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VII

LA RÉDUCTION DU SERVICE MILITAIRE

Quelques appréciations

sur l'armée suisse

Sans doute, quelques critiques de détail peuvent être portées sur l'armée fédérale ; et je me garderai de les négliger quand j'en viendrai à l'application d'institutions analogues à l'armée française. Mais, si l'on jette sur cette armée une vue d'ensemble, on reconnaîtra que ces petites imperfections, facilement remédiables et qui, du reste, ont ailleurs leur contre-partie, sont largement compensées par de hautes qualités générales. Il est certain qu'il suffit d'ouvrir une publication spéciale ou une revue militaire d'un pays quelconque pour constater qu'à l'occasion de chaque rassemblement des troupes fédérales, les officiers de toutes les grandes armées portent sur elles les jugements les plus favorables.

Dans son cours de géographie militaire qui, de l'Ecole d'application de Fontainebleau, s'est répandu dans toutes les armées (1), le commandant Marga écrivait :

La durée totale du service dans l'élite est de cinq mois environ, ce qui, grâce à une bonne préparation antérieure, au zèle de tous et à l'esprit militaire de la nation, suffit pour faire d'excellentes troupes. La cavalerie seule laisse un peu à désirer.

A propos de cette restriction, il convient de remarquer qu'à cette époque, l'école des recrues de la cavalerie suisse ne durait que 60 jours, et qu'elle a été portée, depuis lors, à 80 jours. En outre, comme le constate le colonel Wille dans son Projet d'organisation militaire de la Confédération suisse (2), le recrutement de cette arme présentait jadis de grandes diflicultés; aujourd'hui, les diverses mesures qui ont été prises ont eu pour effet de multiplier au-delà des besoins le nombre des recrues demandant à servir dans cette arme; on n'y admet donc que des hommes choisis, et le niveau de la cavalerie suisse s'est notablement relevé.

Quant aux armes spéciales, dont il semble que la valeur puisse être également inférieure dans une milice, personne ne s'est jamais avisé de prétendre qu'elles fussent au-dessous de leurs devoirs.

Les conditions particulières de la Suisse y ont amené un tel développement de l'art de l'ingénieur, favorisé d'ailleurs par une Ecole polytechnique de premier ordre, que le recrutement et la préparation du génie ne sauraient présenter aucune difficulté. Et, de fait, les fortifications du Gothard sont aussi bien comprises et exécutées que celles d'aucun pays, et leur défense est également bien organisée.

(1) Paris, Berger-Levrault, 1881.

(2) Skizze einer Wehrverfassung der Schweizerischen Eidgenossenschaft Berne, Wyss, 1899.

Pour l'artillerie, on peut seulement regretter la parcimonie un peu trop grande qui préside, dans cette arme, à l'instruction du tir. Mais, en ce qui concerne les autres détails de son service, et l'aptitude de la troupe à faire campagne, notre Revue d'Artillerie contient deux articles qui montrent de quoi est capable l'armée fédérale.

C'est d'abord, dans le numéro de janvier 1893, le compte-rendu de transports de gros matériel exécutés au Saint-Gothard dans les conditions les plus remarquables; d'expériences des plus curieuses sur le transport et l'emploi des canons de campagne dans ces mêmes régions accidentées; enfin, d'une marche exécutée dans les Grisons, de Coire à Klosters, par une batterie de montagne que nos meilleurs alpins reconnaîtront comme leur égale. Or, cette batterie, formée à Coire le 19 septembre, recevait, le lendemain, des chevaux qu'on avait, par mesure d'expérience, choisis non dressés au port du bât; elle consacrait les journées des 20, 21 et 22 à ajuster le harnachement, essayer les chevaux, rafraîchir l'instruction du personnel; et, le 23 au matin, elle partait, sous la pluie, pour faire sa première étape, 22 kilomètres en montant.

Parmi les conclusions qui terminent le rapport officiel relatif à cette marche-manoeuvre, il faut noter celles-ci :

Il faudrait disposer de deux jours et demi pour mobiliser une batterie de montagne.

D'où il résulte qu'on avait compté, à cette époque, la mobiliser plus rapidement, bien que ce laps de 60 heures nous semble merveilleusement court; car il faut noter que la mobilisation ne consiste pas, en Suisse, à incorporer des réservistes dans une unité existante, comme on fait ailleurs, mais à créer de toutes pièces cette unité : ex nihilo aliquid!

