Imágenes de página
PDF
ePub

la fin il se décida à faire quelque chose, du minimum des mises. Le noble personnage, manifestement, ne voulait pas ruiner la Banque.

C'est un coup sûr... à moins que...

Rouge perd!

Sacré nom de Dieu! De tels contretemps n'arrivent qu'à moi! Faut-il être déveinard pour avoir une chance pareille! Voyez, monsieur... madame, voyez, moi qui ai prédit correctement - mais cor-rec-te-ment!- tous les coups, ne voilà-t-il pas que le premier que je joue... mon Dieu, quelle tuile! Voyez un peu, je vous en prie..... Voyez, madame...

Et il démontra, à l'aide d'une demi-douzaine de petits cartons perforés, que, suivant toutes les lois humaines et divines, il aurait dù gagner ce fameux coup.

Il y avait deux billets de mille franes sur noir maintenant. La propriétaire de cette mise avait l'air de ne pas savoir que cet argent lui appartenait... heureusement.

Rouge perd! Deux nouveaux billets vinrent s'y joindre.

Je les enlèverais vite, à sa place, affirma l'Amsterdamoise. Car, vois-tu, papa, si elle les reperd maintenant, elle n'aura rien et ce sera sa propre faute!

Evidemment! Mais elle ne les perdit pas! Quatre autres billets vinrent s'ajouter à son gain. En voilà huit..... le maximum de la mise sur simple chance. Quatre fois encore la noire sortit......

Et à chaque coup la fortune de la jeune femme s'augmenta d'un maximum...

Combien y a-t-il de billets maintenant? demanda notre patiente, en balbutiant et comme en se réveillant d'un affreux rève.

[ocr errors]

Quarante, madame! répondit le croupier. Voulez-vous retirer la masse?

O mon Dieu, je vous remercie! Oui, oui, donnez, donnez tout, toùs les quarante! Quarante... ò mon Dieu, je vous remercie!

Elle dit cela en hollandais, car elle était Hollandaise et elle oubliait, dans la joie de son cœur, toute autre langue que celle dans laquelle elle avait si fervemment imploré un dénouement heureux.

-Hm! Dieu n'y est pour rien, dit SEMI-UR. C'était la limonade! Si le mari n'avait pas fait demander un louis.....

Le croupier lui sourit d'un air aimable. Il était visiblement content d'avoir à lui payer une si belle somme. Cinq par cinq il prit les billets sur son râteau et en huit fois lui remit le trésor froufroutant. Elle prit les billets, les comprima en une boule informe et, en bousculant quelque peu les assistants, se précipita hors la salle.

Eh bien, quoi!... ne me renversez pas! s'écria sa compatriote d'un ton plus aigre que ne le comportait l'insignifiant heurt qu'elle avait reçu. Est-ce qu'elle est maboule? Et quel vulgaire hollandais

qu'elle parle! Dieu sait de quel sale quartier qu'elle sort. Peut-être bien qu'elle est de Bois-le-Duc, ou de Deventer. C'est vraiment dommage, de la belle argent. Dieu sait ce qu'elle en fera! Very nice indeed! se dit lord CI-DEVANT à lui-même la seule personne avec qui d'habitude il s'entretînt et pour la première fois j'aperçus quelque chose comme de l'émotion sur sa figure. C'était la très noble joie du bonheur d'autrui. Il eût probablement dédaigné de jamais faire preuve d'une banale pitié, cette trop facile contrefaçon de la bonté.

Et moi qui croyais la noire épuisée, gémit notre prophète. Mais immédiatement après il expliqua fort clairement pourquoi la noire... si elle était « épuisee »... ct si, bien considérée, elle n'était pourtant pas « épuisée »..... bref, il avait tout prévu et il aurait certainement joué sur cette couleur, si seulement...

Zu kolossal! énonça FRIEDRICH PLUMP.

Limonade! s'écria SEMI-UR.

Cristallisation! affirma le petit CRISTALLISATEUR.

Et « tout est en tout!» jubila, sur tous les tons, mon escorte de gnomes. Même la musique s'en méla: Heil dir im Siegerkranz! Pour la première fois de ma vie j'entendis avec plaisir ce lamentable air.

