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Voici que les lauriers pleurent au fil de l'eau,
Et des sanglots légers ont parcouru le flot
Où des étoiles débiles se sont perdues.
Toi qui te regardais, tu ne les as point vues:

Narcisse! dont le cœur est un miroir brisé.
Et toute la nature et tous s'y sont mirés.

IX

Tu naissais. L'aube était pleine d'incertitude.
Pâle d'un long sommeil la mer se réveillait.
Sur l'eau ridée un blanc navire appareillait.

A mon âme inquiète offrant ta quiétude,
Tu vins vers moi, légère et triste, et souveraine,
Ah! de quel Océan quelle Anady omène?

Tes mains chastes se croisaient sur ton sein; et nue,
Des perles à ton cou, l'écume à tes cheveux,
L'immensité du ciel emprise dans tes yeux,

A mon désir craintif déesse dévolue,
Tu te dressais, humble et superbe, inespérée.
De l'horizon jaillit une flèche dorée.

Elle frappa ta nuque, et ta chair fut vivante.
Ta bouche harmonieuse au baiser s'entr'ouvrit :
Ecume ou marbre, ô rêve, ô femme que j'enfante,

Par qui dans mes débiles bras l'amour a ri!

X

Je ne sais si tu vis ces ailes près de nous.
Pour moi qui entendais leur frémissement doux,
Jen'osais regarder de peur de voir leur ombre;
Et l'ombre de l'Amour est celle de la Mort,
Et notre couche blanche est peut-être une tombe.

L'éternelle chanson nous berce et nous endort.
Qui la chante? Au lent balancement de ces ailes
Dont le jour vient de s'obscurcir, un rythme est né.
Rythme d'amour, de mort? - Quand je t'abandonnai,
J'ai cueilli sur ta lèvre close une asphodèle...

ROBERT SCHEFFER

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Il n'était bruit, à ce moment. dans le monde des courses, que des « Glarcs », les magnifiques étalons du Nouveau-Cirque, présentés en liberté par Miss Poppy. Ce succès était-il dû à leurs sauts incroyables, à leurs formes parfaites qui leur valaient l'enthousiasme des artistes et l'attention des éleveurs, ou bien à l'aisance singulièrement hardie de la jeune dresseuse, à la fois svelte et potelée dans sa culotte de soie noire à crevés et ses bottes Bassompierre? Il est à croire que le plaisir qu'on prenait devant eux était fort mélangé. Les cirques ont mille attraits pour les existences actives aussi bien que pour les tranquilles. Les odeurs et les mouvements des bêtes; l'adresse et la force de corps souples, robustes, élégants; le combat, la rivalité, la maitrise de l'homme, de la femme et de l'animal, entretiennent dans notre civilisation un souvenir utile des sociétés primitives et flattent l'être d'instincts qui demeure en nous en dépit des lois et des morales. Nous serions trop dupés si de temps à autre, sous nos raffinements, nous ne retrouvions, avec une surprise pleine de délices, notre peau naturelle de sauvages.

J'avais vendu mes chevaux en quittant Paris, et je n'en avais pas racheté à mon retour; je m'en sentais très privé et je ne manquais pas les occasions que je trouvais d'en voir. Justement, ce soir-là, mon ami Louis Deshays m'avait donné rendez-vous devant la jolie dresseuse, et, malgré mes préoccupations, ou peut-être à cause d'elles, je m'étais promis d'aller le retrouver.

J'arrivai dans un cirque empli d'ombres et d'agitations muettes. Aux frises seulement et aux balcons du pourtour traînait une lumière fanée de soleil couchant, mais, comme je cherchais à me glisser au milieu de la foule obscure, tout à coup des gerbes lumineuses de roses et de lilas tombent sur l'arène; une galopade affolée, sourde, tourne aux claquements d'un fouet, sous des rayonnements cuivrés, en des incendies rouges; des chevaux passent à côté de moi, s'évanouissent comme des fantômes. J'étais venu trop tard. En un clin d'œil, aux applaudissements des spectateurs, aux colères de l'orchestre, le cirque s'éclaira d'une poussière d'or, trembla sous les enthousiasmes, et j'aperçus, au milieu de l'arène, Miss Poppy, blonde et rose poupée, en culotte bouffante et tout de noir vêtuc, qui souriait

(1) Voir La revue blanche des 1 et 15 novembre, 1" et 15 décembre 1898, 1'r janvier, 1 et 15 février 1899.

béatement de ses lèvres peintes, de ses yeux agrandis et noircis au crayon, envoyant du bout des ongles, à droite et à gauche, des baisers à la foule.

