jours derniers, un livre, agrémenté de nombreuses illustrations, sur la vie privée de Tolstoï dans sa campagne d'Yasnaïa Poliana. Les pensées, les entretiens, les moindres détails de la vie de l'illustre écrivain y sont reconstitués avec une exactitude sténographique. Citons l'épisode Tolstoï-Déroulède.

M. Paul Déroulède était allé à Yasnaïa Poliana pour enflammer le comte Tolstoï à l'idée de revanche. Léon Tolstoï fit des efforts pour écouter avec sang-froid les arguments de son interlocuteur, mais à la fin, ne pouvant se contenir, il dit à M. Déroulède : « Les frontières des Etats doivent se délimiter, non par le fer et le sang, mais par une sage entente les peuples, et, quand tous les hommes qui pensent comme vous n'existeront plus, il n'y aura plus de guerre. » Puis, Tolstoï se leva brusquement et sortit. Cet incident embarrassa fort les assistants. Au retour de Tolstoï, Déroulède lui avoua qu'il ne pouvait croire naturelles de telles opinions, et qu'il était persuadé que n'importe quel moujik penserait autrement, et il proposa à Tolstoï de vouloir bien traduire en russe ses idées, au premier moujik qu'ils rencontreraient. Ils allèrent se promener et rencontrèrent le moujik Prokofi. Tolstoï lui traduișit le discours de Déroulède : « Le Russe et le Français sont des frères et s'aiment, mais entre eux est l'Allemand qui les empêche de s'embrasser. Ce monsieur propose au Russe de donner la main au Français, de serrer l'Allemand et de l'écraser! » Prokofi avait écouté attentivement, et après quelques instants de réflexion, il répondit : « Non, monsieur, je crois qu'autrement serait mieux; le Russe travaillera, le Français travaillera, et, le travail fini, ils iront au cabaret avec l'Allemand. » Cette combinaison du moujik n'a pas, paraît-il, satisfait M. Déroulède.

Tolstoi consacre les dernières années de sa vie à soulager les victimes de la famine. Malgré ses nombreuses occupations, il a écrit un nouveau roman de la vie contemporaine russe sous le titre : Rédemption, qui paraîtra dans la revuc hebdomadaire Niva, en ce mois de

janvier, et qui, le mois prochain, sera publié simultanément en russe, en français, en allemand et en anglais.

On se rappelle l'article que publia Léon Tolstoï dans La revue blanche du 15 janvier 1896 sur ces sectaires russes, les doukhobors, qui furent persécutés en 1895 pour avoir refusé de se soumettre au service militaire. Leur obstination irréductible leur valut enfin d'être autorisés à quitter la Russie. 1,100 des leurs ont déjà émigré à Chypre, où l'Angleterre les accueille; 6,400, qui sont encore en Russie, sont décidés à partir pour le Canada. Grâce à Léon Tolstoï, des sommes importantes destinées à faciliter leur exode ont été recueillies. Manquent encore 400,000 roubles (un million de francs). A propos de quoi, Léon Tolstoï vient d'écrire à son ami M. V. Tchertkoff la lettre suivante :

« Comme il est évident qu'il faut encore beaucoup d'argent pour l'émigration des Doukhobors, voilà ce que je pense faire. J'ai quelques nouvelles et récits, non encore édités, je voudrais les vendre aux conditions les plus avantageuses à des journaux anglais, américains ou autres, et employer le produit de cette vente à subventionner l'émigration de ces malheureux Doukhobors. Ces récits sont écrits d'après ma vieille méthode, que je critique maintenant. Si je les corrigeais jusqu'à ce qu'ils me satisfissent, je ne les finirais jamais, de sorte qu'en me décidant à les vendre à l'éditeur, je prends le parti de les lui livrer tels quels. C'est ce qui m'est déjà arrivé avec les Cosaques. Je n'avais pas corrigé ce livre; mais je venais de perdre aux cartes beaucoup d'argent : et c'est pour m'acquitter que je le vendis à la rédaction d'un journal russe. La cause qui me fait agir maintenant est beaucoup plus noble. Si les récits eux-mêmes ne correspondent pas à mes idées actuelles sur l'art, s'ils ne sont pas écrits dans une forme très populaire, du moins ne sont-ils pas nuisibles par leurs idées. >>>

Wladimir Bienstock

Le 24 décembre 1898, et pour célébrer le centième anniversaire de la naissance du poète national de la Pologne, a été inaugurée à Varsovie la statue monumentale d'Adam Mickiewicz, par M. Cyprien Godebski. Cette œuvre est une des plus importantes dans l'ensemble des statues qu'a érigées sur les places publiques de maintes capitales M. Godebski, fils d'un des chefs de l'émigration polonaise et élève de Jouffroy.