Et, d'autre part :

Pendant aucune étape, les hommes n'ont reçu une alimentation spéciale; la distribution de conserves et de chocolat, matin et soir, s'est montrée suffisante et il n'est pas à recommander d'habituer la troupe à des avantages sur lesquels on ne saurait compter en campagne. Il convient au contraire d'amener les chefs et les hommes à considérer des efforts, même considérables, comme quelque chose de journalier et de tout naturel, et à les supporter d'une humeur égale.

Ces lignes sont extraites d'un compte rendu écrit par un officier fédéral, le lieutenant-colonel von Tscharner, et n'auront certainement étonné personne dans cette armée de miliciens!

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Plus remarquables encore ont été les deux marches de montagne cxécutées chacune par un groupe de deux batteries montées, dont on trouvera la relation dans le numéro d'août 1897 de la Revue d'Artillerie. Pour toute dissertation sur la valeur des troupes de milice, me bornerai à en recommander la lecture aux personnes sceptiques. L'une de ces marches a eu lieu en été. 366 kilomètres ont été parcourus en 11 jours, dont 2 journées de séjour, soit une longueur moyenne de 40,5 km. par étape, en franchissant des différences de

niveau qui ont atteint près de 500 m. par jour. Chaque marche était employée à l'instruction tactique du personnel, ainsi que les deux journées de séjour. L'initiative la plus complète était laissée au chef de groupe (major Frey) pour l'alimentation, le logement, l'instruction, la mobilisation et la marche: aucun ordre ne lui était donné à cet effet. Comme le note la Reçue d'Artillerie :

La marche de guerre à exécuter, loin d'être le couronnement de toute unc période d'instruction, devait tenir lieu de cette période même, et se compliquait par le fait singulièrement... Malgré les efforts considérables demandés aux hommes et le surcroît de fatigue occasionné par le mauvais temps, la discipline a toujours été irréprochable et l'état sanitaire est resté très satisfaisant.

L'autre exemple, encore plus topique, est fourni par un groupe (major Bellamy) dont le cours de répétition, exécuté en janvierfévrier 1897, a consisté en une marche de six jours, suivie de quatre jours de manœuvres et d'écoles à feu, et d'une seconde marche de sept jours coupée par un jour d'écoles à feu, le tout, constamment sous la neige et la pluie, par une température qui s'est abaissée jusqu'à 20o, et en franchissant une altitude de 1146 mètres. Voici le résumé de cette épreuve vraiment exceptionnelle.

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Au total, dans ces conditions épouvantables. 340 km en 12 étapes, avec cinq jours, non de repos, mais de manœuvres !

Tout s'est aussi bien passé que dans l'exercice précédent. L'état sanitaire, notamment, a été excellent. A l'arrivée à Thoune, le 27, il n'y avait pas un homme malade : un seul cheval était indisponible. Sur 283 hommes, il y a eu en tout 21 journées de maladies, dont 6 hommes blessés (y compris les blessures aux pieds) et 9 refroidissements: c'est une morbidité quatre fois inférieure à celle de l'ensemble de la population suisse d'âge correspondant. L'état sanitaire des chevaux a été, de même, excellent : 20 journées de maladie, et sculement 5 blessures au garrot tout artilleur comprendra quel éloge cette constatation fait de la troupe. Disons simplement que ce bon état des chevaux prouve qu'ils ont été intelligemment soignés par des soldats disciplinés.

Ces résultats, conclut la Revue d'Artillerie, dénotent des qualités d'endurance qu'il est remarquable de trouver à ce degré chez un personnel qui n'est réuni que temporairement pour des périodes d'instruction.

Un organe officiel français ne pouvait en dire davantage. J'ajouterai qu'il n'y a pas, en France ou en Allemagne, un groupe de batteries de soldats de trois ans, commandé par des officiers de carrière, qui puisse faire mieux.

L'armée suisse est d'ailleurs loin de se laisser distancer par les armées permanentes sous le rapport de l'application de la technique moderne à l'art militaire. Tout récemment (15 avril 1898), elle apportait un élément nouveau à la tactique de la cavalerie, en créant une nouvelle subdivision d'arme, les mitrailleurs à cheval (une compagnie par corps d'armée, avec huit fusils automatiques Maxim). Elle avait aussi créé, la première, des mitrailleurs de forteresse. Et, dans le message du Conseil fédéral à l'Assemblée au sujet de la création des mitrailleurs à cheval, on rappelle avec un légitime orgueil que l'armée suisse fut la première à adopter le fusil de moyen calibre (en 1859) et le fusil à répétition (en 1868).

