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volupté, caressé, enchanté par ses lamentations. Le sang parut à son front: ce fut un encouragement à la frapper encore davantage, mais à ce moment mes bras furent saisis, je fus aussi moi violenté, terrassé, j'ignore par qui, je ne vis point mes agresseurs. Je sais seulement que sous les yeux d'une foule d'ombres noires et de corps clairs j'allai rouler au bas de l'escalier de cette maison de plaisir, au milieu de cris et d'injures. Je me relevai un peu contusionné, mais avec l'impression d'une délivrance, la joie d'une revanche. Longtemps les cris de ma victime me poursuivirent, mélodie ensorcelante. Tuer la traîtresse, c'est perpétuer son propre supplice, mais s'attaquer à cette chair qui vous a torturé, à ce corps devant lequel Vous vous êtes anéanti d'amour, c'est bien se reconquérir. Oh! comme ses cris m'avaient fait de bien! L'horrible vision moqueuse qui bafouait ma peine, avait comme expiré dans cet élan douloureux. J'avais rencontré la plaie secrète pour la panser. J'avais percé le fantôme insaisissable qui depuis tant de jours s'était acharné sur moi. Certes, les femmes qui ne se rappellent pas leurs cruautés anciennes et aussi ces hommes froids, indifférents, qui n'ont jamais aimé ou n'ont jamais eu conscience de leurs abaissements devant une maîtresse trop ardemment chérie, ces gens-là m'appelleront lâche et infâme, mais moi je sais bien que je pouvais m'applaudir de ce coup difficile comme d'une prouesse. Frapper une femme? non, c'était frapper un monstre en moi, essayer de renverser au fond de mon âme un culte atroce et sanguinaire, et auquel je ne pouvais m'attaquer qu'avec violence, qu'avec colère.

D'ailleurs, le monstre était encore debout, comme inexpugnable. Quelles larmes, quelle pitié infinic suivirent cet acte sauvage! J'écrivais des lettres de pardon que je couvrais de pleurs et qui restaient sur ma table, car je ne savais où les adresser; mais cela me consolait de parler ainsi à son ombre. Qui sait? Peut-être existe-t-il de secrètes correspondances entre deux êtres qui se sont aimés. Peutêtre se doutait-elle de mes remords et me pardonnait-elle unc cruauté que m'avait inspirée ma scule passion pour elle? Je subissais à présent des souffrances nouvelles. Je me demandais avec terrcur si je l'avais blessée, si je l'avais tuée.

Dans cette chambre misérable que j'habitais, au haut d'une vicille maison du faubourg Montmartre, où personne ne venait, où je ne recevais aucune lettre, où j'avais l'impression d'être retranché du monde des vivants. mes journées du dimanche, ainsi qu'une partie de mes soirées et de mes nuits, s'écoulaient en regrets, en angoisses. Penser à mon chagrin était devenu le divertissement et tout l'attrait de mon existence; je me sauvais du bureau empesté de mauvaises haleines et où me retenaient tout le jour d'insipides copies, d'interminables calculs, des voix nasillardes, sèches et autoritaires, je me sauvais le soir dans cette chambre afin de pouvoir m'aflliger en paix, loin des indifférences, loin des indiscrètes et fausses compassions. Aussi, fus-je bien étonné de recevoir une fois une visite dans un

endroit où, selon moi, tous, sauf le concierge, devaient m'ignorer; mon étonnement s'accrut encore lorsque j'aperçus Florence, la femme de chambre de Juliette. Elle ne prit pas le temps de s'asseoir. A peine entrée :

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Monsieur, dit-elle, il faut vous sauver d'ici et le plus vite possible. Si vous restez, sûrement il vous arriverait malheur. Madame veut vous faire arrêter!