Le gérant: Paul LaGrue,

Contre la Guerre

<< Monsieur,

<< Dans le but d'être utile au développement des idées humanitaires et de la civilisation « la Vita internazionale » (Milan), avec l'appui de « l'Humanité Nouvelle » (Paris et Bruxelles), a cru devoir s'intéresser au difficile problème qui dernièrement s'est montré dans toute sa gravité et son importance, à cause de la délicate question pour laquelle la France et le monde entier se sont passionnés si vivement: nous voulons parler du problème de la guerre et du militarisme. A cette fin, nous prions tous ceux qui, en Europe, dans la politique, les sciences, les arts, dans le mouvement ouvrier, parmi les militaires mêmes, occupent la place la plus éminente, de contribuer à cette œuvre hautement civilisatrice en nous envoyant les réponses au questionnaire suivant :

« La guerre parmi les nations civilisées est-elle encore voulue par l'histoire, par le droit, par le progrès?

« 2o Quels sont les effets intellectuels moraux, physiques, économiques, politiques du militarisme?

« 3o Quelles sont les solutions qu'il convient de donner, dans l'intérêt de l'avenir de la civilisation mondiale, aux graves problèmes de la guerre et du militarisme?

« 4° Quels sont les moyens conduisant le plus rapidement possible à ces solutions? »

Je ne puis cacher le sentiment de mépris, de honte et même de découragement que cette lettre a excité en moi. Les hommes intellectuels, sensés, bons, de notre monde chrétien, qui professent la loi d'amour et de fraternité et considèrent l'assassinat comme un crime affreux, tous ces hommes, incapables, sauf rares exceptions, de tuer un animal, spontanément, dans certaines conditions, quand le crime s'appelle la guerre, croient non seulement bons et obligatoires la violence et le meurtre, mais eux-mêmes contribuent à ces méfaits, s'y préparent, y participent et en sont fiers. Partout et toujours la même chose se produit; à savoir que ceux qui commettent les violences et les meurtres et qui en portent toute la responsabilité, c'est-à-dire la majorité des hommes, les travailleurs, ne commencent pas, ne préparent pas, ne veulent pas ces meurtres, mais y prennent part contre leur volonté, parce que chacun d'eux est convaincu que sa situation sera pire encore s'il refuse son concours à ces violences, à ces meurtres et à leur préparation. La très petite minorité qui vit dans le luxe et l'oisiveté (grâce aux travailleurs) commence et prépare les crimes et les fait commettre au peuple laborieux. Le mensonge existe depuis longtemps déjà, mais, dans ces derniers temps, l'audace des im

posteurs est arrivée au plus haut degré. Presque tout le fruit du travail des ouvriers leur est enlevé et sert aux préparatifs de pillage et d'assassinat. Dans tous les Etats constitutionnels de l'Europe, tous les travailleurs sans exception sont convoqués à prendre part à ces crimes; volontairement se multiplient de plus en plus les relations internationales qui doivent en définitive conduire à la guerre; sans aucune raison, les pays pacifiques se ruinent; chaque année, en quelque endroit, on pille et on assassine, et tous vivent dans une crainte perpétuelle du pillage et de l'assassinat. Il est évident que si de tels faits se produisent, c'est parce que la majorité est trompée par la minorité, pour qui ce mensonge est utile. Voilà pourquoi la première chose que doivent faire ceux qui veulent empêcher ces meurtres et ces pillages réciproques, c'est de dévoiler le mensonge dont la majorité est abusée, de lui montrer par qui il est fait, par quoi il se soutient, et comment elle peut s'en délivrer.

Mais les intellectuels d'Europe ne font rien de semblable. Sous prétexte d'assurer la paix, ils se réunissent dans telle capitale avec des airs très graves; ils s'asseoient autour d'une table, et voici ce qu'ils discutent d'abord : Quel est le meilleur moyen pour obtenir des brigands qu'ils cessent leurs brigandages et deviennent des citoyens paisibles? Ensuite, ils abordent les questions profondes, savoir: 1o La guerre EST-ELLE VOULUE par l'histoire, par le droit, par le progrès? (Comme si les fictions que nous inventons avaient qualité pour nous demander de supprimer les principales lois morales de notre vie.) 2" Quelles peuvent être les suites de la guerre? (Comme si l'on pouvait douter qu'elles soient toujours le malheur général, la licence sans bornes.) 3o Enfin, Comment résoudre le problème de la guerre? (Comme si l'on pouvait se poser le problème suivant : « Comment peut-on délivrer des hommes trompés par un mensenge que nous voyons très clairement? »)

