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Le donner? non pas je vous le vends, très cher, contre une petite orchidée que vous allez cueillir là, près de vous, dans cette corbeille. Mais pas si vite, et sachez que je prête une grande valeur à cette fleurette déchiquetée: elle signifiera que vous n'aimerez nul autre que moi tant que vous resterez à Paris... Ne me la refusez pas. A quoi bon, puisque je vais m'en aller? Il vous faudrait me la rendre aussitôt que donnéc.

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La jeune fille chercha de bonne foi quel motif elle pourrait bien trouver afin de ne pas recevoir en particulier, demain, ce jeune homme qui l'en priait si vivement. Quoi! sa démarche était-elle déshonnête? il venait prendre congé. S'en trouverait-elle compromise? nul n'en saurait rien. En voulait-il à sa dot, après tout? jamais il n'avait seulement parlé de mariage. Non, il lui demanderait peut-être une caresse moins furtive... Voilà tout.

Matilda se leva, prit le bras de son page, commença de descendre l'escalier. Comme la soirée s'était avancée, les jolies femmes s'étendaient plus mollement dans leurs fauteuils, tout le long des marches, et leurs amoureux effrontés s'étaient accroupis à leurs pieds. On n'entendait que madrigaux par ci, serments par là, chuchotements... L'obèse Bob Milton faisait de son mieux auprès de sa voisine : « — Qui, mademoiselle, on dira plus tard devant votre portrait : quelle idée eut donc le peintre en donnant à cette jeune femme des yeux aussi grands? » Un peu plus loin, Albert Saint-Vaille, ayant effleuré de sa main le bras d'une amie, se gantait et jurait de ne plus rien toucher avec cette main-là. Tof, assis entre madame Monti et madame Zetchkine, assurait à celle-ci qu'elle serait décorée au printemps par le gouvernement de la République pour avoir orné Paris pendant une saison. Plus loin encore, Jean-Paul Ailly, affolé par du champagne, complimentait l'une des petites Ennison sur sa bonne mine, et Maurice de Salisbot lui-même confiait ses peines à madame Hardley.

Matilda pensa que l'amour, comme l'occasion, doit s'attraper au vol, que toutes ces femmes ne se gènaient guère et que pourtant leurs attentifs étaient moins épris que son page; et puis qu'elle partait irrévocablement pour Florence... En wagon, il serait temps de réfléchir.

Aussi lui dit-elle tout bas : « A cinq heures. »

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On compose des cérémoniaux, des manuels de civilité, on fixe des protocoles, mais personne ne s'occupe de la toilette des jeunes filles. Il y a pourtant des cas très difficiles: comment s'habiller. par

exemple, pour recevoir un jeune homme en tête à tête? Vous n'y aviez pas songé? Parce que, dites-vous, cela ne se fait pas, ou qu'une telle visite est du moins fort inconvenante. On ne traite pas, dans un livre sur les bonnes manières, des circonstances où toute manière devient un raffinement d'hypocrisie ou de perversion.

C'est cependant à la limite des choses permises et défendues que les femmes hésitent; il faudrait alors ne leur ménager les exemples ni les conseils, afin qu'elles ne perdissent rien de leur grâce. Et qu'on ne croie pas ainsi devenir un complice, mais au contraire l'ami de la dernière heure, celui qui arrive tout espoir perdu, pour sauver encore quelque chose à quoi l'on ne pensait pas.

Faute d'un tel ami, Matilda réfléchissait, bien perplexe, dans sa chambre. Le sort en était jeté : elle avait dit à madame Monti que la migraine l'empêcherait de sortir cette après-midi. Lucien allait venir, et Matilda ne savait pas si décidément elle mettrait son peignoir blanc à dentelles, ou bien une robe quelconque du matin très simple, ou bien une autre qui prouverait qu'elle attendait cérémonieusement pour prendre le thé.

Elle aurait dû s'interroger aussi sur les remords. Car enfin, malgré la fidélité de Lucien, sa vive, volontaire parole et la sincérité de ses yeux, elle le connaissait à peine et certes ne sentait pas en le voyant la bonne confiance d'une promise pour son fiancé. Mais il avait la séduction d'un pantin qu'une florentine pourra toujours trouver tout fait au Paradis des grands enfants, c'est-à-dire à Paris. Elle l'eût volontiers envoyé par delà les Alpes dans un carton bleu noué d'une faveur rose, pour l'anniversaire d'Agnese ou la fête de Mabel Giannone. Ou plutôt, non! — après tout, c'était son page, et elle l'aimait, pourquoi donc pas?

Entrer dans un salon où il se trouvait lui donnait un léger frisson... Matilda regarda l'atrium du Grand-Hôtel à travers les rideaux de sa fenêtre cinq cents personnes, ayant bien déjeuné, y bavardaient en des idiomes variés, tandis que des essaims de figurants sortaient à chaque instant par maintes portes. Le jet d'eau s'essoufflait d'une façon comique. Et la jeune fille songea qu'il ne manquait à ce tableau qu'une lumière plus gaie pour qu'il devint le décor d'une fête. D'ailleurs, des lunes éblouissantes et des fleurs de feu seraient allumées partout vers la fin du jour, et les boutiques de cette cour sillonnée en tous sens par les uns et les autres allaient étinceler. Vraiment, on vivait là deux minutes pour une : le plaisant lieu, et que Lucien y aurait bonne grâce, tout à l'heure!