Je suivis mon héroïne. J'avais souffert avec elle et je voulais jouir de son triomphe. N'était-ce pas juste?

Son mari était encore assis au même endroit où nous l'avions laissé une heure auparavant. Elle courut vers lui, jeta le trésor conquis sur la table et l'embrassa avec véhémence :

-Sauvés, sauvés! Les voilà... tous les quarante. Compte-les, compte-les... O mon Dieu, sauvés! O mon Dieu, je vous remercie! Et maintenant... jamais, jamais plus un pied dans ce terrible enfer!

Hm! Elle n'est pas trop reconnaissante, dit SEMI-UR. A-t-on jamais...! voilà qu'elle renverse le verre de limonade qui lui a fait tant de bien! Sont-ils bêtes, ces hommes! Dieu, qui si impitoyablement la laissa se débattre, récolte tout l'honneur de l'affaire, tandis qu'elle pulvérise ce pauvre verre. Voilà ce que c'est de ne pas savoir lier ensemble cause et effet... comme c'est bête!

[ocr errors]

ment.

-

Elle a bravement lutté pour sa toison d'or, hasardai-je timide

Possible, mais elle ne l'a conquise que lorsqu'elle ne luttait pas du tout. Elle était découragée et avait le bras cassé, comme discnt les joueurs. Elle ne pouvait plus bouger. Que serait-il advenu de son héroïsme, sans cette limonade?

- C'est vrai!... Mais dites-moi, pourquoi m'avez-vous fait intituler le précédent chapitre : « Un contre sept? »

Mais... c'est encore une des choses les plus simples du monde. Votre madame... JASON, qui, avec ses cinq billets, voulait en gagner

trente-cinq, devait vaincre sept ennemis. Cela réussit une fois sur huit... Nous autres gnomes nous en avons la comptabilité. Et pis encore : lorsqu'il ne lui resta plus qu'un seul billet la chance était comme un contre trente-neuf. Elle a réussi, mais quiconque, après elle, voudrait tenter quelque chose d'analogue ne doit pas s'attendre à grand succès : épuisé!

Dites-lui cela, si jamais vous la revoyez. Ou, mieux encore, racontez cela dans vos études-millionnesques... cncore une cristallisation!

MULTATULI

Traduit du néerlandais par Alexandre Cohen,

Sur Stendhal

(UNE LETTRE DE DONATO BUCCI)

[Donato Bucci, le signataire de cette lettre était un marchand d'antiquités, ami de Stendhal. C'est chez Bucci que Stendhal passait ses meilleurs moments pendant son exil de Civita-Vecchia.

Sa lettre est écrite non en italien, mais en une sorte de français. Elle était adressée à Romain Colomb, l'exécuteur testamentaire de Stendhal, et elle nous est communiquée par M. Casimir Stryienski.]

Mon cher Monsieur Colomb,

Je désirais depuis bien long tems, mon cher monsieur Colomb, remplir avec vous ma promesse de vous faire quelques observations sur la correspondance inédite de notre monsieur Beyle, afin de vous expliquer, pourquoi il avait dit dans une de ses lettres : qu'il ne pouvait pas se voir à Civita-Vecchia. J'hésitais, cependant, à prendre la plume, parce que je devais pour cela vous donner des détails biographiques d'un individu jouissant auprès de vous d'une bonne réputation, qu'il est bien loin de mériter. Une circonstance tout à fait extraordinaire, et que vous connaitrez dans la suite de cette lettre, m'y décide maintenant.

