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et vint dîner ce soir-là, il y parvint; la voix paisible du poète rassura la mère pessimiste sur les dangers que courrait au loin son enfant prodigue.

Puis, le lendemain matin, Lucien s'en fut vendre-ingrat! — l'élégante et douce Liliane. Il avait de l'argent, il aimait Matilda, il était prêt.

XII

De Paris à Florence.

Mesdames Monti arrivèrent en fastueux équipage à la gare de l'Est chacune d'elles avait un cavalier servant, et Guido Monti pour majordome.

D'ailleurs, elles s'entendaient comme larrons en gare, excellant à occuper un wagon tout entier avec leurs sacs et des couvertures. Il arriva même qu'elles échangèrent quelques mots d'italien pendant cette manœuvre. Or, c'étaient les premiers qu'elles prononçaient devant Lucien. L'innovation ne lui plut pas. Quoi donc ! des précautions, un mystère?

Pensifs et troublés tant que le train courut dans la nuit à travers la banlieue, nos voyageurs commencèrent à chercher une position commode dès que les maisons noires et les fenêtres éclairées s'espacèrent peu à peu. Tof se mit à rêver, les autres à dormir. Et le rêveur s'endormit à son tour quand aucune clarté ne troubla plus la lumière de la lune sur les champs.

Lorsque revint le jour, un pays aux collines vertes leur apparut, où l'on a mis à paître des petites vaches entre des maisons de bois. Puis, on vit de l'eau fraîche, des canaux, Lucerne, et bientôt les Alpes effrayantes où l'on roule par monts et par vaux, à travers les grands pics poudrés à frimas et parés de cascades en mousseline de soie.

A Lugano, Tof conta qu'en son premier voyage, des mendiants lui avaient souri sans lui demander l'aumône; qu'un beau paysan avec de l'or aux oreilles, et qui conduisait des bœufs, avait arrêté ses bêtes afin de le laisser courtoisement passer; que des fiacres couraient au galop; que des chanteuses erraient le soir, et qu'on passait doucement la nuit au bord du lac précieux soigneusement couvert de brouillards jusqu'au matin pour que rien n'en pût souiller ni ternir la glace. Mais le train s'arrêta quelques instants, et repartit, impitoyable, en côtoyant l'eau lumineuse et palpitante à cette heure ct l'approchant si près que les roues brûlantes paraissaient devoir y toucher.

Pourtant Matilda était soucieuse, et par conséquent Lucien triste et inquiet. Elle semblait prendre plaisir à gàter l'émotion que toutes ces contrées nouvelles donnaient à celui-ci. Quand ils furent en Lom

bardic : « Voyez ! le feuillage naissant est comme en verre, en verre fragile », s'écriait tendrement l'oncle Guido. Puis il montrait les ruisseaux dirigés entre les herbes, et les guirlandes aériennes qui s'enroulaient partout. Et ce fut l'instant que Matilda choisit pour dire tout bas à Lucien : « Comment jugez-vous, mon cher, un écervelé qui accompagne une amie en voyage sans songer qu'il la compromet, sans lui en demander même la permission? >>

Elle était donc froissée comme une pimbèche? Ou bien, elle avait des remords... Hélas, que penser de la tendresse et de la voix des femmes autant en emporte le vent.

L'arrivée à Milan, où l'on devait passer la nuit, fut encore une déception. Sur la foi de Stendhal, cette ville était, pour Lucien, un séjour habité par la société la plus bonhomme et la plus occupée de frivolités qu'il y eût au monde ; il ne pensait pas y rencontrer autre chose que des jeunes gens en tilbury, courant pour les affaires de leurs maîtresses entre le dôme, le corso et des palais. Le grand bruit des faquins et des cochers le surprit comme une inconvenance, et quand il s'en ouvrit à Matilda, celle-ci le choqua par un air de décence et de respect humain qu'il ne lui connaissait pas.

Le voyage l'avait peut-être lassée, agacée. Lucien n'insista point, regarda le pavé de la ville qui jadis émerveillait tellement Stendhal ; il reconnut des rues larges, des palais roses, gris, jaunes, de l'animation, et des calèches qui dataient aussi du temps de M. de Stendhal.