Oui, continua-t-elle en voyant ma stupeur, et savez-vous que ce serait une mauvaise affaire pour vous, monsieur? Ce qui s'est passé l'autre nuit n'est rien; madame Juliette est toute marquée, et puis son beau collier est brisé, c'est vrai, mais ce ne sont pas les premiers ennuis que lui font ses amants. Ça ne serait rien, je le répète, si elle ne vous en voulait pas. Mais elle va dire que vous êtes un assassin, que c'est vous qu'avez tué ces marins de Naples, vous savez, ceux qui se trouvaient avec M. Paul Ancelle et qui, parait-il, ne sont jamais revenus. Ah! ce sont de sales histoires! Et c'est que tout le monde vous en veut, monsieur. Vot' valet d' chambre à qui vous deviez d' l'argent, paraît-il... Ça ne me regarde pas, d'ailleurs. C'est l'affaire de monsieur, tout ça, mais le valet d' chambre, il se paraît, vous a espionné. Il a su où vous demeuriez. Et puis la police va venir. Je ne comprends pas madame. On règle entre soi ses comptes, sans mettre ces gens-là dans ses mic-mac. Moi, d'apprendre qu'on allait vous arrêter, ça m'a fait du mal, car monsieur a toujours été très bon pour moi, même que c'est lui qui m'a défendu quand madame voulait me chasser, rapport que j'étais enceinte... moi j'suis pas une ingrate; j' me suis souvenue de tout ça, et dès que j'ai su qu'il se manigançait quêque chose contre lui, alors je suis venue. A présent, c'est l'affaire à monsieur de savoir ce qu'y doit décider. Mais le temps presse.

Toute ma fureur contre Juliette s'était réveillée aux paroles de la domestique, que, dans mon émotion, je ne pensais même pas à remercier.

Ah! elle veut me faire arrêter! Elle veut me faire arrêter! m'écriai-je, mais en souriant soudain à quelque idée abominable: Dites-moi, Florence, est-ce qu'elle a toujours chez elle sa petite nièce?

Toujours, monsieur, même que ç'en est scandaleux. Elle la laisse patiner, bichoter par des messieurs. Elle n'a pas honte que c'est la fille de sa sœur!

C'est excellent, ce que vous me dites là, Florence. Eh bien, vous allez voir, vous allez voir, qui de nous deux sera arrêté le premier! Qu'est-ce que monsieur va faire ? s'écria la femme de chamhre déjà effrayée.

Vous me le demandez? C'est bien simple. Je vais mettre la police dans ses histoires, comme elle la met dans les miennes. Je vais la dénoncer au parquet! Oui! la dénoncer... pour encouragement de mineures à la débauche ! Je ne la vois pas très propre, Madame Juliette Fournier, après quelques années de travaux forcés.

Mon Dieu ! monsieur ne va pas faire ça. Et Florence immobile, me considérait d'un œil épouvanté, ne s'attendant pas à découvrir chez moi un être aussi féroce.

Je me sentais déjà vaincu, attendri à la pensée que Juliette pouvait souffrir, par ma faute, que je pouvais être quelque chose de pire que son bourreau : son dénonciateur.

Non, Florence, fis-je les larmes aux yeux, j'étais fou en vous disant ces choses. Je suis incapable de lui faire du mal, mais elle, pourquoi ne me pardonne-t-elle pas ? pourquoi ne comprend-elle plus mon amour? Elle a donc tout oublié des beaux jours que nous avons vécus autrefois. Elle aime donc quelqu'un?

- Celle-là, aimer ! reprit Florence en haussant les épaules. Non, ça ne saura jamais ce que c'est ! Ça a des caprices. Après l'un, l'autre. Et puis l'argent, l'argent, voilà ce qu'elle désire surtout. Vous en savez quelque chose d'ailleurs. Est-ce qu'elle ne vous en a pas fait voir comme à M. Ancelle. Il n'en a pourtant pas assez celui-là.

Que voulez-vous dire Florence? demandai-je. Elle est encore avec cet Ancelle ?

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Comment, vous ne savez pas ! Quand elle vous a lâché, c'est lui qu'elle allait retrouver, à Marseille. Il arrivait de Madagascar. Ah ! dame, il était décati, le pauv' garçon.

La misérable! fis-je, sentant renaître toute ma colère. Elle m'a affirmé qu'elle ne l'aimait pas, et c'est à lui qu'elle retourne toujours. Dites-moi Florence, elle l'aime, elle l'aime ?

