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mais la lune baisait les brouillards endormis,

mais les chevreuils dormaient sur les clairières pâles, mais les enfants joyeux mordaient les seins des mères, mais des bouches de miel faisaient trembler les corps, mais tu te renversais ravie entre mes bras...

Ne pleure pas, amie. La vie est belle et grave.

Quand mon cœur sera mort d'aimer, je n'aurai plus de cœur, et alors je t'oublierai peut-être.

Mais non... Je suis un fou... Je ne t'oublierai pas. Nous n'aurons qu'un seul cœur, le tien, ô mon amie, et, lorsque je boirai aux sources des prairies,

et que je verserai de l'azur dans tes lèvres,

nous serons tellement confondus l'un dans l'autre,
que je ne saurai pas lequel des deux est toi.
Quand mon cœur sera...

Mais n'y pensons pas, ma chère
amie. Tes seins ont tremblé de froid à ton réveil
comme des nids d'oiseaux dans la rosée des roses.
Mon cœur éclatera, vois-tu, de tant t'aimer.
Il s'élance vers toi comme dans un jardin
s'élance vers l'air pur un lys abandonné.

Je ne puis plus penser. Je ne suis que des choses.
Je ne suis que tes yeux. Je ne suis que des roses.
Que regrettais-tu donc lorsque je t'ai quittée,
si je n'étais pas moi et si j'étais des roses?

IV

Quand mon cœur sera mort d'aimer : sur le penchant du coteau vert, mon âme veillera encore.

Sur le coteau où vous irez, ô doux enfants,

elle luira dans les haies mouillées pleines d'aube.

Elle flottera, pendant la nuit, dans la brume
qu'adoucit la grise humidité de la lune.
Elle aura la fraîcheur des roses qui s'allument
sur le grelottement mouillé des anciens murs.

Elle ira se poser auprès des niches sombres
où dorment les vieux chiens au seuil des métairies,
et elle ira sourire à ces petites tombes

où sont des innocents qui n'ont pas ou la vie.

Que ma torture alors se noie dans la douceur, et que ces jeunes gens qui viendront du village à l'endroit où l'on trouve des tulipes sauvages aient beaucoup de naïveté et de bonheur.

39

Pense à ces choses-là par cette journée triste.

Pleure, pleure et pleure encore, pleure sur mon épaule..... Tu es troublée, n'est-ce pas, de ce que je te quitte?

Tes baisers parfumés tremblent comme de l'aube.

Dis-moi, disons adieu à nos âmes chéries,
comme aux temps anciens où pour les grands voyages
des mouchoirs s'agitaient sur des faces flétries,
entre les peupliers des routes des villages.

Laisse. Abandonne-toi à ta douleur, et laisse
encore ton visage secoué par les larmes

se calmer doucement sur les chocs de mon cœur. Souris-moi comme quand on est dans la tristesse?...

FRANCIS JAMMES

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Il reste toujours à découvrir dans la douleur. Je croyais, après ce retour désolé de Naples, n'avoir plus rien à en connaître, et la vie m'instruisit encore. Heures cruelles où tout manque à la fois, où notre courage n'est soutenu, n'est réveillé que par la diversité des peines, où la faim, l'humiliation, les courses inutiles et harassantes nous empêchent seules de sentir l'autre mal, plus secret, mais tout aussi destructeur. Cette fois, comme naguère, mon énergie à vivre, me sauva, énergie absurde, puisque j'avais vu se dérober tout ce qui me rendait agréable l'existence et que chaque jour augmentait mes causes d'affliction.

En effet, après mille efforts, des journées mornes ou désespérées d'attente, de misère, lorsque j'arrivai à obtenir une petite place qui me permit de subsister, je retrouvai mon mal, comme le supplicié d'autrefois, réconforté après la question, retrouvait sa torture. Il me sembla que je n'avais travaillé que pour le nourrir, pour avoir le temps d'en bien éprouver les artifices.