On s'en fut à l'hôtel, puis au Dôme qui dresse éperdument son immense dos d'âne, puis à la promenade de Milan où l'on voit d'assez méchantes toilettes. Enfin, le soir tombant, ils marchaient tous quatre, madame Monti et Tof, Matilda et Lucien, le long d'un canal dormant contre les pierres décrépics de quelques terrasses. En quelque lieu que le soir tombe, tout s'attendrit et la douceur des choses apparaît mieux. Le page sentit que l'air tiède se glissait jusque dans son cœur comme une caresse à demi-chaste, qui en veut d'autres. Il s'arrêta, ne bougea plus, s'écouta vivre. Matilda eut froid. Peste soit de la sotte!

Le lendemain, on se remit en route vers midi. En vain Lucien, levé dès l'aube, s'était allé perdre sur le toit de la cathédrale, puis devant l'auguste Cène du Vinci, œuvre divine qui agonise. Un chagrin confus et délicat l'opprimait. Il sentait qu'il aurait dû laisser un regret au cœur de Matilda, mais qu'en la suivant il avait tout gâté. Elle ne lui pardonnerait peut-être pas son imprudence, et d'ailleurs elle était changée, hostile, craignant davantage, certes, l'opinion de ses compatriotes que celle des parisiens. On peut à Paris aimer gaiment son page, qui devient, la frontière franchie, monsieur Lorédan, un étranger.

Le train toucha Florence au crépuscule. Le retour de madame Monti, de Guido, de Matilda, devait être un événement considérable dans la ville, car il y avait un bataillon d'amis intimes à la gare. Tof les connaissait presque tous et toutes, et l'on s'embrassa, on se serra

les mains, on s'interrogea fébrilement, en anglais, en français, en toscan. Cela fit tumulte, on oublia Lucien. Il se trouva tout seul, et triste comme un moineau dans une volière d'oiseaux des îles.

Il entendit seulement qu'un très joli officier en manteau gris perle complimentait Matilda : « Je voudrais, mademoiselle, que tous mes camarades me vissent en ce moment, car le plaisir de vous saluer devient un nouvel honneur pour l'uniforme que je porte. » Et cela fut dit en français, par galanteric, avec une vanité si gracieuse, si pimpante et si douce que jamais Lucien n'en avait remarquée de telle dans les Gaules.

(A suivre.)

MARCEL BOULENGER

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II

QUAND MON CŒUR SERA MORT D'AIMER...

I

Quand mon cœur sera mort d'aimer : sur le penchant
du coteau où les renards font leurs terriers,

à l'endroit où l'on trouve des tulipes sauvages,
que deux jeunes gens aillent par quelque jour d'été.
Qu'ils se reposent au pied du chêne, là où les vents,
toute l'année, font se pencher les herbes fines.
Quand mon cœur sera mort d'aimer : ô jeune fille
qui suivra ce jeune homme, essoufflée et charmante,
pense à mon âme qui, en proie aux noires luttes,
cherchait sur ce coteau râclé par les grands vents
une âme d'eau d'azur qui ne la blessât plus.
Dis-toi, ô jeune fille, dis-toi : Il était fou,
pareil aux amoureux bergers de Cervantès

paissant leurs chevreaux blancs sur la paix des pelouses.....
Ils délaissaient les vieilles bourgades enfumées
où Quittéria, peut-être, avait meurtri leurs cœurs.
Dis-toi : Il fut pareil à ces malheureux pâtres
qui essayaient, en vain, couchés aux belles fleurs,
de chanter leurs chagrins en soufflant dans des outres.

II

Quand mon cœur sera mort d'aimer, enviez-le.

Il passa comme un saut de truite au torrent bleu.
Il passa comme le filement d'une étoile.

Il passa comme le parfum du chèvrefeuille.

Quand mon cœur sera mort, n'allez pas le chercher...

Je vous en prie : laissez-le bien dormir tranquille sous l'yeuse où, au matin, le rouge-gorge crie des cantiques sans fin à la Vierge Marie.

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Quand mon cœur sera mort... Mais non... Viens le chercher... Viens le chercher avec ta grâce parfumée.

Je ne veux pas qu'il se refuse à ton baiser.
Prends-le, emporte-le avec cet air farouche
que tu avais parfois lorsque tu me serrais
sur ta gorge... Ne pleure pas, & mon amie.

Ne pleure pas, amie. La vie est belle et grave.
J'ai souffert et t'ai fait souffrir plus d'une fois...
Mais les agneaux paissaient l'aurore des collines,

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