Oh ! ça a été bien dans les premiers jours, mais je vous assure que ça s'est vite ralenti, cette passion-là. A présent elle lui en montre de rudes! Elle le mène au doigt et à l'œil. Le malheureux en voit de telles qu'il a beau être la brebis du bon Dieu, il y a des jours où le sang lui monte à la tête. Ah! pour sûr, il arrivera des malheurs! Un soir, chez Maxim', un homme, un prince russe est venu quand l'autre était là, et il la pressait, et il la caressait, et elle, bien contente, riait tout son saoul, disant à son ami qui s'encolérait : « Finis donc, vilain jaloux ! » Ils se sont jeté des carafes à la tête. On a ramené monsieur en sang, évanoui... Faut lui rendre justice! Tant qu'il a été mal, elle l'a soigné comme une sœur de charité, mais à peine a-t-il été rétabli, les scènes ont recommencé. Il dit comme ça qu'il n'a jamais vu de femme comme elle. En plein café de Paris, monsieur, elle lui demande de l'argent, et pas deux sous, des cent et des mille, et des bijoux et tout; c'est qu'il lui en faut à présent, elle a des chapeaux, des chapeaux à en remplir une chambre. Et s'il fait mine de regimber, elle se lève de table; l'autre soir elle est partie toute seule. Elle se faisait mettre sa sortie par les garçons que l'autre était encore à l'attendre devant le souper qu'il venait de commander. Vous voyez la tête de ce malheureux au milieu d'une foule qui rit et s'amuse de voir un homme qu'on plaque au milieu d'un souper. J' vous dis, monsieur, que les condamnés aux travaux forcés sont moins à plaindre que cet homme ! Elle le traite comme un paria. Plus il la comble, plus elle lui en fait.

L'autre jour, il venait de lui donner une bague que moi j' trouve pas bien jolie, bien jolie, mais qui, paraît-il, vaut des prix fous. Y a des perles noires, des perles roses. C'est admirable, il se paraît. Elle était d'abord dans le désir de l'avoir, elle la montrait à tout le monde, puis, le jour même du cadeau, la voilà, au Concours, qui se met à se jeter à la tête d'un officier. Tout le monde l'a vue. Et comme le pauvre amant, bien humble, souffrant le martyre, mais sans trop oser le laisser voir, venait l'implorer : « Ah! fiche-moi la paix. Crois-tu que pour une bague je vais être à tes pieds! Tiens, la voilà ta bague. » Et elle la lança je ne sais où, oui, une bague qui valait tant d'argent! Après, par exemple, elle s'en est repentie, elle est allé la chercher, la demander, mais dame! personne ne l'a retrouvée. On ne lui a pas fait dire. De trois jours elle n'a pas couché à la maison. J'ai cru que monsieur allait se tuer. Ah! voyez-vous, c'est une méchante femme. Oui, elle en fait aux hommes comme aux femmes. Enfin, à moi, pourquoi qu'elle voulait me mettre à la porte, est-ce que ça la regarde que j'aime Pierre ou Paul. Tenez, que monsieur me permette de lui dire : Madame, c'est une sale bougresse!

Florence! m'écriai-je, je vous défends de parler ainsi. Taisezvous, je ne puis entendre dire du mal de ma Juliette. Non, elle n'est pas méchante. Je ne veux pas le croire. Et vous, Florence, vous serez bonne de lui dire combien je l'aime, combien je suis malheureux de m'être ainsi laissé aller à ma colère, comme je pleure le mal que je lui ai fait. Tencz, Florence, portez-lui ce que j'ai écrit. Peut-être aura-t-elle un peu de compassion.

Mon pauv' monsieur ! répliqua la domestique en me dévisageant d'un air de profonde pitié. Si j'avais été que monsieur, c'est pas des femmes comme ça qui m'auraient tourné la tête. Y en a tout de même assez qu'ont du cœur !

Elle sortait déjà; elle revint sur ses pas et s'approchant tout près de moi, elle me chuchota :

-Si vous la voyez, madame, n' lui répétez pas c' que j'ai dit d'elle. Faut pas faire tort au monde. Et puis ça m'a échappé !

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Ah! Florence, je ne la reverrai jamais.

