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maient et s'épanouissaient mieux et plus à l'aise, mais, tel qu'il se présente aujourd'hui, il s'impose encore, magistralement. Il est allé au bout de son système, sans cesse en lutte avec lui-même, exigeant que son art confessât, de plus en plus la solitude, la sombre ardeur, la vision nocturne et la mélancolie de son âme. Un coin de la maison où je suis né et Oost West t'huis best sont des pages qui hantent et qui règnent.

M. de Gouve de Nuncques élabore des paysages de rêve. Il songe à quelque coin de forêt empoisonnée, où les eaux stagnent vert-de-grisées, où la mousse des arbres et leurs branchages donnent non pas à la langue mais à l'œil la sensation ou plutôt le goût des venins rares, où des serpents sveltes et durs et dardés suggèrent, par les lignes tordues de leur corps, la méchanceté et la scélératesse. Il peint de tels sites, pour l'esprit seul, comme Edgar Poe les réalisait. Une aristocratie triste distingue sa manière de les concevoir à preuve la rose et blanche et néanmoins mélancolique étendue de glaciers qu'il réussit à limiter d'un cadre d'or et dont la vue excite dans l'àme une très pure fierté déchue. Un aigle, placé au sommet d'une roche, blasonne ce pâle paysage. Peintre immatériel, autant que la peinture le lui permet, M. William de Gouve de Nuncques s'attache à voiler son art de mystère et de poésie. Parti de l'intimité, dont il aima, à l'exemple de Mellery, le silence et la discrétion, il est, pour l'instant, hanté par ses voyages imaginaires, vers des pays lointains, inconnus, merveilleux, où toujours il se retrouve lui-même. Il se confesse et se traduit alors en tels sites qui nous apparaissent comme des témoigna ges de son orgueil et de son ennui.

Alfred Delaunois fut, à l'Académie de Louvain, l'élève de Constantin Meunier. Depuis, il obliqua vers l'enseignement de Mellery et se prit à aimer les coins des villes vieilles. les murs humides des béguinages et des hospices, la déréliction et la mort des choses. Une cour, un jardin menu, un couloir lisse et morne, un arbre maigre et sec d'hiver, un Christ de carrefour, un faisceau de cierges dardé vers une Vierge, lui servent de sujets, et son ruvre, trempée de foi et d'humilité, s'aflirme très profondément émue et sincère.

La Légende d'une vie de béguine, conçue dans le format et avec la minutie d'une miniature, renseigne plus encore que le Jour des Morts sur les tendances de M. Delaunois. Nous aimerions le voir s'engager dans la route de clarté, de sérénité et de béatitude que ce petit triptyque semble ouvrir à l'opposé du chemin noir et taché de suie où, jusqu'à ce jour, il marcha.

Des noms de divers peintres allemands, hollandais, anglais et amé. ricains grossissent le catalogue: les Inness, les Greiffenhagen, les Isaacson. les Roche, les von Hoflimaun, etc... La plupart rappellent soit les maîtres anciens, soit les peintres du Champ-de-Mars.

Parmi les dessinateurs s'affirment Donnay, Rassenfosse, Lemmen. Ce dernier, en des planches un peu lourdes, témoigne d'un franc et patient souci de la réalité en même temps que d'une préoccupation

d'arrangement et d'ornementation. Les illustrations des Fleurs du Mal commandées à M. Rassenfosse par la Société des Cent bibliophiles de Paris, l'ont amené vers des recherches nouvelles de composition. Il commence à s'éloigner de son maître Félicien Rops, sans toutefois se délivrer de toutes attaches.

Un lot de caricatures, signées d'un nom bizarre: Léo Jo, attire la curiosité, grâce à, souvent, une excentricité savoureuse et imprévuc. Raffaelli alligne au catalogue une litanie de pointes sèches qui lui font pardonner la sécheresse en papier de ses peintures. Anquetin se prouve puissant, savant, docile aux grands maîtres.