Le regret amoureux de l'homme qui n'a point possédé sa maîtresse ressemble assez à l'envie du misérable qui n'a jamais eu d'or entre les mains ; il n'est pas comparable à la douleur de l'amant heureux naguère, qui a joui d'un bien et ne l'a plus. A chaque minute, il en sent la privation; les plaisirs passés lui rendent plus lourds le dénûment et la solitude. Ce lit vide du soir, où je retrouvais des souvenirs vains, des formes fugitives, devenait un chevalet d'affres, d'insomnies. Sans trève, mille fantômes rôdaient jusqu'à mes lèvres pour s'évanouir aussitôt ; le corps adoré, embelli et grandi par mon désir, se roulait sur moi, insaisissable et réel, effleurant mes yeux et mes narines, pesant lourdement sur mon sein, sur mes jambes, de sa chair railleuse et obsédante. Cette image qui s'acharnait après moi me devenait odieuse; j'employais toutes mes forces à la repousser, mais alors, par un jeu singulier de l'esprit, ma hainc finit par m'absorber autant que mon amour. Je cherchai Juliette pour lui faire mal, qui sait? peut-être pour la tuer.

Je cherchais Juliette, mais je ne la rencontrais point. Elle avait quitté la maison de la rue de Prony comme elle avait quitté son appartement du boulevard Pereire, sans avertir qui que ce fût, non seulement pour dérouter ses créanciers, mais parce qu'elle aimait

(1) Voir La revue blanche des 1 et 15 novembre, 1o et 15 décembre 1898, 1 janvier, 1 et 15 février, 1er et 15 mars, et 1o avril 1899.

à recommencer sans cesse une existence nouvelle et à anéantir son passé. Jamais, je crois, personne n'a plus vécu du présent, inconscient de la veille comme du lendemain.

Elle se cachait; les journaux dévoués aux gloires de la galanterie ne mentionnaient plus son nom; peut-être l'avait-elle changé ainsi qu'elle avait changé son amant. Ma pauvreté m'empêchait de la rechercher dans les théâtres, les cabarets, les fêtes où elle aimait se montrer; quant à demander de ses nouvelles à ceux de mes anciens amis qui pouvaient la rencontrer, il n'y fallait pas songer. Ils avaient tous rompu avec moi. Maurice Lefranc, lorsqu'il venait à Paris, affectait de me regarder avec mépris et de ne plus me reconnaître. Louis Deshayes me saluait de loin, sans jamais me parler. C'était moins le caractère de ma liaison que sa bassesse qui les avait choqués. Juliette aurait eu titre ou richesse, mes complaisances ne leur auraient plus importé; non sculement ils m'eussent gardé leur estime, mais encore davantage honoré. Ce qu'ils ne pardonnaient pas, c'est que l'amour seul eût inspiré mes dissipations et mon industrie.

Ma haine s'exaspérait de son éloignement, de ma solitude, des humiliations de ma vie, de cette possession et de ce servage charnels qui continuaient malgré moi. J'ai passé des heures d'horribles et accablantes jouissances à rêver à tout le mal que je pourrais lui infliger.

On m'avait dit qu'elle allait souvent diner chez une de ses amies qui habitait Neuilly. Je connaissais la rue. Pendant quinze jours, je m'y suis rendu tous les soirs à pied, passant des heures à me promener devant la maison où j'espérais la voir entrer. Une haine féroce m'exaltait et me rendait court le trajet; j'étais armé; je songeais que si je la voyais accompagnée, je tuerais les deux amants. Par bonheur pour nous, je ne l'aperçus point. De ces courses, je rentrais chez moi accablé, brisé de cette fatigue que donnent les passions inassouvies. Enfin, je l'aperçus bien assise au fond d'un de ces mylords, la voiture des luxes, des étalages et des orgueils féminins où la femme se montre appuyée langoureusement comme au fond d'une chambrette voluptueuse, se montre mais pour vite disparaître. Un jeune homme était près d'elle, dont je n'eus pas le temps de regarder le visage, tant l'attelage trottait vite, mais je vis bien qu'elle m'avait regardé et qu'elle me considérait en riant.

