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pourrait que cet acte demeurât comme tel, et le mot n'est pas trop gros, appliqué à un auteur qui s'est petit à petit imposé comme un maître du rire, d'un rire qui n'appartient qu'à lui. Sa dernière pièce marque plus qu'un progrès, c'est un résultat. Non qu'elle soit spécifiquement différente de ses aînées – aìnées presque jumelles, M. Tristan Bernard est si fécond; mais elle est plus complète, plus sortic: on y découvre toutes ses qualités, tous ses dons, en plein épanouissement, cette jovialité sagace, cette fantaisie dès l'observation, qui teinte de haute cocasserie les notations les plus simples, cette persistance, je dirais cette obstination dans le comique, lequel s'étale on dirait nonchalamment, ingénûment. Si folle que soit l'aventure, elle demeure imperturbablement logique, possible. La gaîté ne nait et ne dure que grâce aux situations minutieusement retournées sous toutes les faces on en sent l'auteur toujours maître, jaloux de la doser à sa guise. Jamais M. Tristan Bernard ne laisse le rire s'égarer au petit bonheur: gageons qu'il serait mortifié d'entendre de la coulisse se produire un effet qu'il n'aurait pas prévu. A peine on trouve à reprendre un ou deux détails outrés un tant soit peu, que le mouvement emporte et qu'on ne se résout pas à regretter, tant ils sont fertiles en joie : on se contente de les déplorer pour le principe. Mais c'est l'exception, et M. Tristan Bernard n'a que faire de recourir au burlesque vulgaire, puisque sa seule finesse suffit à mettre les foules en liesse et qu'il réalise ce prodige de faire sourire aux éclats. Dans le théâtre de M. Tristan Bernard. L'Anglais tel qu'on le parle occupe une place importante et j'ajoute de choix. Volontiers, bien qu'en dépit des apparences, je la rapprocherais des pièces les plus significatives non seulement du talent de l'auteur, mais de sa personnalité, telles que les Pieds nickelés, En cambriolant, ou même le Fardeau de la Liberté, si peu semblable qu'en soit le ton, si supérieures la forme et la portée. Ces œuvres sont étroitement parentes on note dès l'abord une ressemblance frappante, un véritable air de famille, qui ne saurait tromper, entre Alain Lambert, Chambolain, l'interprète Eugène et l'inénarrable cambrioleur une même insouciance au jour le jour les caractérise, une pareille absence de préjugés, un sang-froid égal, une bonhomie identique. Ils sont pour le moins cousins-germains, tous ces déclassés, et ils représentent tout autre chose que d'occasionnels pantins. Pour déclarer superficiel un tel rapprochement, il faudrait être bien peu familier avec l'œuvre de M. Tristan Bernard, qui, s'il met dans ses comédies toute sa verve, y met aussi tout son esprit et tout son cœur. L'Anglais tel qu'on le parle est sous-titré « vaudeville ». Coquetterie fort naturelle chez M. Tristan Bernard, à la veille de nous donner un livre de vibrante et profonde humanité : Mémoires d'un jeune homme rangé. Ce vaudeville est joué à merveille par M. Modot, à miracle par M. Tréville, en toute grace par Mlle Bignon. convenablement par MM. Barbier, Moriès, Lefort et Mlle Rozier.

La soirée de la Comédie-Parisienne débute par une saynète de

M. Maurice Vaucaire. la Petite Famille, qui n'est point dépourvuc d'agrément, mais dont la fable un peu mince gagnerait à être soutenue par un dialogue plus relevé. Mme Juliette Darcourt y amuse.

La première de M. François de Curel: un événement de la saison dramatique. La première de la Nouvelle Idole aura été un événement dans l'histoire du théâtre contemporain. Evénement, en effet, et plus remarquable peut-être que la pièce elle-même, cet accueil trépignant fait par la salle entière à une œuvre de pure idéologie. On en pourra discuter la valeur ; l'effet n'est pas niable, il se répète au reste chaque soir, hautement caractéristique d'une évolution accomplie. Déjà le Repas du Lion avait suscité un semblable enthousiasme. Mais dans le drame de l'an dernier une part plus prépondérante était réservée à l'aventure, au romanesque: les idées qu'y dramatisait l'auteur, étaient, malgré leur élévation, davantage familières, elles appartenaient au domaine social, c'est-à-dire presque courant. Cette fois, le conflit s'atteste rigoureusement théorique, qui met aux prises la raison et l'instinct, qui oppose a la science, la foi. Eh bien, le triomphe n'a pas été moindre et il promet de se poursuivre aussi longtemps. Je pense néanmoins qu'il serait chimérique d'en chercher la raison dans les goûts abstraits de la foule. Plus vraisemblablement cette raison n'est point autre que dramatique.

