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ser de nouveaux échecs. Les faits cependant parlent assez haut contre lui et rassemblent sur son trop long ministère d'assez vivantes flé. trissures.

Les événements culminants de notre histoire extérieure, depuis 1871, se sont produits dans les trois dernières années. Ils ont eu pour théâtres quatre points différents du globe : l'Extrême-Orient, les mers du Nord, l'Orient, l'Afrique Orientale. Nous y saisissons, en plein relief, la régression ininterrompue de notre influence dans le monde.

Le Japon, grâce à la supériorité de son armement, de sa tactique, de sa cohésion, écrase la Chine et réclame le paiement de ses victoires. La Russie se sent menacée par cette puissance naissante qui va lui disputer l'empire de l'Asie du Nord. Pour lui complaire, l'Allemagne s'associe à elle; la France intervient d'accord avec les deux Etats d'Occident, en faveur du Céleste-Empire, qui ne lui cache cependant point son hostilité. A la différence de l'Angleterre, elle donne ses préférences au peuple le plus barbare contre le plus civilisé. La nouvelle Triple-Alliance, que certains saluent déjà, a trouvé sa semence dans les flots des mers chinoises.

M. Hanotaux, fidèle au système de Ferry, entend se rapprocher de l'Allemagne, qui pourtant ne lui a donné aucun gage de conciliation. Il plaît à la Russie de marier nos pavillons aux pavillons de Guillaume II dans les eaux germaniques. Dans la rade de Kiel, le canon français tonne en l'honneur de la marine allemande. L'humiliation que le petit Danemark n'a jamais acceptée, nos dirigeants l'infligent à notre pays qui s'incline devant la brutalité victorieuse. La revendication du droit a plié devant les splendeurs de la force militaire. Spectacle presque sans précédent dans les annales de l'histoire!

osse

Le Grand Turc massacre 300,000 Arméniens; les bachi-bouzouks promènent de Smyrne à Trébizonde, de Brousse à Erzeroum, leurs yatagans rougis; une nationalité presque entière expose ses ments au soleil d'Asie. Lorsque cet effroyable événement est révélé à l'Europe, un seul peuple s'indigne, le peuple anglais. La Russie ne veut pas de représailles, parce que Nicolas II protège Abdul-Hamid, que son ami Guillaume II a des intérêts à Constantinople, et que le prince Lobanof et M. Pobedonostzef détestent l'Arménien révolutionnaire. Enhardi, le Commandeur des Croyants répand le carnage sur sa capitale, où les chrétiens se terrent, sur la Crète où de sauvages égorgements mutilent pour la dixième fois une population indomptable. Les Grecs frémissent et volent au secours des Hellènes de la Canée. L'Europe les laisse écraser; le gouvernement français regarde et salue la victoire du Croissant; les Crétois réclament le droit au plébiscite; les fils des Constituants et des Girondins de 1792, les protestataires de la France vaincue et démembrée de 1871, refusent le plébiscite. La France, par eux, efface temporairement de son code

moral, des prescriptions de sa conscience, le principe de la liberté des peuples. Mais la Russie et l'Allemagne sont contentes.

Surgit la crise de Fachoda, la dernière, qui va nous révéler sans ambage notre situation internationale. Pour obtenir le rappel du commandant Marchand, libéraux et conservateurs d'outre-Manche multiplient les menaces et les sommations. Aucune des puissances que nous avions si fidèlement servies ne se dresse à nos côtés. Guillaume II est en Syrie où il renouvelle les entrées de la primitive Eglise. Nicolas II conseille la prudence, car déjà il négocie sous main, avec le Foreign-Oflice, le partage de l'Asie. Stupéfait de cet abandon, le gouvernement français cède aux injonctions de lord Salisbury. Il a consommé le Baylen diplomatique de la République bourgeoise. L'heure de la réflexion a sonné.

Que vaut l'alliance russe? Elle a mis la France plus bas que vingt ans d'isolement continu. Elle n'a rien étouffé, rien suspendu, comme l'avaient espéré chez nous ses champions. Les événements ont marché. En Europe, hors d'Europe, de grandes transformations se sont produites. Des classements, des déclassements sont intervenus. L'Empire moscovite en a été le héros, payant sa grandeur nouvelle, sa recrudescence de prestige, de la déchéance de son alliée.