Il allait sans doute se hâter, comme il faisait toujours, et traverser la cour de son pas alerte en marmottant quelque chose entre ses dents. Car il avait cette manie, le page, et c'était une manie d'homme nerveux, passionné, qui chérit sincèrement ses projets et ses pensées... Matilda se souvint alors d'une maxime que répétait toujours ce poseur de Jenkins : « Quand une femme devient amoureuse de moi, elle commence à trouver très élégant que je sois comte du Pape..... »

Allons, à quoi bon disputer? Matilda se couvrira de dentelles et recevra Lucien comme un amant.

Ah, grand Dieu! si elles la voyaient en ce moment, ses amies de làbas, Mabel et Agnese, et tant d'autres? Que penseraient-elles d'un sigisbée si peu important, et comment pardonner à Matilda qui refusa des mariages sonores et nobles de s'être venue jeter entre les bras d'un demi-jockey? Non, pas de sottise, Matilda s'habillera convenablement tout entière. Peut-être, d'ailleurs, Lucien est-il sorti de chez lui en triomphateur et avec insolence: il faut mettre une robe déconcertante, en velours.

Encore que son page ne l'ait point habituée à de telles façons, car s'il savait désirer ardemment, du moins n'avait-il nulle grossièreté dans ses paroles, même pas au fond de ses yeux bleus. Le regard qu'il promenait sur les choses et les êtres brillait, n'insistait point, et son éclat ne se voilait guère. Et puis fallait-il donc agir en hypocrite pour la dernière fois peut-être qu'elle le voyait, dans cette chambre dont les coins se noyaient déjà dans la pénombre? Le ciel s'obscurcissait comme s'il tombait de la brume ou de la pluie, et ils se diraient là, tous deux, blottis l'un près de l'autre, de mélancoliques mots d'adieu. Bah, tant pis! Mais que Lucien n'aille pas s'imaginer au moins qu'elle avait prémédité de se donner à lui, comme une esclave, comme une courtisane...

Bref, elle se résolut à une tenue intermédiaire. La jupe fut d'un drap ténu qui s'appuyait aux jambes et les entourait à demi. Sur ses bras ronds, sur son épaule de satin, elle posa la plus mince chemisette que trois perles tinrent close entre les seins. Ayant la migraine, souvenons-nous-en, elle n'avait point mis l'étroit étui qu'elle nommait son corset. Il fallait encore une veste, qui fut de même étoffe que la jupe. Que fût-il advenu des scrupules de la jeune fille si, ouvrant cette veste, elle s'était aperçue que la batiste de la chemisette était trop fine? Mais, tout bien fermé, rien de plus décent.

Cependant, on frappe à la porte. La servante apporte une carte, sa carte. Matilda fait ranger à la hâte quelques rubans qui sont restés là, une boîte, un mouchoir. Elle voudrait que l'on enfermât aussi dans les tiroirs les parfums délicats qui flottent dans l'air et conteront sur elle au visiteur plus d'un secret. Le silence de l'hôtel, aussi, l'ennuie tout le monde en est donc sorti? Il est vrai, le milieu de l'après-midi approche... On ne rentrera que dans deux heures au moins...

«- Vous ferez monter du thé, deux tasses... Avec de la crème battue, n'est-ce pas... Allez. Vous pouvez faire entrer....... »

Lucien ne se présenta ni en glorieux, ni en collégien, mais il la prit tout de suite dans ses bras, sans prononcer une parole, et l'embrassa comme un homme qui sait le prix du temps et le prix des caresses, comme un pauvre garçon qui va peut-être pleurer demain et prend d'un coup autant d'amour à son amie qu'elle lui en peut donner.

Et s'il ne connut point ce jour-là tout le bonheur possible, c'est qu'il y a certaines voluptés qui deviennent odieuses lorsqu'on les goûte avec précipitation, et certaines audaces que l'on n'ose pas lorsqu'un incident ridicule peut arriver.

XI

Partez avec nous.

L'oncle Guido était un homme joyeux, à moustache ébouriffée de père Noël, à la parole intarissable. Il gesticulait comme un mime, avec une telle envie de plaire à ses interlocuteurs que ceux-ci, entraînés par son exemple, devenaient bientôt aimables et persuasifs à leur tour. Affiné par l'amour des femmes et de son adorable pays, l'oncle Guido avait de l'esprit.

Dès qu'il lui eut été présenté, Lucien, sur le conseil de Tof, lui fit cent politesses, dont la moins discrète, mais la plus goûtée certes, fut d'affirmer que hors l'Italie, point de salut!