M. François de Curel, s'il n'est pas un grand penseur, est à coup sur notre grand dramaturge, notre grand tragique moderne. Les cas par lui transportés à la scène semblent bien les plus hautement poignants qui se puissent imaginer. Où trouvera-t-on sujets plus grandioses que ceux de la Figurante, des Fossiles, du Repas du Lion? Mais cela ne serait rien encore, si M. de Curel ne se montrait, dans chacun de ses drames, de taille à les exécuter dans leur ampleur. Loin de les étriquer, comme neuf fois sur dix risquerait de le faire tel autre, on dix fois sur dix M. Bricas, lequel ramène de fort nobles données aux proportions de l'anecdote, M. de Curel les magnifie, les surélève d'un degré au-dessus de la vie.

Au lieu de réduire en épisodes, en matière dramatique, les idées qu'il veut mettre en présence. il joue la difficulté, ne craignant pas d'installer sur la scène une simple discussion, qui constitue le point culminant de son drame. Avec quel art. M. de Curel sait rendre palpitant ce colloque ! On se souvient de la grande scène du Repas du Lion où Boussard et Jean de Sancy défendaient tour à tour leurs idées, j'allais dire leurs croyances. Dans la Nouvelle Idole. Je moyen employé est le même, aussi primitif. L'auteur procède encore par périodes, par tirades, par allégories, ou mieux par paraboles : ces périodes, ces firades révèlent parfois un lyrisme défraichi, ces allégories, une littérature contestable: mais --- ici reparaît 1 homme de théâtre ---- leur éloquence est irrésistible et c'est cette éloquence que l'on applandit.

Cette fois la discussion est plus angoissaute encore, an milieu

de laquelle surgit sinistrement le drame même, du savant Albert Donnat soudain pris de scrupules et de doutes vulgaires devant l'erreur qui le rend criminel et le suprême attentat qui fait de lui un héros, discussion vraiment sublime, où le contradicteur peu à peu s'efface pour faire place au martyr. L'effet dramatique en est prodigieux.

Sublime, la discussion ne l'est que quant à l'expression théâtrale Sur le fond même et sur l'esprit qui l'anime, des réserves s'imposent. Toutefois, il faut se garder d'une confusion néfaste autant qu'injuste. Nous n'avons à juger que l'œuvre d'art. La scène du second acte, direz-vous, est profondément choquante, pour ne pas dire inadmissi ble entre deux savants tels que nous sont présentés Albert Donnat et son disciple Maurice. Celui-ci a la part trop belle et comment ne pas s'indigner que le maître fasse si piteuse figure dans un tel débat? Mais précisément ce qui fait le point faible du débat accentue la force et la beauté de la scène. Dans le dialogue où Donnat si tragiquement se renie, il est d'autant plus émouvant qu'il demeure au-dessous de sa tâche, que sa raison chavire, que sa totale misère apparaît.

J'avoue qu'il est difficile, durant d'aussi graves, d'aussi capitales controverses, de ne pas prendre parti. L'auteur prend parti lui-même, bien qu'il ne le fasse pas très ouvertement, mais c'est en sentimental plutôt qu'en idéologue, ce n'est pas tant sa thèse qu'il soutient, c'est son héros qu'il défend. Ce héros, libre à nous de ne pas le suivre et nous userons de cette liberté. De toutes nos forces nous réprouverons les tendances rétrogrades où il sombre, nous condamnerons les déclarations vides et pernicieuses où il s'embourbe et nous conspuerons au besoin l'esprit haïssable qui les lui dicte. Mais il nous faudra prendre garde que ces hésitations, ces doutes, ces hérésies d'un haut esprit à la dérive sont le sujet même : nous n'avons nul droit de le contester. L'effort d'art seul importe. Il est magistral.

Certes la Nouvelle Idole soulève, outre ces querelles de principe, bien des objections secondaires, en l'espèce plus légitimes. On y relève des invraisemblances grossières, des contradictions évidentes, une écriture médiocre en son affectation de style noble, un abus irritant de vulgarisation hâtive. Mais que pèsent ces défaillances, en rcgard de l'intensité d'émotion qui se dégage du drame? Il date d'hier et déjà l'on dirait que ses tares ont déposé et que sa rare puissance lui donne un recul suffisant pour qu'on le puisse juger de loin et de haut, comme d'une génération prochaine.

Albert Donnat a valu à M. Antoine un de ses plus magnifiques, un de ses plus justes triomphes. Jamais encore il n'avait en l'occasion de se montrer à la fois comédien plus habile et plus sincère artiste que dans ce rôle, admirable mais verbeux, qu'à force de sobriété il est arrivé à vivre. M. Gémier prête l'autorité nécessaire à Maurice Cormier, psychologue subtil et obscrvateur peu perspicace. M. Arquillière anime du mieux qu'il peut un épisode encombrant. Bien ingrat est le personnage de Louise, la femme de Donnat: le jeu de Mlle

Devoyod ne corrige point cette ingratitude. Mlle Bellanger est charmante dans Antoinette.

Le spectacle est toujours copieux au Théâtre-Antoine. Après les trois actes sévères de M. François de Curel, nous avons eu trois actes pimpants de M. Pierre Veber.