La Russie nous a rapprochés de l'Allemagne, qui ne cherchait avec nous qu'une transaction tacite dont elle aurait tous les profits. Alexandre III, Nicolas II ont été les honnêtes courtiers, les marchands heureux de notre fierté nationale. Ils ont eu, aux yeux des successeurs de Bismarck, le double mérite de débarrasser la paix d'Europe d'une revendication subversive; le conservatisme, d'un ferment révolutionnaire. Avec la plainte du pays démembré, ils se sont piqués d'éteindre le cri éternel d'une démocratie en travail de l'avenir. A cette besogne considérable, ils ont gagné la liberté totale de leurs allures sur le continent d'Asie, où leur domination gagne comme tache d'huile.

Depuis 1882, nos relations avec l'Angleterre étaient mauvaises, et, au fond de tous les litiges, passait par intervalles le long spectre égyptien. Notre alliance avec la Russie nous a acculés à la rupture, car il faut être avec Pétersbourg ou avec Londres, et qui est avec Nicolas II ne saurait avoir la sympathic du Royaume-Uni.

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Un pas inutile vers l'Allemagne, un regain d'hostilités britanniques voilà les résultats évidents et d'ailleurs logiques de l'accord contre nature que le peuple de France acclamait chaleureusement jadis, et qui restera la grande pensée de la République centre gauche. Fachoda a blessé l'alliance russe : déjà nos nouvellistes se retour nent en d'autres sens. Ne parlons plus d'hier. Que sera demain ?

Alliance allemande? Les chauvins qui, durant vingt-sept ans, ont appelé frénétiquement la guerre à la frontière vosgienne saluent l'abaissement de cette frontière. Ils n'ont plus maintenant l'AlsaceLorraine à venger, mais le Haut-Nil. Ils ont oublié les casemates de

Mayence et de Glatz, Sedan et Saint-Privat, et Worth, pour évoquer les pontons du Premier Empire, Trafalgar et Waterloo. Sus à l'Angleterre ! Il ne nous convient pas d'être sans cesse arrêtés dans notre expansion coloniale, de nous heurter aux habits rouges dans tous les coins d'Afrique. L'avenir est à ceux qui accumuleront les milliers de kilomètres carrés. L'Allemagne a une armée et une flotte; la Russie restera bien à ses côtés, aux nôtres. A travers l'Europe continentale, la nouvelle Triple-Alliance étendra sa ligne de bataille ininterrompue, contre laquelle n'osera se heurter la ligne anglo-saxonne.

Rêve fiévreux d'une nation affolée! Vous ne comprenez donc pas qu'au grand jour de la guerre générale que vous ne craignez pas d'envisager, - Anglo-Saxons d'Europe, d'Amérique, d'Afrique, d'Océanie contre Germains, Slaves et Latins coalisés, — c'est la France qui recevra le premier choc, l'assaut suprême, que sur tous ses rivages l'artillerie tonnera, que ses possessions coloniales, votre orgueil, seront le point de mire des escadres ennemies. Sur son sol, l'Allemagne est invulnérable, et ses annexes exotiques ne comptent point. Qui se risquera dans les passes de la Baltique, dans les détroits turcs pour aller bombarder les côtes russes? Une avalanche d'Indous se déversera-t-elle sur le Turkestan? Dans l'entrecroisement, dans la bataille mortelle des ligues et des races, la France succomberait. Est-ce sa fin que vous attendez, et non-seulement devant vous, mais devant l'humanité, avez-vous le droit de la tuer ?

Ni alliance russe, ni alliance allemande, ni alliance anglaise. Nos alliances n'ont jamais servi que nos alliés, et, pour accomplir la tâche française, c'est par le monde entier que nous devons chercher des appuis.

Dans l'univers. de formidables coalitions s'organisent, telles que ni le passé, ni le siècle même n'en ont vues. Dans les limites de la civilisation élargie, à travers les cinq continents travaillés d'un même appétit, tous asservis au lucre capitaliste, à l'organisation mercantile de la grande industrie, les gouvernements préparent des Zollvereins colossaux, cuirassés d'armes de toute nature. Des centaines de millions d'hommes sont dressés à combattre économiquement, ou autrement, contre des centaines de millions d'hommes.