C'est ça qui s'rait heureux pour vous !

Ne dites pas cela, Florence!

Moi. reprit la femme de chambre qui ne voulait pas partir sur de mauvaises paroles, moi, j'ai dans l'idée que tout ça s'arrangera, et qu' monsieur n' sera pas c' qu'il est aujourd'hui, quoiqu' tout d'mème, avouez-le, monsieur, c'est bien de vot' faute... J' vas toujours lui dire que ça n'a pas de bon sens de vouloir être mauvaise pour un hoinme qui l'aime tant !

Cette visite me laissa une grande joie. Je ne songeais d'abord point à la dénonciation de Juliette. Le léger espoir que m'avait donné Florence avait sufli à m'enchanter. Que Juliette fût si cruelle pour Ancelle, j'en éprouvais une mystérieuse jouissance. Ancelle était, sans doute, revenu riche de Madagascar, et c'est pour le dépouiller

qu'elle s'était précipitée vers lui. Que Juliette fût avide, fausse, abjecte, cela m'était égal, pourvu qu'elle n'aimât pas un autre homme. Puis ma tranquillité s'enfuit.

En amour nous créons presque seuls nos plaisirs et nos peines; et comme sans raison je m'étais mis à espérer, sans raison aussi je m'abandonnai à la crainte; j'en vins,dans ma solitude, à m'effrayer à l'extrême de ces menaces d'arrestation dont m'avait parlé Florence. Je me demandais pourquoi je n'avais pas songé à savoir de la femme de chambre l'adresse de Juliette. J'aurais voulu lui écrire, la voir, lui parler; elle m'aurait écouté, j'en étais persuadé tandis que, loin d'elle, je devais toujours être un ennemi détesté.

Dans ces temps-là le seul bien qui me fût resté, de toute ma fortune, bien jusque-là très inutile car je ne pouvais rien en retirer : une usine fermée depuis longtemps venait tout à coup de tenter un riche industriel. On me l'achetait à un prix, il est vrai, bien modique mais qui n'en était pas moins pour moi inespéré. Maintenant que ma vie de privations et de misères continues s'éclairait d'un pâle rayon, je redoutais tout ce qui pouvait l'inquiéter, et plus que dans les premiers temps de ma pauvreté.

En même temps que je reprenais goût à l'existence, ma passion devenait plus forte, plus impérieuse que précédemment ; je ne me résignais pas à l'idée de ne jamais la satisfaire; et avec le peu de confiance que je pouvais avoir dans l'avenir, j'étais continuellement inquiet ou exaspéré.

J'étais encore dans ces angoisses lorsqu'un samedi soir, avant dîner, -il faisait jour encore, je me souviens, c'était au mois de mai, —j'entends frapper à ma porte. Je me demande avec des battements de cœur précipités si je dois ouvrir. Est-ce qu'on viendrait m'arrêter? Non, il me semble entendre un bruit de jupe. Ce doit être Florence. J'ouvre vite, mais comme je suis saisi, comme je tremble de plaisir et aussi de cette peur qui vous abat aux moments suprêmes, quand je la vois, ma Juliette! Car elle est là, devant moi, habillée comme elle sait l'être, jolie plus que jamais. Elle ne fait pas un mouvement; elle n'entre pas. Elle a l'air d'hésiter, d'avoir peur aussi ! Est-ce qu'elle viendrait pour me dire des injures, pour être cruelle. Non, elle sourit ; elle ne craint pas que je la batte, elle ne m'en veut plus, elle me prend les mains; et maintenant simple dans sa bonté comme peut-être aussi elle l'a été dans ses ruses et ses méchancetés, elle me dit :

Votre lettre était gentille; alors je suis venue. Ah! vous avez bien mal agi... Oui, je sais, je l'avoue, j'avais des torts, mais ce n'était pas une raison pour que vous vous conduisiez de cette façon. Enfin, ne parlons plus de cela... Je vais partir, et je n'ai pas voulu m'en aller sans vous voir. Après avoir vécu ensemble comme nous l'avons fait, ce serait stupide d'être ainsi, à couteaux tirés..... -Oh! Juliette, vous n'allez pas partir?

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