Ce qui distingue M. Pierre Veber de ses collègues en humour, ce n'est pas tant le don d'invention burlesque, de satire placide ou d'ironie concentréc; c'est plutôt le génie de la déformation. Il excelle à travestir l'événement, à parodier le réel. « Déformateur du Réel »>, telle était, on s'en souvient, la délicate et spéciale fonction que M. Pierre Veber occupait à l'inoubliable Chasseur de Chevelures, aux côtés de M. Tristan Bernard « Informateur du Possible ». Depuis ce temps, presque éloigné déjà, M. Pierre Veber n'a rien perdu de ses qualités de fantaisiste. Bien au contraire, elles se sont affirmées et affinées, comme on a pu en juger l'an dernier en écoutant Julien n'est pas un ingrat au Théâtre-Antoine, ou Paroles en l'air aux éphémères Funambules. La même fantaisie se retrouve, plus vivace encore, dans sa nouvelle comédie, Que Suzanne n'en sache rien. Le sujet est peut-être un peu mince, mais de cela on ne s'avise guère qu'à la réflexion, tellement l'auteur sait tirer parti de ses moindres trouvailles et entortiller de sorte imprévue les cheveux qu'il coupe en quatre. Et sa malice est si pirouettante, si intarissable qu'on s'esclaffe toujour de bon cœur.

Dans ce franc succès de gaîté l'interprétation est bien pour quelque chose. M. Dumény est remarquable de naturel et d'entrain continu. M. Gémier silhouette en âpre bouffonnerie Jules Flingault, déchard épique. Quoique moins mesuré dans la charge, M. Desfontaines est fort divertissant. Il convient encore de mentionner M. Arquillière, Mmes Barny, Derville, Barsange et spécialement Mlle Bellanger, si comique avec tant de grâce.

ALFRED ATHYS

Samedi, 8 avril, à quatre heures, aux Matinées-Depas, M. Marcel Schwob parlera de Charles Dickens et de l'influence de son œuvre sur le roman russe contemporain. · Des lectures de Dickens seront faites au cours de la confé

rence.

Les Livres

LES ROMANS

RENÉ BOYLESVE: Mademoiselle Cloque (Éditions de La revue blanche).

Mademoiselle Athénaïs Cloque, à dix-huit ans, s'en vint à Paris, courut droit rue d'Enfer, et, dans sa petite maison dont elle sut forcer courageusement la porte, elle vit le vicomte René-Marie de Chateaubriand. Démarche étrange et passionnée, qui parfuma sa vie d'un souvenir d'aventure et d'amour et qui nous l'explique encore toute entière ! « La Nature elle-même, lui avait dit le vicomte, va sans cesse en s'amoindrissant... Mais qui sait s'il ne naîtra pas, de ces tristes conditions de la vie nouvelle, une sorte d'héroïsme que l'on a ignorée jusqu'ici. » Mademoiselle Athénaïs Cloque devait sen'ir et réaliser cet héroïsme nouveau des vies médiocres. Et, pour en supporter le fardeau, qui lui fut lourd et amer, elle s'aida toujours du grand souvenir aventureux de sa jeunesse. L'héroïsme qu'elle rèvait alors était sans doute plus libre, et plus glorieux. Mais la sagesse et le temps avaient chassé toute vanité de cette âme, qui sut être grande obscurément.

Mademoiselle Cloque vécut à Tours, dans une étroite maison de la rue de la Bourde, dont son propriétaire, Loupaing, entrepreneur de plomberie et agitateur démocratique, lui gàtait l'usage par toute sorte d'ennuis mitoyens. Mademoiselle Cloque fut pieuse; mais sa piété ardente ne s'apaisa point aux prières, aux pratiques. aux séances régulières de l'ouvroir; elle conçut naturellement un but sublime. l'aima, et disparut en lui. La vie de Mademoiselle Cloque ne fut point désormais séparable de l'édification de Saint-Martin de Tours, la basilique immense qui devait couvrir comme un défi tout un quartier de la ville, attester parson immensité la vigueur des volontés catholiques. rendre les fils des Gaules à leur vicille foi. Elle ne connut plus d'autres amis que les amis de l'œuvre, d'autres haines que contre ceux par qui par mollesse, par cupidité, ou par làche complaisance envers les pouvoirs établis, en abandonnent la splendeur première pour se rallier à quelque projet incomplet et båtard. Pauvre Mademoiselle Cloque, elle devait tout sacrifier à la chimère désintéressée qui avait absorbé son ame: ses amis, ses dignités charitables, son orgueil, le bonheur même de Geneviève, la nièce charmante qu'elle adorait. Inflexible, elle imposa à Geneviève de rompre de chères fiançailles avec GrenailleMontcontour, que Geneviève aima toujours, mais dont les parents, dans des vues louches, favorisaient le ridicule projet de la basilique exiguë et raccourcie. Elle connut les pires souffrances d'un cœur désintéressé; elle subit l'ingratitude, la jalousie; elle reconnut chez ses amies les plus chères des cœurs cupides et faux ; elle cut cette dernière amertume, de ne trouver une amitié constante que chez le seul

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