C'est abominable. Nous voyons très souvent, par exemple, que des hommes heureux, bien portants et tranquilles, viennent, d'une année à l'autre, jouer dans quelque Monte-Carlo et y laissent pour le profit des maîtres de ces mauvais lieux leur santé, leur tranquillité, leur honneur et très souvent leur vic. Ils sont à plaindre, ces hommes; nous voyons très bien que l'erreur à laquelle ils succombent est due aux tentations qui les attirent, à l'inégalité des chances, à l'entraînement du jeu, et ils ont beau savoir qu'en général ils perdent, ils espèrent, malgré tout, être, pour une fois, plus heureux que les autres; tout cela est absolument clair. Mais voilà, pour délivrer les hommes de ce malheur, au lieu de leur montrer les pièges qui les attirent, au lieu de leur montrer que sans doute ils perdront, au lieu de leur montrer l'immoralité du jeu fondé sur l'espérance du malheur des autres; au lieu de tout cela, nous nous réunissons en assemblées, avec une mine sérieuse, nous discutons cette question: Comment faire pour que les maîtres des maisons de jeu ferment volontairement leurs établissements? Et nous écrivons des livres sur ce sujet et nous

demandons : L'histoire, le droit et le progrès ne veulent-ils pas ces maisons? Quelles peuvent être les suites économiques, intellectuelles et morales des roulettes?

:

Si je dis à un ivrogne qu'il peut. qu'il doit cesser de boire, il y a quelque chance pour qu'il m'écoute; mais si je lui dis que son ivrognerie est un problème difficile et compliqué que nous, hommes savants, tàchons de résoudre dans nos réunions, il y a bien des chances pour que lui, en attendant la résolution du problème, il continuc de boire. Il en est de même des moyens faux, subtils, scientifiques qu'on emploie pour faire cesser la guerre, tels que tribunal international, arbitrage et autres sottises, alors que nous taisons avec beaucoup de soin le moyen simple et infaillible de faire cesser la guerre, moyen qui éclate aux yeux de chacun. Pour que les hommes auxquels la guerre n'est pas nécessaire ne combattent pas, il ne faut ni droit international, ni arbitrage, ni tribunaux internationaux, ni discussions, mais il faut sculement éveiller les hommes qui ont cru au mensonge, les délivrer de ce « spell », de ce rêve qui les leurre. Le moyen d'empêcher la guerre, le voici : Que ceux pour qui la guerre n'est pas nécessaire, que ceux qui croient faire mal en se battant, ne se battent pas. Ce moyen a été propagé dans les temps anciens par les écrivains chrétiens Tertullien et Origène, par Paolicianes et ses successeurs les Ménonites, par les Quakers, les Guerngoutères; Daymond, Garrison et Balou en ont écrit. Il y a bientôt vingt ans que moi-même, autant que je le peux, je montre le péché, le malheur et la folie du service militaire. Ce moyen pratiqué autrefois l'a été aussi dans ces derniers temps, très souvent, en Autriche, en Prusse, en Suède, en Hollande, en Suisse, en Russie, soit par des particuliers, soit par des sociétés entières, telles que les Quakers, Ménonites, Nazaréens, et, en dernier lieu, par les Doukhobors (1), dont la population de 15,000 habitants, depuis déjà trois ans, lutte contre le puissant gouvernement russe et qui, malgré les souffrances qu'elle endure, refuse sa complicité au crime du service militaire.

Mais les amis éclairés de la paix, non seulement ne proposent pas ce moyen, mais ne peuvent supporter qu'on l'indique, et, quand ils l'entendent proposer, ils feignent de ne pas s'en apercevoir, ou s'ils veulent bien s'en apercevoir, ils haussent les épaules et prennent un air important et méprisant pour ces hommes grossiers et sots qui emploient des moyens si fantasques et si ridicules, lorsqu'eux en ont un bon celui qui consiste à mettre du sel sous la queue de l'oiseau que l'on veut attraper, c'est-à-dire à prier le gouvernement, qui ne vit que de violence et de mensonge, de renoncer à ces pratiques.

On dit les différends entre les gouvernements seront jugés par les tribunaux ou par l'arbitrage. Mais les gouvernements ne veulent pas

(1) Cf. les Persécutions en Russie, par M. Léon Tolstoï (La revue blanche du 15 janvier 1896), et une note de M. W. Bienstock (loc. cit., no du 1er janvier 1899).

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