Aux doigts de l'écuyer qui l'accompagnait, elle s'élança vers la sortie et retomba près de moi sur ses grosses bottes et de tout le poids de ses hanches lourdes. J'entendis un cri, puis la voix de la dresseuse s'éleva, voix enfantine et zézayante qui contrastait avec la force et l'ampleur de sa personne.

C'est de vot' faut! Pôquoi éttiez-vô su' mon cemin?

Aussitôt se forma autour d'elle un groupe de manteaux amples et parfumés, et de dos poudreux de valets d'écurie.

Louis Deshays, en même temps, venait de m'apparaître, et en lui tendant la main :

As-tu vu ce qui vient de se passer?

- Oh! ce n'est rien, répondit-il, rien ou peu de chose. Miss Poppy vient de retomber sur les pieds d'une petite danseuse, comme par mégarde. Elle lui a à moitié écrasé le pied. Il paraît que cette chère demoiselle est coutumière de ces maladresses... ou de ces violences. Cela lui arrive presque tous les soirs.

- Mais pourquoi cela?

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Ah! va lui demander. Rivalité, jalousie, est-ce que je sais? Les femmes, et ces femmes-là surtout, ça ne peut jamais se souffrir... Tiens! voici la petite écrasée. Elle va figurer dans la pantomime. La grosse Poppy en estourbirait bien trois comme elle!

Mon Dieu! fis-je, c'est étonnant comme sa tournure, ses yeux, tout en elle...

Tu la connais?

Je ne la connais pas, mais elle ressemble beaucoup...

A qui donc?

- C'est impossible! Mais regarde si on ne croirait pas voir les yeux de mademoiselle de Requoy.

Eh bien, elle serait contente si elle savait que tu l'as comparée à une danseuse de cirque.

- Et si c'était elle, pourtant?

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Tu es fou, ma parole! D'abord elle est bien plus petite. Et puis mademoiselle de Requoy est aux Cormiers, en train sans doute de rêver au fiancé. Regarde-la bien. Tu verras qu'elle ne lui ressemble pas du tout. Elle paraît au commencement de la pantomime. Tu vas pouvoir l'examiner à loisir.

Toute une foule, figurant le cortège d'un prince indien, venait d'entrer d'une marche scandée, effarant les yeux d'un chatoiement de soies, de châles multicolores, de parasols fleuris, de voiles amples et flottants. On eût dit des étoffes devenues, par je ne sais quel miracle, vivantes, prenant mille formes bizarres, sans rapport avec le sexe ou la personne humaine, monde créé par la fantaisie d'un costumier, bien en harmonie avec cette salle étrange où les êtres disparaissent dans les jeux de lumière, semblent se fondre avec les boiseries, ne

sont plus qu'un rayonnement de corsage ou une lueur de peau, ou l'éclat brutal d'un plastron.

Du cortège se détachent trois jupes de taffetas pailleté; des bras se tendent dans un enroulement de gaze; des yeux noirs, des bouches d'un rouge de fruit s'offrent sous les tulles. Ce sont, paraît-il, les bayadères. Les bandelettes qui semblent les lier se desserrent elles vont danser.

Elles dansent les jambes écartées, les yeux perdus, les bras envolés, comme ravies de jouissance. La foule rythme leurs pas d'un bruit de clochettes, tandis qu'un gong de temps à autre lance une note stridente, étouffée par des tambours. Elles se joignent, s'enlacent, se séparent; puis deux d'entre elles étendent le bras, se donnent la main, et, sur ce dossier gracieux, la troisième qui s'approche à reculons et sur la pointe des pieds se renverse, pâmée; les voiles qui recouvrent son front s'écartent et une splendide chevelure blonde jaillit, libre et rayonnante.

Trois nouvelles bayadères avaient surgi pour des danses nouvelles; mais, après des mouvements si mesurés et si harmonieux, on remarqua le sautillement pénible de l'une d'elles, qui semblait boiter. Dans le public, on riait, on s'indignait « qu'un cirque osât exhiber de pareils sujets ».

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Allons! me dit Deshays, est-ce qu'elle lui ressemble?

Non, fis-je pour être agréable à son obstination.

Ah! tu vois bien.