Avant de passer aux industries d'art, notons la mise en décor de deux grandes toiles les Derniers. de M. Léopold Speckaert, peintre de jadis, manicur de tons chauds et pleins, qui aujourd'hui se complaît en des grisailles fines, mais molles; et Une Famille sous la protection de Saint-Georges de M. Em. Motte, toile aux tons d'argent, à l'atmosphère verdâtre, dont les personnages étonnent plus par leur roideur et leur engoncement que par le style dont les voulut douer l'artiste.

Voici des socles, des étagères, des armoires. Et ce sont les bijoux de Fernandubois, de Hirzel, de Colonna, de Paul Dubois qui les parent, étalant sur le velours chiffonné des tons d'écaille, des complexités de nœuds et de tortils, des cambrures de chimères et des férocités de dents et de griffes : tout cela fin, charmant, précieux et cher.

Et voici les poteries de Willy Finch aux décors sobres, aux tons calmes quoique riches, aux formes simples que l'usage et l'utilité déterminent; voici celles de Schmuz-Baudiss, plus lourdes de style et de couleur; celles d'Etienne Moreau-Nélaton, où s'inscrit un franc sentiment de nature; celles de Læger et de Max von Heider.

Et voici des coussins, des tapis, des soies, des broderies, et des horloges, et des verres, et des lampes, et des livres merveilleusement vêtus de peaux rares et décorés de rinceaux et de fleurs et d'entrelacs. Toute la rénovation du décor moderne s'y affirme, curieuse, réussie, inventive, originale; tous les métiers d'art s'y groupent vivants et conquérants, s'imposant comme règle la logique au lieu de la fantaisic et la sobriété au lieu de l'abondance.

Il est des bronzes intéressants signés von Gosen, des cendriers. des jardinières, des services à thé parfaitement traités par Eugène Berner, des fers forgés originalement tordus par Riemerschmid, Toutefois, parmi ces artistes, celui qui s'affirme avec la personnalité la plus nette c'est Alexandre Charpentier. Sa pendule. qu'un sujet banal nouvellement compris orne de sa masse allégée grâce à un envol de lignes souples, est, sans réserve, l'objet d'art le plus attirant du Salon. Un goût sùr a présidé à sa conception et à sa forme, qui rappelle celle des cartels.

Depuis bien des années, le Salon de la Libre Esthétique n'offrit un ensemble d'œuvres aussi divers et aussi heureusement rassemblé.

EMILE VERHAEREN

La Quinzaine dramatique

Comédie-Parisienne. La Petite Famille, comédie en un acte de M. MAURICE VAUCAIRE. Les Miettes, comédie en deux ac'es de M. EDMOND SEE. L'Anglais tel qu'on le parle, vaudeville en un acte de M. TRISTAn Bernard. Théâtre-Antoine. La Nouvelle Idcle, pièce en trois actes de M. François DE CUREL. Que Suzanne n'en sache rien comédie en trois actes de M. PIERRE VEBER.

Le défaut de place m'a contraint de reculer de quinze jours le compte-rendu des Miettes et de l'Anglais tel qu'on le parle. Je me doutais bien qu'un si court délai n'épuiserait pas la vogue de ce spectacle, ne ternirait pas sa fraîcheur. Au reste, ce retard offre l'avantage d'accuser, entre les sommaires des deux quinzaines, un parallèle assez significatif. Tandis que les « grandes scènes » s'exténuent en reprises sans intérêt, en adaptations sans nécessité, les théâtres neufs vont de l'avant. donnent l'exemple de l'initiative et nous avons la joie d'enregistrer, presque simultanés, à la Comédie-Parisienne et au Théâtre-Antoine, deux succès rationnels. C'est bien un peu le tour de ces succès-là. Un public a fini par se former, depuis le temps qu'on le façonne; des efforts aussi vigoureux. aussi déterminés que ceux d'Antoine. de Lugné-Poe, de quelques autres encore ne pouvaient demcurer vains : le public, clairsemé au début, est devenu suffisamment compact pour garnir de nombreuses salles; on a pu s'en convaincre l'an dernier lors des représentations du Repas du Lion, ce superbe drame qui, il y a dix ans, aurait eu beaucoup de peine à dépasser la dixième. Voici la Nourelle Idole, triomphe plus improbable encore. Aujourd'hui comme hier. M. Antoine n'a pas tardé à former des émules. Et la Comédie-Parisienne. après des fortunes diverses ou plutôt des infortunes identiques. s'affirme largement hospitalière aux

auteurs récents.