L'individu dont il s'agit est monsieur Lysi Tavernier (1). Ge monsieur, natif de Salonique, vint s'établir à Civita-Vecchia, en 1822, avec sa mère qui avait épousé, en secondes noces, un certain Mordo, juif et devenu chrétien, comme dirait de Stendhal, par intérêt mercantile. M. L., fort jeune, et ne laissant nullement déviner le caractère qui se développa chez lui plus tard, obtint d'être nommé chancelier-élève au consulat de France à Civita-Vecchia par le consul, baron de Vaux. En 1829, le chancelier étant décédé, M. L. aurait dû de droit le remplacer, mais le consul fit nommer à cette place un autre individu. M. L. en porta plainte au ministre, mais sans résultat. La Révolution de Juillet arrivée, M. de Vaux fut destitué et remplacé, en 1831, par M. Beyle. Ce nouveau consul, aussitôt arrivé à Civita-Vecchia, le connaissant par sa réputation littéraire, j'allai lui faire une visite et lui offrir mes services. Il me reçut parfaitement bien, d'autant plus qu'il avait pour moi une lettre de recommandation de M. Constantin (2), qu'il avait vu à son pas(1) Lysimaque Tavernier.

(2) Abraham Constantin, peintre sur émail; ses œuvres principales sont au Musée de Turin, ce sont des copics des tableaux les plus célèbres des musées italiens.

sage par Florence. Dès ce moment nous nous liàmes en amitié, qui dura jusqu'à sa mort. M. L. à cette époque se trouvait à Rome, Ꭹ attendant le nouveau consul, pour en obtenir la place qu'il réclamait. Le lendemain de ma visite, M. B. m'entretint sur cette affaire, en me demandant mon avis. Je lui dis, que réellement M. L. avait reçu un tort, car la place de chancelier lui revenait de droit, et d'après mon avis, il lui rendit justice. Je le priai, toutefois, de ne jamais dire à personne, que j'étais intervenu dans cette affaire, étant également lié en amitié avec les familles des deux prétendants à la même place. Mais, par une de ces distractions habituelles chez lui, il dit à L., que c'était à moi qu'il devait sa place. Il vint, par conséquent, me remercier de tout ce que j'avais fait pour lui, et j'eus beau protester, que je n'y étais pour rien, il me répéta, qu'il en était sùr, car c'était M. B. lui-même qui le lui avait dit. Il prit donc possession de sa place, pour laquelle il avait acquis, il faut le dire une certaine capacité, bien supérieure à celle de son prédécesseur. Vous connaissiez les habitudes locomotives de M. B., qui était pris du spleen, s'il devait rester longtemps dans le mème licu, et surtout dans un petit pays comme Civita-Vecchia, sans société, sans distractions et ressources d'aucune espèce. Il passait donc son temps principalement à Rome, en faisant parfois des excursions à Naples et Florence. Pendant son absence, c'était M. L. qui gérait le consulat, mais avec ordre d'avoir à me consulter sur toutes les affaires de quelque importance. Dans les premiers temps, il se conduisit assez bien : et venait me demander mon avis même sur les affaires les plus simples, et M. B. n'cut qu'à se louer de sa conduite. Mais au bout d'environ deux ans il commença à développer un caractère, auquel j'étais loin de m'attendre, et que je n'aurais jamais pu imaginer. M. Latour-Maubourg ayant été nommé ambassadeur de France à Rome, M. L. à son passage par Civita-Vecchia, alla lui offrir ses services, et, par ses plates courtisaneries, il parvint à se mettre dans ses bonnes grâces et obtenir sa protection. Il lui servait de commissionnaire pour tout ce qu'il recevait de France, et de véritable domestique de place, lorsqu'il avait à passer par Civita-Vecchia, il en agissait de même avec tous ses parents ou amis. Le fait est, qu'après avoir obtenu la protection de l'ambassadeur, il me fit volte-face, et conmença à desservir son supérieur auprès de tous ceux qui avaient de l'influence dans le gouvernement, en disant, que le consul n'était jamais à sa place, et que c'était lui qui gérait entièrement le consulat. M. Beyle était même certain qu'il l'avait aussi calomnieusement dénoncé à M. Desaugiers. directeur des consulats à cette époque. Dans l'espoir que, par la protection de l'ambassadeur, si M. Beyle venait à être destitué ou nonmé à quelque autre consulat, il pourrait le remplacer, il ne se borna pas à le calomnier auprès du gouvernement français, mais il le dénonça aussi au gouvernement romain, comme athée en religion et révolutionnaire en politique, et comme l'un des principaux agents en Italie de la propagande de Paris. Il faisait croire que c'était dans

« AnteriorContinuar »