:

Oh! ce rire, ces yeux qui s'étaient posés sur mes vêtements râpés. sur mon visage attristé, cnlaidi de sa fuite, je crois que je n'en oublierai jamais la blessure.

Et je la revis encore, comme si, à présent que sa vue m'était exécrable, je devais à jamais en être poursuivi. Dans un théâtre, — c'était au Gymnase, où j'étais entré avec un billet de faveur, — je la vis au fond d'une baignoire, entourée d'une troupe joyeuse, décolletée, resplendissante, les yeux amusés, la bouche moqueuse, avec l'air de dévisager un pitre grotesque. Je ne pus résister, je me levai, dérangeai tout un rang pour sortir; je voulais me faire ouvrir sa bai

gnoire, lui parler, mais quand j'arrivai, elle venait de sortir; je l'attendis en vain; elle ne revint pas, et je me demandai si j'avais été le jouet d'une hallucination.

Une nuit, pour fuir mes obsessions, pour m'étourdir, pour m'apaiser, j'allai dans une de ces geòles amoureuses où à la faveur de lampes claires, de glaces, de fards, d'un léger duvet de poudre rose, des femmes entassées, actives d'œillades, de coups de langue, d'appels de doigts, ouvrant des sorties de bal luxueuses et vieillies sur de chaudes nudités, sur des croupes tendues, sur des gorges présentées, peuvent paraître tentantes à un désir exaspéré. Je choisis dans la brutalité des sourires, je ne voulais que me perdre un instant, oublier toute douleur contre des chairs neigeuses et sans âme. Mais, comme je sortais du salon, suivant l'un de ces corps consolateurs, je fus atterré, épouvanté, puis soulevé de colère et d'indignation! Toute étincelante, toute légère, avec un collier de perles qui luisait doucement entre les bords écartés de sa fourrure blanche et fine, Juliette montait l'escalier, revenant sans doute de quelque théâtre. Elle m'aperçut, parut à peine étonnée, et me prenant la main :

Chut! fit-elle à voix basse. Il vient derrière moi.

Je ne répondais rien, plus exaspéré encore de son calme que de sa présence. D'ailleurs, la femme qu'elle était alors, la femme qui accompagnait jusqu'en ses débauches un amant perverti, cette femmelà qui eût pu me répugner ou irriter ma jalousic, je ne la voyais même pas; je ne voyais en elle que l'autre femme, celle qui m'était apparue en voiture, au théâtre, et dont j'avais surpris le regard moqueur. C'était maintenant la maîtresse trompeuse, railleuse, impitoyable, celle qui m'avait abandonné, c'était la bourrelle, la donneuse d'affliction, la créatrice de misères. Elle ne devinait rien de ce qui se passait en moi; elle dit encore :

-Ah! il en a des passions, celui-là! Mais il arrive, je l'entends, laissez-moi!

Cependant, elle pâlit subitement, ma physionomie, sans doute, témoignait de la violence de mon émotion, elle fixa mes yeux avec une sorte d'angoisse. Je la poussai dans une chambre ouverte, je la poussai contre un lit, elle glissa, tomba à genoux. Alors je la frappai, je la frappai sans un mot, sans une injure, avec je ne sais quelle ardente et pourtant sereine férocité.

-Oh! fit-elle, ouvrant de grands yeux terrifiés, oh! qu'avez-vous? Laissez-moi! Ah! laissez-moi! Au secours! Grâce! Au secours!

Mais je la tenais par ses cheveux dénoués, en un clin d'œil, j'avais saccagé toute son élégance apprêtée; elle fut pitoyable et ridicule dans sa jupe déchirée, avec son collier de perles rompu, au milieu des lambeaux de sa riche toilette. Sous mes coups, elle poussait des cris perçants, des cris enfantins, affolée, prise d'une peur grandissante, comme si sa dernière heure était venue. Elle voulait se relever et elle n'y parvenait pas, et moi je la battais à coups de canne et à coups de pied, jouissant de sa douleur comme de la plus exquise

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