Les Miettes nous out ravis sans nous surprendre. Après Féclatant début que fut la Brebis au Théâtre de l'Euvre, nous n'attendions pas moins de M. Edmond Sée: nous l'attendions seulement un peu plus tôt. On n'a pu oublier ces deux petits actes qui furent une révélation. presque une révolution oh! sans tapage. sans formules ni professions de foi, l'indice à tout le moins qu'une génération nouvelle abordait le théâtre avec des soucis nouveaux. Plus exactement, on remarquait dans la Brebis l'absence des soucis anciens. Aucune trace chez l'auteur de passion. de haine. d'enthousiasme. pas la moindre velléité d'emballement ni de voyage, nulle désormais de ces préoccupations strictement morales qui subsistent, à travers parfois un épais voile d'ironie, chez la plupart des dramaturges contemporains. Qu'on ne s'y trompe pas, malgré leurs natures opposées, malgré la divergence de leurs points de vue M. Ancey et M. de Curel, M. Coolus comme M Donnay. M. Capas aussi bien que M. de Porto-Riche

gardent un caractère commun: ce sont des moralistes. M. Edmond Sée n'en est pas un, car son ironie à lui s'exerce en tous sens et il n'a cure de l'orienter; il est continûment, universellement gouailleur, persifleur et rosse, sans ménagements, ni scrupules : c'est un pincesans-rire et sans pleurer, mais c'est aussi un pince-malgré-lui, dénué de parti-pris, d'affectation et de pose, en sorte qu'on ne saurait lui en vouloir et qu'il serait souverainement injuste de blâmer sa férocité candide. Son unique inquiétude est de n'être jamais dupe. On conviendra qu'il y réussit à miracle et qu'une telle maîtrise de soi est particulièrement surprenante et rare, qui se complaît dans la pure «< comédie sentimentale ». Les Miettes, comme la Brebis, ne sont pas autre chose : mais le sentiment y est si peu voilé, le ton si peu grave, l'intimité si peu recueillie, on y sent l'étude si résolument présentée du dehors et avec une insouciance si hardiment désinvolte, qu'on a l'illusion vraiment d'assister non pas à une comédie sentimentale, mais à quelque joviale comédie de mœurs, sans plus subtile

trame.

La distinction entre les deux genres n'est pas tellement scolastique; elle dépasse les mots, elle est essentielle, et l'on s'en rend aisément compte, sinon en écoutant les Miettes, dont chaque réplique, chaque mot scintille, du moins lorsque l'entr'acte laisse un peu de répit et le loisir de se reprendre. Il semble alors qu'on ne puisse se défendre d'un sentiment de gêne : oui, la pièce va quelque fois trop loin, presque trop haut, pour qu'il soit séant de rire. M. Sée ne désavouera point ce rire-là m'est avis qu'il n'y pense guère puisque c'est invariablement lui qui rit le premier, derrière l'un après l'autre de ses personnages, et qu'il a soin de rendre son rire contagieux. C'est, si l'on veut, un reproche à côté, fait après coup : je crois qu'il valait d'être énoncé. Aussi bien il met en plein relief l'indéniable originalité de M. Edmond Sée, dont, encore une fois, la verve ne s'étaye d'aucune recherche, d'aucune sensiblerie à rebours. Par exemple, il faut bien avouer qu'en une scène l'auteur, tout, de même, a forcé la note. Marcelle Boize vient d'être abandonnée ou, mieux, lâchée par Pierre Jontine, qui va se marier. Sur le conseil du bon Mérissel, confident résigné de la veille, ami presque amant, adorateur rabroué, qu'à juste titre effrayent les grâces neuves du petit de Xylas et ses tendresses inédites, Marcelle tente de revenir à son mari. Celui-ci feint de ne pas entendre, préfère ne rien savoir; elle précise, elle se livre, elle est frémissante, désemparée, lui ricane, il se dérobe, il n'a pas un geste secourable, pas une parole compatissante, pas une secousse d'émotion. Notez que l'auteur n'eut manifestement pas l'intention de présenter Boize comme un être vil ou méchant; il l'imagine simplement égoïste, jaloux de sa chère quićtude, désabusé des contingences conjugales, plus vulgairement : philosophe. Mais quel primitif égoïsme, quelle illusoire quiétude, quelle niaise philosophie! L'ironie, cette fois, manque de mesure, grimace un à peu près, qui choque plus que ne ferait le faux.