Puisque je viens de mentionner un message du Conseil fédéral, il est bon de noter que ces documents sont en général de véritables modèles en ce qui concerne l'exposition de la question considérée au point de vue tactique, technique ou administratif (voir, par exemple, ceux du 24 mai 1897, sur la création d'une compagnie d'aérostiers, et du 15 avril 1898, sur la création des mitrailleurs à cheval); les officiers des armées permanentes ne pourront manquer d'apprendre beaucoup en lisant ces exposés dus à leurs camarades suisses.

Il faut mentionner un article anonyme, très vraisemblablement dû à un officier, qui a été récemment consacré à l'armée suisse par la Revue Bleue (1).

L'auteur entre en matière par une erreur. Il omet l'existence du (1) 3 décembre 1898.

landsturm non armé, et croit donc que les hommes sans instruction militaire seront versés dans le landsturm armé, lequel ne comprend, au contraire, et bien naturellement, que les hommes sortis de la landwehr; d'où un couplet d'une quarantaine de lignes sur cette organisation « un peu saugrenue » - qui n'existe dans son imagination. Plus loin, je signalerai encore une autre erreur manifeste : la nourriture serait, dans l'armée suisse, « de qualité et de quantité insuffi

santes >>.

que

Mais, ces inadvertances laissées à part, l'ensemble de l'article est déconcertant par la contradiction continue qui s'y manifeste. Visiblement, l'auteur voudrait pouvoir trouver tout mauvais dans l'armée fédérale, qu'il a fréquemment vue; il ne le peut, et s'en étonne; un peu plus, et il s'en irriterait. Aussi, les efforts que fait la Confédération pour améliorer encore son organisation militaire lui apparaissent-ils comme autant de condamnations portées contre cette organisation. Et pourtant il est obligé d'écrire ce qui suit :

Si les troupes suisses n'ont pas la belle ordonnance, la parfaite discipline, les mathématiques allures des régiments français ou allemands, je n'estime pas qu'elles leur soient sensiblement inférieures. Ces qualités qui leur font défaut, elles les remplacent, en effet, par d'autres, d'une acquisition plus difficile et qui, en temps de guerre, sembleraient aussi plus utiles : l'endurance peu commune, l'esprit d'initiative et le courage, un de ces courages intrépides qui ont la viotence des forces aveugles et qui, fatalement, franchissent tous les obstacles pour arriver au but. C'est ainsi, par des remarques psychologiques et ethnographiques, que je voudrais expliquer la supériorité indiscutable, en dépit d'une organisation discutable, de l'armée des vingt-deux cantons.

Et là-dessus l'auteur, qui nous promet de la psychologie et de l'ethnographie, nous parle des exercices d'instruction préparatoire, de l'enseignement de la gymnastique, des marches d'entraînement, de l'organisation des sociétés de tir, bref des institutions parfaitement rationnelles qui sont, on ne saurait trop le répéter, la base même de l'organisation d'une milice, et que la Confédération a édifiées peu à peu, sans être d'ailleurs parvenue au bout de cette tâche. Où est donc, dans tout cela, ce qui distingue essentiellement un Suisse. français, allemand ou italien, d'un Français de France, d'un Allemand d'Allemagne ou d'un Italien d'Italie? La Suisse a eu le mérite incomparable de poser les principes de l'armée de milice; il n'est pas surprenant qu'elle ne soit pas encore parvenue à la perfection absolue au bout de 25 ans. Profitons de son expérience. Quelques charges de plus que nous demandions d'ailleurs à nos populations, elles en supporteront moins qu'aujourd'hui. Et quand nous aurons imité la Suisse, en ne demandant à nos troupiers que ce qui est réellement <«< utile », nous aussi, nous aurons une armée d'une « supériorité indiscutable »>!

Il faut citer encore l'épisode de la mobilisation du 13° bataillon de fusiliers, que rapporte l'auteur de cet article. L'été dernier, unc grève de maçons avait dégénéré, à Genève, en troubles que la police était impuissante à réprimer. Un matin, des affiches furent apposées

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