La France, absorbée en un de ces groupements, perdra son individualité, sa flamme, sa vie. La France, isolée, se fera centre. On lui laisse le choix entre la spoliation matérielle et la mutilation morale : l'alliance anglaise lui vaudra celle-là, l'alliance allemande toutes les deux. Qu'elle opte pour une troisième alternative rester soi-même. Elle était seule en 1792, et sa révolution l'a mise à l'abri des coups de toutes les monarchies conjurées. Elle était seule en 1848, et, haussée sur son génie républicain, elle a d'un seul mot ébranlé la vieille Europe, disloqué les anciens moules politiques et sociaux.

A côté, au-dessus des gouvernements constitutionnels et absolutistes, il y a les démocraties frémissantes, qui n'ont cessé de regarder

yers Paris. Pourquoi, dans les obscurcissements de notre justice, dans les tâtonnements de notre liberté, les peuples même enchaînés dénoncent-ils notre indolence, notre lâcheté? C'est qu'ils s'attribuent des droits sur la France dont ils attendent la délivrance, la clarté, le grand sursaut final. Sachons donc user de notre force, et contre les coalitions de la vieille société capitaliste, organiser la ligue de la Révolution, de la République internationales.

Que la France soit et redevienne la voix de l'humanité en marche, des travailleurs qui souffrent, de tous les opprimés qui appellent à l'avenir. Elle n'aura plus besoin de verser chaque année des centaines de millions au militarisme oppresseur et rongeur. L'amour des démocraties, la poussée révolutionnaire décuplée, la protégeront contre toutes les attaques et lui permettront de défier toutes les dynasties, toutes les féodalités unies. Aux temps nouveaux, au monde transformé, dans sa structure, dans ses divisions, dans son aspect, il faut une politique nouvelle. Entre les grandes fédérations, non point de peuples, mais de gouvernements, qui s'entretueront pour la possession des marchés et qui tôt ou tard sombreront sous la ruine, il y a place pour le syndicat général du prolétariat: à nous de lui donner un siège social.

PAUL LOUIS

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Merveilleux homme qui peut courir toutes les routes, sauter d'une voie ferrée dans un bateau, quitter les villes bruyantes pour les campagnes mortes, voir la mer, la montagne, les plaines se succéder devant ses yeux sans être lui-même plus qu'une balle lancée dans l'air et qui n'a pas conscience de sa vitesse! Je ne connais point, pour ma part, une semblable indifférence; quelques heures passées dans un endroit inconnu parmi des étrangers suffisent à m'enchaîner; je ne me détache que par un singulier besoin d'activité, je ne m'en vais qu'au milieu d'un cortège de souvenirs.

Dans la voiture qui m'emportait à cette gare de Lyon, si éloignée du Paris élégant, en traversant ces quartiers de travail, de prostitution, de petite rente croupissant paisible et heureuse parmi les ruines et les crimes; au milieu de cette foule diverse et sombre, je me sentais lié étroitement à la multitude d'existences dont j'allais me séparer; j'en goûtais avec violence, avec ivresse, la beauté, l'horreur, l'ignominie. Ces hautes maisons blanches au clair de lune, ces fenêtres innombrables qu'illumine d'une clarté rouge la lampe domestique, cet enlacement, cet entrecroisement de fiacres et de charrettes, ces lanternes qui courent à je ne sais quel but ignoré, toutes ces passions qui s'agitent autour de moi me deviennent chères : Paris m'appelle de ses grâces connues et de son mystère.

L'idée de Juliette s'est glissée en moi; elle occupe ma pensée, délicieuse et irritante comme le baiser d'une bouche lorsque le corps se refuse ou se dérobe. Je vois la jeune femme devant mes yeux ; je pourrais croire qu'elle est à mon côté, et je me demande si je la rencontrerai jamais. Les soupçons s'évanouissent, et aussi le souvenir des violences, des injures que j'ai surprises. Pourquoi la fuir? Il me semble à présent que c'est un acte de courage tout à fait inutile. Et cependant je n'arrête point la voiture, je presse le cocher : j'ai peur de Juliette et de moi-même.

J'arrivai à la gare de Lyon parmi beaucoup de voyageurs. Couples heureux, visages que torture l'anxiété, crrants mélancoliques qui vont promener leur richesse et leur ennui aux quatre coins du monde.

(1) Voir La revue blanche des 1er et 15 novembre, 1o et 15 décembre 1898.

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