Que M. Sée me pardonne si j'insiste, au risque d'exagérer encore ce que j'estime être son erreur. Certes une telle insistance peut paraître, elle aussi, démesurée en un article où je m'abstiens soigneusement de la fastidieuse analyse; mais ne serait-il pas superflu de répéter à chaque ligne mon admiration pour une œuvre que je veux supposer connue de tous lecteurs de cette revue ? La moindre défaillance y fait tache. Il y a tant de talent dans les Miettes! un talent si alerte, si primesautier, si nettement dramatique! C'est un éblouissement. Si la pièce pèche, c'est par excès d'éclat. Moins uniformément lumineuse, la Brebis semblait plus claire. Les Miettes révèlent un esprit plus prodigue, plus étincelant. En revanche, le <<< sujet » ne laisse pas que d'être disséminé à l'extrême : il y a défaut d'ordonnance, disproportion de valeurs. A chaque instant, on a l'impression d'entrer, sans frapper, à brûle-pourpoint, dans la vie même, mais dans une vie haletante, fébrile, décuplée.

Certains ont jugé factice une telle condensation. Il faut s'entendre : factice, elle l'est à coup sûr, comme toute transposition théâtrale; mais l'artifice est des plus licites et singulièrement fécond: on a taxé d'exceptionnels les personnages que ce procédé met en scène : le beau malheur! Depuis quand les cas d'exception sont-ils bannis du théâtre? Ces personnages sont éminemment nets et précis, délimités avec une vigueur peu commune. Ils s'avouent, voilà tout le secret de leur prétendue complexité. On dira : — ne l'a-t-on pas dit? - ces gens-là forment un monde à part, de trop chétive importance; scule une élite s'intéressera à cette élite. Rien n'est moins certain : consultez l'affiche et dénombrez les représentations. Au surplus, quelle élite constituent donc les personnages de M. Séc? Ecoutez-les, observez-les, jugez-les. En vérité, ce sont les tout-premiers venus. Leurs façons seules peuvent surprendre et retenir ; c'est à les détailler que M. Sée se complaît et nous divertit. Scrait-il un moraliste quand même ?

L'interprétation est d'excellent ensemble. Il faut mettre à part Mlle Blanche Toutain: cette si jolie, si intelligente, si instinctive, si personnelle artiste ajoute à son rôle un exact, un délicieux frisonnement de vie, sans heurt, sans fatigue et de tous les instants. Elle est plus que parfaite. M. Burguet personnific Mérissel de façon remarquable. Le type de Xylas étant légèrement poussé à la charge, on ne peut guère en vouloir à M. Bruly, qui d'ailleurs est fort plaisant. s'il s'autorise de cette nuance pour amplifier certains de ses effets : il arrive que le ton de la scène y gagne en joie mais non sans dévier quelque peu. M. Albert Mayer a le tort de prêter à Jontine une allure épaisse et brutale: elle détonne dans la scène exquise qui termine le premier acte. M. Bullier (Boize) rend intolérable la scène plus que scabreuse du mari.

Avec les Mieltes, M, Edmond Sée renouvelle les plus magnifiques promesses; dans l'Anglais tel qu'on le parle, M. Tristan Bernard a tenu toutes les siennes. On a prononcé le mot de chef-d'œuvre. Il se

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