«< << - La noble parole! s'écria l'oncle enthousiasmé. Vous comprenez, monsieur, j'en suis sûr, que tout homme bien né ait deux maîtresses : la sienne, d'abord; puis, ma patrie ». Et il discourut longtemps, avec une joie puérile, des affaires ultramontaines, du pape, des nobles, de Florence, et des soldats à plumes qu'il ne pouvait voir passer sans pleurer en songeant qu'ils protégeaient tant de beauté. Il semblait ne connaître là-bas, que des princesses et des fées, et contait des histoires d'amour où figuraient maints cardinaux. Et ceci avait eu lieu sur un lac, cette autre chose en gondole, dans un palais, sous les arcades légères d'un campo santo, près d'un temple ruiné....... << - Mais pourquoi rester ici, monsieur Lorédan? Je conviens que les paysages français ont de la douceur : il y a des marronniers, arbres sensibles et délicats qui se mettent en boule comme des moineaux dès que le vent souffle. Oui, mais il pleut souvent, tandis que notre Toscane luit au soleil! La Lombardie scintille sous un réseau de ruisselets. Vous ne soupçonnez point cela ».

«<

L'éloquence l'entraînait. Il devint plus patriote encore que naguère, trouvant merveilleux, maintenant, que Lucien ignorât encore l'Italie : une faveur des dieux!

Car ne la connaître qu'un peu tard, c'est véritablement se fiancer avec elle, voyez-vous... »

Puis, il prit Lucien par les épaules : « Je vous le dis, quand vous en reviendrez, vous vous croirez en exil... Mais n'allez point le dimanche à Gênes : les cloches y sonnent à l'électricité, et comme pour éloigner les gens des églises où l'on aurait parqué des lépreux... Tenez, savez-vous ce qu'il faut faire : partez avec nous ! »

Lucien écoutait joyeusement l'oncle Guido. Pourtant ce n'étaient ni des lacs luisants, ni des montagnes sonores, ni des palais baignés par la mer où navigua Ulysse, ni même des villes dorées à campaniles

roses qu'évoquait le page · mais le souvenir d'une chair veloutée... Après une longue journée, il sentait encore cette douceur contre ses lèvres. Or, il vit tout à coup se préciser son rêve : suivre Matilda, découvrir chaque jour en elle un parfum plus exquis, une grâce nouvelle. Aussi bien, il y avait entre cux une chaîne de caresses, du moins le croyait-il. Nous nous persuadons qu'on nous aime toujours du moment qu'on nous a donné des baisers. Lucien espérait depuis la veille que son amie ne lui serait pas enlevée, et ne songeait déjà qu'à ne plus la quitter quand l'oncle Guido s'écria : « Partez avec nous ! »

Mais Lucien n'avait pas d'argent : il courut chez son vieux cousin Damet du Val. Pourquoi ce cher maniaque refuserait-il de prêter la somme nécessaire à voyager en un pays où l'on peut voir d'admirables émaux? Jamais encore Lucien n'avait eu recours à lui, et, en ne le contrariant pas... Il prétendait en effet que l'abbaye de Fécamp, sa ville natale, fut le berceau des arts, et qu'en aucun temps, mordieu ! les Français n'avaient subi d'influences étrangères. Chacun sait que les érudits de tous les pays affirment que leur propre patrie ne dut rien aux voisins, ce dont ils découvrent à chaque instant la preuve avec une élégante virtuosité.

<< - Mon bon cousin, dit Lucien dès qu'il fut entré, je sais quelle est la plus belle orfèvrerie : c'est la Sainte Foy de Conques, une idole d'or barbare aux yeux d'émail blanc et bleu qui, dès l'entrée, vous attirent et vous scrutent une œuvre française! Mais vous parlez bien souvent aussi de Saint-Ambroise, à Milan, et de la Pala d'Oro, à Venise. J'ai la nostalgie de ces lointaines Lusiades.

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- Un beau livre que les Lusiades! répondit Damet du Val. On y voit le radieux palais du Samorin et ses portes fameuses sur l'une d'elles, toute une armée mourant de soif est sculptée, qui dessèche un fleuve en s'y désaltérant, tandis que son chef, jeune et voluptueuse reine, s'appuie contre un coursier splendide qu'elle aime impudiquement...

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Bref le bonhomme finit par donner de beaux billets à son petit cousin, en jurant, pour la forme, qu'il les lui retiendrait sur son testament. Lucien, tout ému, entendit en souriant le vicillard l'exhorter longuement et disserter encore jusque dans l'escalier : « Au revoir... En somme n'emporte qu'un de Brosses, un Burckhardt et un Stendhal ces trois livres suffisent pour méditer, apprendre et s'émouvoir dans une première course en Italie... Allons, bon voyage, et regarde bien les figurines sur les cous, les épaules, les genoux, les mains, il y a des tons que seul l'émail nous révèle précisément. Bon voyage, petit. >>

Il n'y avait plus alors que madame Lorédan à consoler : Lucien fit de son mieux. A l'aide du gros Tof, qui devait être aussi du cortège

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