Mais il était difficile qu'on pût reconnaître qui que ce fût sous le lourd travestissement qui déguisait les formes, la taille et jusqu'au visage. Cependant je ne regardais qu'elle; je cherchais à rencontrer ses yeux, à lire dans cette physionomie dont le sourire glacé paraissait emprunté comme le costume, et je souffrais à chacun de ses pas de l'effort évident qu'elle faisait pour cacher sa claudication. Elle n'y réussissait point, arrivait à perdre absolument la mesure, heurtait par des pas à contre-temps l'épaule des autres danseuses qui lui lançaient des regards féroces, irritées de voir qu'elle compromettait leur succès. Enfin, elles se retirèrent; la danse m'avait paru d'une longueur exagérée; la petite bayadère en passant auprès de moi, très vite, détourna la tête. Elle se rencontra dans les couloirs avec une vieille daine qui sortait, emmenant une fillette, et elle se rejeta vivement de côté. La vieille dame s'en alla la tête haute, les lèvres pincées, en baissant les yeux.

Louis Deshays me plaisanta sur la manic que j'avais, prétendait-il, de retrouver partout des ressemblances. Est-ce que mademoiselle de Requoy pouvait être dans un cirque! faisait-il.

Mais qu'y aurait-il là de si extraordinaire? répliquai-je. N'estce pas un préjugé qui nous vient des Romains, ce mépris de l'acteur, du bateleur, de l'homme qui montre au public son savoir-faire? Estce que toi qui donnes à de grands journaux tes dessins, est-ce que moi qui ai commis un livre autrefois, est-ce qu'une femme qui va

offrir dans une loge ou dans un bal sa beauté à tous les yeux, est-ce qu'un politicien qui affiche sur les murs sa profession de foi, est-ce que tous nous ne sommes pas cabotins ou exhibitionnistes par goût ou par nécessité? Je t'assure qu'il vaut mieux montrer une belle gorge qu'une belle pensée. La foule vous en a plus d'obligeance, car cela lui paraît moins singulier.

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C'est au moins une pensée de Lord Beresford?
Peut-être. Beresford est un second moi-même.
Et quand me présentes-tu l'oiseau rare?

- Il s'en va en Chine, dis-je en le quittant. A son retour!

Au fond, j'étais fort troublé. Je n'étais pas sûr d'avoir vu Geneviève; mais je craignais pour elle un malheur, une chute déshonorante; en parlant à Deshays comme je l'avais fait, j'avais surtout voulu établir que je n'en étais pas responsable. Je tenais ainsi à me justifier devant moi-même.

Etais-je donc décidé à m'étourdir, à vouloir oublier tout, et cette pensée de Geneviève avait-elle hâté ma résolution? Le lendemain, j'écrivis à Lord Beresford que je restais en France, et, à Maurice Lefranc, j'annonçai mon arrivée prochaine à Crucy-Lespinoy. Je voulais achever de guérir ma passion par une autre passion et user dans une activité et des soins nouveaux, fussent-ils d'ailleurs inutiles, les mille désirs qui me consumaient.

Je sortais pour faire les divers achats que nécessitait mon départ quand je me rappelai que M. de Requoy devait venir. Tant pis! On lui dira que je suis en voyage. Telle fut ma première idée. Puis le souvenir de Geneviève, la curiosité, l'intérêt qu'elle m'inspirait, m'ont retenu. J'eus tort: presque tous les malheurs qui me sont survenus dans la suite proviennent de cette sortie différée. Et je ne dois pourtant pas les regretter, puisque j'ai eu l'occasion de rendre un grand service.

On sonna. Je me levais déjà pour recevoir non fantasque ami. Mais ce n'était pas lui.

- Une femme qui prétend connaitre monsieur, annonça le valet de chambre.

Et où est-elle ?

Dans le vestibule. Je ne savais si je devais la faire entrer. Elle est si mal habillée.

Priez-la d'entrer.

Que vois-je? Oh! je ne m'étais pas trompé la veille. C'était bien elle que j'avais reconnue au cirque. Geneviève m'apparut, mais ce n'était point la Geneviève des Cormiers, la Geneviève qui était venue me surprendre un matin, — il y avait si longtemps déjà! — rieuse, coquette, charmante, avec de naïves et d'audacieuses paroles aux lèvres. Oh! pauvres yeux gros et rouges de larmes, pauvres yeux flétris, sous le petit chapeau de velours vert usé, aux plumes tordues. Elle avait un collet beige vieilli, sali de pluie. Mais c'était son visage qui me saisissait! Si pâle, avec ce ton terreux que donne

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